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Billet de blog 19 décembre 2024

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Après le compromis, la stabilité

Après la demande de compromis vide de contenu, les médias aux ordres réclament à tue-tête de la stabilité. Mais seulement à la gauche, clairement responsable de la crise politique actuelle.

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La déploration de l’incapacité de trouver un « compromis » entre le NFP, et tout particulièrement LFI, et le camp macroniste est un leitmotiv de nombre d’éditorialistes, de chroniqueurs, d’interviewers qui répètent ce mantra sans jamais interroger le contenu sur lequel ce compromis pourrait se faire. Encore faut-il préciser que ce reproche récurrent est surtout fait aux dirigeants du NFP, souvent de manière agressive, et pas aux partisans de la ligne présidentielle.

Tant, sans doute, il parait aller de soi à tous ces cireurs de pompes de la macronie, que celle-ci a dans ses gènes une profonde culture du compromis, comme elle l’a prouvé lors de la niche parlementaire de LFI pendant laquelle elle a joué la montre pour ne pas discuter de l’abrogation de la réforme des retraites, pourtant attendue par une immense majorité de Français. Et comme le montre depuis 2017 avec une constance remarquable, Emmanuel Macron, expert es-compromis dès qu’il s’agit de permettre à la gauche de gouverner, ne serait-ce qu’un court instant. Le mauvais feuilleton de la désignation des deux derniers premiers ministres (en attendant sans doute le prochain), illustre magnifiquement sa capacité à faire des compromis, et on pourrait lui suggérer de choisir la prochaine fois Aurélien Pradié, membre des dix non-inscrits (puisqu’il semble qu’il les puise dans des groupes parlementaires de moins en moins représentatifs), mais ancien porte-parole de Valérie Pécresse lors de la présidentielle de 2022 et partisan d’une politique migratoire durcie et de la réduction des contraintes énergétiques dans le locatif, qui a le mérite d’être affilié à un groupe ayant encore moins de représentants que le Modem et semble parfaitement RN-compatible, une condition de plus en plus prisée pour les seuls compromis qui valent dans la macronie, ceux que l’on peut espérer passer avec le RN, comme Michel Barnier en avait fait la démonstration lors de la négociation du budget (ratée sans doute par une culture du compromis de sa part pas assez développée).

Mais soyons juste, il ne faut pas oublier que Macron était prêt à nommer Bardella à Matignon quand les sondages le donnaient gagnant des législatives, une décision que la majorité des Français l’a empêché de prendre en mettant le NFP en tête.

Dans cet entêtement coupable de cette gauche incapable de faire des compromis, il y a les deux totems[1] de l’abrogation de la réforme des retraites et d’une fiscalité moins inégalitaire qui ferait que les ultra-riches pairaient des impôts proportionnellement à la hauteur de ceux que paient la grande majorité des citoyens. Mais peut-on nommer « compromis » des mesures souhaitées par la plupart des citoyens ? Si la démocratie a encore un sens dans ce pays, si c’est le peuple qui décide, au nom de quoi une infime minorité qui n’a aucune angoisse pour sa retraite et a des revenus bien au-delà du nécessaire peut-elle décider d’aller contre l’avis de ce peuple dont ils sont censés être les représentants ?

Mais depuis peu, une autre musique s’est installée chez les commentateurs, c’est celle de l’irresponsabilité de la gauche, et particulièrement encore une fois de LFI, décidemment infréquentable, qui jetterait la France dans l’instabilité. Là-aussi, un reproche qui n’est fait qu’à ses représentants.

Bien évidemment, les mêmes commentateurs ne remarquent pas que Macron est un aussi grand expert en stabilité qu’il l’est en compromis. Que l’on sache, si l’agence de notation Moody’s a dégradé la note de la France le jour de la nomination de Bayrou, justifiant cette décision, dans le langage fleuri des technocrates, par la « fragmentation politique plus susceptible d’empêcher une consolidation budgétaire significative » n’est-ce pas parce qu’elle considère cette « fragmentation politique » comme un signe d’instabilité ? Mais cette instabilité, n’est que la conséquence de la décision, pour le coup réellement irresponsable de Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, puis d’attendre septembre pour nommer un nouveau premier ministre qui, n’ayant pas la majorité politique nécessaire devant une gauche enfin unie et un RN cherchant à pousser ses pions, ne pouvait qu’être rapidement censuré, ouvrant une nouvelle zone de turbulence dont Macron n’a visiblement pas encore pris la mesure de l’ampleur[2].

