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Billet de blog 19 janvier 2025

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La « gauche de gouvernement » est à droite

En ne censurant pas le gouvernement, le parti socialiste donne l'espoir à Bayrou d'avoir réussi à briser le NFP et continue à s'illusionner sur la possibilité de réguler le capitalisme.

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Le philosophe Alain écrivait : « Quand quelqu'un me dit qu'il n'est ni de droite ni de gauche, je sais que c'est un homme de droite ». On pourrait dire la même chose quand un parti politique se qualifie de « gauche de gouvernement » : c’est juste dire qu’il fera une politique de droite.

Le Parti socialiste, qui tient beaucoup à apparaître justement comme un parti de gouvernement, tout en se revendiquant de gauche et en s’affirmant dans l’opposition à Macron, vient une fois de plus d’en faire la démonstration en ne votant pas la censure du gouvernement Bayrou.

Il l’avait déjà faite dès 1983 en étant à l’initiative des politiques néolibérales à base de dérégulation financière, de politique de l’offre, d’affaiblissement du droit du travail ou de dégradation des services publics, considérées comme toujours trop coûteuses. Une orientation politique que la droite « officielle » n’a eu qu’à reprendre et à accentuer.

En ne votant pas la censure, alors même qu’il aurait pu garder encore un peu son vernis de gauche en le faisant, compte tenu du fait que l’abstention du RN garantissait l’échec de la motion, il fait la démonstration qu’il accepte que le gouvernement de Bayrou poursuive son travail de sape des services publics et qu’il accepte que le gouvernement propose un budget encore plus austéritaire que celui sur lequel Barnier avait été censuré, avec une diminution supplémentaire des dépenses de l’État de 10 à 15 milliards[1]. Certes, il peut toujours le censurer au moment du vote de ce budget et c’est ce qu’Olivier Faure a dit, lors de l’explication qu’il a donné devant les députés, de la décision de son parti de ne pas censurer. Mais il avait aussi annoncé quelques jours avant que l’abrogation de la réforme des retraites était un préliminaire à la non-censure, pour ensuite demander sa suspension. Des déclarations qui se sont révélées n’être qu’une posture, puisque que la non-censure a finalement été décidée alors que ni l’abrogation, ni la suspension n’ont été annoncées par Bayrou.

Cette capitulation offre un sursis à Bayrou qui lui permet surtout d’espérer avoir réussi à fracturer le NFP. La justification donnée s’appuie sur toutes les améliorations, voire les succès que la négociation aurait permis, ce qui « prouverait » que la négociation est toujours préférable à la protestation stérile conduisant au maintien du statu quo.

Il faut être un éditorialiste du Monde pour y voir un compromis « qui n’équivaut pas à une reddition, mais signe au contraire un progrès »[2].

Parmi ces « succès », figurent en tête le maintien de l’emploi à l’éducation nationale et la suppression des trois jours de carence dans la fonction publique qui faisaient effectivement partie du budget Barnier qui prévoyait la suppression de 4000 postes d’enseignants et le passage d’un jour de carence à trois[3]. Or, d’une part, ces mesures ne sont pour l’instant que des propositions qui ne seraient mises en œuvre que si le budget était finalement voté, il est donc difficile d’y voir une victoire tant qu’elles ne sont pas définitivement appliquées (ce qui est parfaitement compris par le PS qui prévient que la censure redeviendrait d’actualité si le gouvernement trahissait ses engagements). Et, d’autre part, il faut comparer le coût de ces « concessions » qu’aurait accepté le gouvernement avec le bénéfice qu’il en retirerait si le budget était voté. Or, selon le gouvernement lui-même, la suppression des 4000 enseignants aurait permis une diminution de la dépense de 150 millions d’euros quand l’adoption de trois jours de carence au lieu d’un seul économisait 1,2 milliards d’euros. Je retiens volontairement cette estimation du gouvernement bien que ce dernier ne se soit pas montré bon prévisionniste pour toutes les projections qu’il ait pu faire et qu’il existe un fort soupçon sur un gonflement des économies espérées pour bien montrer aux Français l’importance de ces propositions. Le problème, c’est d’oublier que l’adoption du budget est la condition nécessaire à leur application et que ce budget propose une réduction des dépenses d’au moins 10 milliards d’euros[4] en plus de celles déjà prévues par le budget Barnier, qui reste le point de départ du prochain budget. Alors certes, l’État supporterait un coût non souhaité de 1,35 milliards d’euros, ce qui impliquerait qu’au lieu de diminuer les dépenses de 10 milliards elles ne seraient réduites que de 8,65 milliards d’euros, mais il faut vraiment se forcer pour y voir une concession faite par Bayrou dans la mesure où la seule solution jugée raisonnable par le gouvernement reste la diminution des dépenses publiques et pas l’augmentation des recettes, perpétuant la même politique de l’offre qui reste pourtant sans résultats probants et rend les entreprises dopées artificiellement aux subventions publiques sans contreparties. On comprend que ces dernières ne souhaitent pas un changement quelconque de cette situation.

Finalement, derrière cette abdication du PS qui revient à son ADN réformiste qui ne fait que perpétuer un système économique à bout de course, il y a toujours l’illusion que le capitalisme peut être régulé pour le bien de tous et que cette régulation peut s’obtenir par des discussions entre personnes raisonnables.

L’ode à la fameuse stabilité qui, soit-disant, est demandée par les Français (alors qu’ils ont voté massivement pour une autre politique), n’est que l’acceptation que le capitalisme nous emmène sur la même trajectoire de destruction de la nature et des travailleurs, à l’exception des plus riches. Du moins le croient-ils.

[1] Sans avoir la moindre précision sur les secteurs qui seront frappés par cette réduction

[2] Le Monde, samedi 18 janvier 2025.

[3] Il y a d’autres mesures sur lesquelles le gouvernement s’engage, comme l’annulation du déremboursement des consultations médicales et des médicaments, la taxation (très légère), des hauts revenus, ou l’augmentation des crédits pour l’hôpital public, mais c’étaient déjà des concessions obtenues lors des discussions préalables au vote du budget Barnier qui avaient été entérinées par l’Assemblée nationale. Il y a donc une certaine mauvaise foi à les présenter comme des conquêtes arrachées de haute lutte par une négociation responsable.

[4] Je retiens la fourchette basse de la diminution supplémentaire que Bayrou veut faire adopter aux députés.

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