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Billet de blog 17 juin 2022

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Misère de l'information

Comment des « journalistes », qu'ils soient connus ou pas, ne font que servir de caisse de résonance à la propagande gouvernementale.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ce matin, 17 juin, je roulais tranquillement en écoutant les informations de 10h à France Inter. La présentatrice (vu la suite je n’arrive pas à la qualifier de journaliste) nous apprend que le débat fait rage entre les trois forces en présence aux législatives, la Nupes, Ensemble et le RN. Pour preuve; elle fait référence à un débat entre Clémentine Autain, Gabriel Attal et Jordan Bardella dont on ne saura rien, sinon un long extrait d’une déclaration de Gabriel Attal, à propos des retraites.

Ce qui est le plus choquant (je reste mesuré) ce n’est pas la dissymétrie entre les candidats, puisque seul Gabriel Attal expliquera aux auditeurs à quel point la réforme des retraites est à la fois indispensable et « en même temps » bénéfique aux retraités, (il ne pouvait pas en être autrement), sans qu’on sache ce que les autres avaient à dire, sinon, dixit la présentatrice qu’il y avait débat. Ce n’est pas non plus ce que dit Gabriel Attal, dont on ne peut raisonnablement attendre autre chose que les éléments de langage concoctés sur ce sujet. Non, c’est l’introduction de sa déclaration faite par cette présentatrice, ici clairement pas journaliste, qui nous annonce benoîtement que le dit Gabriel Attal, dans ce « dur » débat à du (je souligne) faire preuve de pédagogie.

Qu’implique cette amorce introductive pour celui qui l’écoute, sinon que non seulement les deux autres débatteurs racontaient n’importe quoi, puisque ce brave Gabriel Attal a (n’a pas pu faire autrement, a bien été obligé) expliquer à ces ignares tout le bien-fondé de la réforme des retraites, mais aussi que le contenu de sa déclaration expliquait ce qu’il fallait comprendre de cette réforme si nécessaire et utile.

Et, par extension, c’est l’ensemble des auditeurs qui vont profiter de cette leçon de pédagogie, deux jours avant les élections, dans un journal « d’information » (hum) de grande écoute à une heure favorable.

Sans doute cette présentatrice devrait savoir que « faire de la pédagogie », est une expression utilisée systématiquement par la classe politique quand elle cherche à faire passer des réformes impopulaires. De Juppé et sa réforme de la SNCF en 1995 à cette réforme de retraites en passant par la loi travail de Myriam El Khomri et plus récemment Brune Poirson avec la hausse du diesel, le recours à « la pédagogie » est une nécessité pour expliquer, à ceux qui sont capables de comprendre, tout l’intérêt de ces réformes. Hélas, ce n’est pas toujours suffisant comme le montre la loi travail qui n’a pu passer qu’à l’aide du 49-3. Le peuple est décidément trop bête.

Elle devrait aussi savoir que « pédagogie » signifie étymologiquement « mener les enfants », preuve que les politiques qui abusent de cette expression ont une bien curieuse appréhension du peuple, grands enfants à qui il faut expliquer sans cesse tout le bien de ce qu’on lui propose et qu’il s’entête à refuser. Pourtant les enfants ne votent pas, et le peuple si on revient au grec ancien c’est le « demos », c’est donc bien moins de « pédagogie » dont il a besoin, que de « démagogie » qui signifie sur la même construction « mener le peuple » (par le bout du nez sans doute). Ce faisant, l’expression, loin d’être méprisante révèle son sens réel. « Faire de la pédagogie » quand les politiques l’emploient et que les présentatrices le relaient, c’est « faire de la démagogie », ce qui devient beaucoup moins politiquement correct.

On pourrait plaider la prise d’otage. Après tout, cette présentatrice n’est peut-être que la voix d’un rédacteur qui lui a donné une info à lire sans qu’elle ait son mot à dire. Dans ce cas cette pauvre présentatrice fait un métier bien frustrant et c’est le rédacteur et la chaîne qui le paye qui doivent être critiqués. De toute façon, c’est loin d’être la responsabilité individuelle d’une présentatrice ou d’un rédacteur. C’est « l’habitus » du « journalisme » audio-visuel dominant de servir la parole officielle sans esprit critique tout en étant agressif avec les oppositions.

Sur le même thème, quelques jours avant, le 15 juin, sur la même radio, Léa Salamé, (que j’ai aussi bien du mal à qualifier de journaliste), disait à Olivier Faure, représentant de la Nupes que son programme n’était pas financé (sans évidemment apporter le moindre argument sinon une vague référence « aux économistes », les seuls sérieux étant évidemment ceux qui ont cette opinion comme l’Institut Montaigne). Et quand ce dernier lui répondait que non seulement ce programme était financé mais que bien au contraire c’est la baisse envisagée de 80 milliards d’euros de recettes prévues par le gouvernement qui ne l’était pas, celle-ci lui répondait qu’elle l’était par la croissance et la réforme des retraites. Autrement dit, ici Léa Salamé devenait elle-même économiste, évidemment néolibérale, épousant sans nuance (et sans autres arguments qu’une affirmation sans preuve) le point de vue du gouvernement. Sans se rendre compte, d’une part que « la croissance » n’a de sens que par son contenu et qu’en l’occurrence, la baisse de recettes signifie celle de services publics qu’on se garde bien de nommer (en tout cas pas l’appareil répressif de l’État) et qui sont ainsi « échangés » contre de la production privée dont on ne sait pas trop à quels besoins elle répondrait, (des NFT ? plus d’élevages intensifs ? plus de SUV ?) et, d’autre part, que si c’est la réforme des retraites qui sert à compenser cette perte de recettes annoncée, cela signifie que le pouvoir d’achat des retraités va baisser, récusant ainsi les explications « pédagogiques » de Gabriel Attal. A servir de porte-parole de la doxa officielle, Léa Salamé, loin d’être la journaliste pugnace qu’elle fantasme sans doute d’être, ne fait que dévoiler sa véritable fonction. La passeuse de plats (indigestes) du pouvoir.

Que France Inter en fasse une de ses « stars », qu’elle s’affiche sur les abris-bus, que France 2 l’utilise de la même manière, montre que l’information n’est en fait que de la propagande.[1]

[1] Et ne parlons pas de Nathalie Saint-Cricq, célèbre par ses moues dubitatives quand elle interroge un représentant de la gauche, histoire de signifier aux téléspectateurs, qu’ils doivent prendre avec des pincettes les (fausses) affirmations de ces dangereux personnages. Ici, il n’y a plus besoin d’avancer des arguments, il suffit de faire les gros yeux ! Quel professionnalisme.

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