Et cette dernière séquence n’a été que le point d’orgue couronnant la politique, pour le coup stable mais ultra minoritaire, menée avec constance depuis 2017, qui a conduit à l’enrichissement indécent des déjà ultra-riches et à un soutien sans faille des intérêts du capital. Si l’appel à la stabilité, nouveau refrain médiatique, signifie qu’il faut continuer cette politique, on comprend qu’il ne fasse pas l’unanimité de ceux à qui il s’adresse. Et pas une seconde il ne vient à l’esprit de ces pseudos journalistes, dont on se demande bien ce qu’on leur apprend dans leurs écoles, que si la stabilité c’est revenir à la politique de l’offre et son cortège d’inégalités et de destruction des services publics, c’est rendre tout « compromis » impossible en contradiction avec leurs incantations pour en trouver un, par construction inexistant. Finalement « compromis » dans leur bouche n’est qu’un mot vide de sens et « stabilité » un mot d’ordre conservateur voire réactionnaire.

Hélas, l’appel à la « stabilité » semble avoir davantage d’impact sur certaines composantes de la gauche que la demande de compromis n’a pu en avoir à cause de réformes proposées par elle trop incompatibles avec la politique de Macron, qui constituaient des lignes rouges difficiles à oublier. Chez les socialistes bien sûr qui assimilent « parti de gouvernement » à une gestion du capitalisme qui ne bouge pas trop les lignes, ce parti étant convaincu qu’une régulation du capitalisme est possible, malgré l’approfondissement de la crise qui se manifeste aussi bien sur le plan économique (une croissance atone[3], une rentabilité du capital en berne), écologique (le changement climatique s’accélère), social (croissance des inégalités et de la pauvreté) et anthropologique (formatage des personnalités, via notamment les réseaux sociaux et l’IA le plus adaptées possible à être des consommateurs passifs[4]). Mais aussi au parti communiste où Fabien Roussel multiplie les déclarations affirmant son souci de la stabilité et un possible moratoire sur les retraites comme signe de sa bonne volonté à faire durer le macronisme encore un peu, alors que sa date de péremption est largement dépassée.

Mais il ne faudrait pas se laisser intoxiquer par ce déferlement médiatique de haine envers le NFP (et surtout LFI), qui certes fait d’une écoute des « informations » si mal nommées, un motif d’exaspération pour quiconque garde encore un minimum de capacité d’analyse, mais ne doit pas cacher l’essentiel. À savoir une lutte acharnée du capital pour continuer à accumuler sans limite au prix d’une dégradation sans précédent des conditions de vie sur la Terre.

[1] Je ne cite ici que ceux qui semblent les plus emblématiques dans le débat public, mais une politique climatique et des services publics dignes de ce nom ou une sécurité sociale de l’alimentation seraient aussi des sujets sur lesquels le moindre compromis possible s’inscrirait immédiatement contre la politique menée depuis 2017 par Macron.

[2] On pourrait aussi citer sa gestion calamiteuse de la crise en Nouvelle-Calédonie où sa visite éclair loin de régler les choses n’a fait que les empirer. On ne peut que craindre les effets d’une visite du même type à Mayotte après le passage du cyclone qui a fait tant de dégâts.

[3] Il ne s’agit pas de regretter cette croissance faible, puisque la croissance sous le capitalisme implique exploitation des travailleurs (réformes des retraites et des allocations chômage), surexploitation des ressources naturelles et augmentation des émissions de gaz à effet de serre (entre autres signes de crise). Mais de souligner qu’un mode de production qui a besoin de cette croissance pour continuer l’accumulation du capital, n’est actuellement pas capable de satisfaire à cette condition nécessaire à son maintien.

[4] La nomination prochaine de Musk au poste de grand désorganisateur des services publics américains est un symptôme particulièrement net et inquiétant de cette tendance du capitalisme à agir sur le cerveau des humains). On ne peut que se réjouir du mouvement qui pousse de nombreux médias à quitter X et cherche à s’étendre aux titulaires de comptes individuels, en leur demandant de le faire symboliquement le 20 janvier 2025, date de l’arrivée de Trump à la présidence et de Musk à son poste. Voir Helloquittex pour un mode d’emploi.

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