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Billet de blog 17 mars 2023

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Macron entre dans l'Histoire

En recourant au 49-3, Macron entre dans l'Histoire, mais sans doute pas comme il l'espérait. Il en découle une forte responsabilité pour la gauche, qui pour l’instant n’apparaît pas à la majorité du pays comme un recours possible, mais qui doit profiter de cette crise de régime pour construire une alternative crédible.

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Ni le Président Macron, ni Emmanuel Macron, désignations qui lui reconnaîtraient une légitimité officielle ou une proximité bienveillante, mais juste Macron, énoncé sans majuscule avec toute la distance et la colère nécessaire comme une insulte, vient d’entrer dans l’Histoire en imposant une réforme que plus de 70 % des Français et des Françaises refusent (et 90 % des actifs).

Après un semblant de concertation que seul le gouvernement a qualifié ainsi, refusant d’entendre les protestations des syndicats dénonçant un simulacre de dialogue qui n’était qu’une information à prendre ou à laisser sur le projet de réforme en cours, sans qu’il soit possible de le discuter sur le fond,

Après une défense pitoyable de ce projet, recourant à des éléments de langage d’ordre différents et contradictoires (projet juste et équilibré, réforme de gauche, défense du régime par répartition, épouvantail de la dette publique justifiant la recherche de nouvelles sources d’économie, TINA, nécessité de financement d’autres dépenses, réforme acceptée avec l’élection de Macron au motif qu’elle était dans son programme, insistance sur la limite d’âge à 64 ans après que Macron lui-même ait dit en 2019, lors du quinquennat précédent, que c’était une mesure hypocrite, …),

Après le recours au mensonge, niant les effets très négatifs qui en découleraient pour les plus bas revenus (carrières longues, femmes à temps partiel, …) ou communiquant sans vergogne sur les 1200 euros qui seraient le plancher des futures retraites (il aura fallu l’éclairage de Michael Zemmour, qui mérite que l’on donne son prénom et mette une majuscule à son nom, pour que la baudruche se dégonfle),

Après des manifestations monstres qui ont mobilisé des millions de personnes d’origines variées sur tout le territoire et pas seulement dans les grandes villes,

Après l’engagement pris et répété par la première ministre ou le porte-parole du gouvernement de ne pas recourir au 49-3,

Après le refus de Macron de recevoir les syndicats à leur demande expresse ou même de s’exprimer publiquement devant le pays sur le projet,

Après le recours aux armes constitutionnelles pour réduire le rôle du Parlement (article 47-1 pour limiter le temps des débats à l’Assemblée, article 44-3 pour contraindre à un vote bloqué au Sénat interdisant l’examen des amendements),

Après que l’ensemble des députés de la macronie se soient prononcés le 15 mars pour recourir au vote de la loi à l’Assemblée,

Le 16 mars à 14h45, soit quinze minutes avant le vote prévu, Macron a convoqué un conseil des ministres pour l’informer qu’il avait décidé de recourir au 49-3, décision que la première ministre (inutile de la nommer, elle, elle ne rentrera pas dans l’Histoire), répercutera docilement à l’ouverture de la séance.

Devant un tel mépris de la volonté populaire seulement justifié par l’argument rabâché par les sous-fifres sur les ondes que ce n’est pas la « rue » qui fait la loi mais le Parlement démocratiquement élu, on reste sidéré de l’inconscience de ces élus qui ne voient pas que leurs comportements ne peuvent qu’enfoncer un peu plus le régime dans la crise.

Parler de la « rue », et non du peuple ou des Français et des Françaises est déjà significatif d’un point de vue péjoratif sur ceux qui défilent ou qui s’expriment dans les sondages contre la réforme, point de vue qui est au cœur de la vision de Macron qui déclarait en 2015 à Le 1 hebdo : « La démocratie comporte toujours une forme d'incomplétude car elle ne se suffit pas à elle-même. (…) Dans la politique française, cet absent est la figure du roi, dont je pense fondamentalement que le peuple français n'a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vide émotionnel, imaginaire, collectif : le roi n'est plus là ! ». Ce vide il montre chaque jour, et de plus en plus, comment il entend le combler : par son action éclairée et solitaire. Sa décision d’avoir recours, envers et contre tous y compris ses ministres et ses députés, au 49-3 en étant l’acmé (pour le moment).

Il devient de plus en plus difficile de soutenir que la France est sous un régime de démocratie parlementaire représentative. Une démocratie est un système politique dans lequel la souveraineté émane du peuple. Macron ayant été élu avec 38,5 % des votants dont une bonne part l’a fait pour contrer le RN (ce dont il avait dit lors de son premier discours qu’il le savait et que ça l’engageait pour la suite, un mensonge de plus), on ne peut pas dire qu’il soit investi d’une souveraineté émanant du peuple (ou alors un peuple réduit aux acquêts). Quant à la représentativité des élus, sans même parler d’un gouvernement comptant 19 millionnaires sûrs de ne devoir leur « réussite » qu’à leur propre mérite, il suffit de regarder la composition sociologique du Parlement pour se rendre compte de l’incongruité qu’il y a à utiliser ce qualificatif de « représentatif ».

Et s’ils deviennent représentatifs c’est parce que comme tous les citoyens et les citoyennes ils ne peuvent que subir les décisions de Macron, sans pouvoir les discuter ou simplement les amender. La dernière d’entre elles, ce recours au 49-3 pour imposer sa volonté dénuée de toute rationalité, qu’elle soit économique[1], sociale ou simplement humaniste, ne peut qu’ouvrir une phase de révoltes (sous des formes, violentes ou pas qui sont pour l’instant imprévisibles), dont l’une des voies de sortie évidentes peut être une victoire du RN aux prochaines présidentielles. Cette possibilité, qui devra tout à l’action de Macron (qui avait pourtant promis de faire barrage à l’extrême-droite), serait la conclusion logique d’une parenthèse institutionnelle de dix ans durant laquelle les vices de la Vème République ont été poussés jusqu’à l’absurde : la crise de régime d’une constitution qui avait été pensée pour garantir la stabilité politique.

Il en découle une forte responsabilité pour la gauche, qui pour l’instant n’apparaît pas à la majorité du pays comme un recours possible, mais qui doit profiter de cette crise de régime pour construire une alternative crédible.

Si elle y arrive, Macron rentrera de deux manières dans l’Histoire : en étant le fossoyeur malgré lui d’une fausse démocratie à bout de course et le déclencheur involontaire d’une société plus juste.

Il n’est pas sûr que ce soient les deux voies par lesquelles il pense si fort à laisser son nom pour les générations à venir[2].

[1] L’argument du déficit qui menace l’équilibre et creuserait la dette, mettant en danger le système de retraite par répartition est pour le moins cocasse. Il faut se rappeler que ce régime a été mis en place avec succès à la Libération, dans une France ruinée. Géré paritairement par les travailleurs et le patronat, il n’a eu de cesse d’être attaqué et de voir l’État s’immiscer de plus en plus dans sa gestion, avec pour résultat un régime soi-disant en danger dans une France beaucoup plus riche qu’en 1945. On pourrait peut-être en tirer la conclusion que la gestion étatique est loin d’avoir fait ses preuves et revenir à une période où les organisations de travailleurs avaient plus de pouvoir dans son fonctionnement.

[2] Sans parler de son inaction dans la crise climatique.

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