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Billet de blog 15 avril 2023

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Le dernier clou sur le cercueil

En adoubant la loi sur les retraites et en refusant le RIP, le Conseil Constitutionnel ouvre une crise institutionnelle après une crise sociale et démocratique

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La messe est dite. En latin. Les « Sages » du Conseil Constitutionnel ont évidemment validé la loi sur les retraites, une loi injuste, inutile, réactionnaire, criminelle. On hésite sur les qualificatifs la désignant tant nombreux sont ceux qui viennent spontanément à l’esprit pour quiconque a encore une once de bon sens et d’humanité. On hésite aussi sur l’adjectif à utiliser pour désigner les neuf membres du Conseil Constitutionnel. « Sages » avec une majuscule, ou « sages » sans n’est clairement pas adéquat, même si les guillemets utilisés sont censés indiquer qu’il faut prendre ce qualificatif avec un certain recul.

S’ils l’avaient vraiment été, ils auraient censuré le projet de loi. D’une part parce qu’une approbation ne pouvait se justifier que par une interprétation abusive de la Constitution comme de nombreux juristes l’ont souligné. Quand tout au long des « débats » parlementaires, le gouvernement ment sans vergogne, sur les 1200 euros pour tous, sur les femmes, sur la nécessité même de la réforme, proclamée sans examiner les nombreuses autres possibilités de financement, peut-on vraiment dire que le principe de "sincérité et de clarté" et « l’objectif d’intelligibilité et d’accessibilité » aient été pris en compte ? Il faudrait savoir dans quel sens le Conseil Constitutionnel comprend la sincérité ?

D’autre part, dans la crise sociale et démocratique ouverte par Emmanuel Macron pour imposer sa réforme des retraites, la sagesse aurait été de ne pas lui faire franchir un pas de plus en y ajoutant une crise institutionnelle, ne pouvant que relancer les crises sociale et démocratique, tout en ouvrant la possibilité aux gouvernements futurs de se passer de ces formalités juridiques contraignantes. A quoi bon élire un Parlement qui n’a plus la possibilité de promulguer les lois ? Et après on se lamentera sur la montée de l’abstention et du Rassemblement national en en reportant la responsabilité sur les électeurs !

Ni « Sages », ni « sages » donc. Inconscients certainement pas non plus car ils sont au contraire très conscients de défendre des statuts et des intérêts parfaitement identifiables. Mais irresponsables certainement, pour sacraliser contre tout un peuple un texte qui vient de faire la preuve de son obsolescence. On ne peut que penser au poème de Brecht, La solution :

Ne serait-il pas

Plus simple alors pour le gouvernement

De dissoudre le peuple

Et d’en élire un autre ?

C’est bien cette solution que Macron tente d’imposer en déclarant le peuple illégitime et en le réprimant sans états d’âme. Et c’est celle-ci que les apprentis sorciers du Conseil Constitutionnel viennent d’adouber, faisant la démonstration d’une absence totale d’intelligence politique et d’une incompréhension tragique de ce que travailler veut dire sous le capitalisme.

Cette fois-ci, le divorce semble bien définitif entre un peuple qui veut décider de son destin et un gouvernement qui s’accroche désespérément à un texte qui n’a visiblement plus aucune légitimité. Devant une telle situation, l’intelligence et la démocratie voudraient qu’on change de texte. La promulgation dans la nuit de la loi, suite à la décision du Conseil Constitutionnel, montre qu’il n’en est rien et est une provocation de plus.

Loin de clore une séquence que seuls un imbécile ou un dictateur[1] pourraient qualifier de « cheminement démocratique » et qu’il serait possible de « passer à autre chose » comme si de rien n’était, la décision du Conseil Constitutionnel, assaisonnée du refus du RIP qui revient à interdire au peuple de donner son avis (il est vrai qu’il a été déclaré illégitime) vient au contraire d’ouvrir une crise majeure en France.[2]

Loin de « passer à autre chose », la séquence qui s’ouvre sera celle de la naissance d’une autre constitution avec un autre rapport entre le peuple et ses élus.

En allant jusqu’au bout de la logique anti-démocratique de la constitution de la Vème république, le Conseil Constitutionnel a planté le dernier clou de son cercueil. Ce sera peut-être le seul service qu’il aura jamais rendu.

[1] Macron est-il un dictateur ? Si on se réfère à la signification de ce mot, « Personne qui, après s'être emparée du pouvoir, l'exerce sans contrôle » il s’en rapproche dangereusement, tant il est difficile de voir un contrôle quelconque dans ce Conseil qui n’en est pas un, mais bien une chambre d’enregistrement dont les membres sont nommés par le pouvoir.

[2] Rendant ridicule la dernière justification macronienne du passage en force par le 49-3 d’un risque économique gravissime causé par le retrait de la réforme, comme si les marchés financiers tant appréciés et si peu régulés préféraient un climat social et une stabilité politique fortement dégradés à un déficit de dix milliards dans les comptes de la branche retraite de la sécurité sociale en 2027 ! D’autant que de nombreuses solutions de financement de ce déficit existaient et ont été refusées sans discussion par le gouvernement arque bouté sur le recul de l’âge de départ.

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