C’est peu de dire que La meute, le livre enquête de Charlotte Belaïch et Olivier Pérou sur LFI a été promotionné. Au top des ventes, il a été agité par François Bayrou, lors de son audition devant la commission d’enquête sur les violences scolaires, comme une preuve accablante de la cabale politique qui s’acharnerait contre lui[1], et commenté à l’envi sur les toutes chaînes de télévision, qu’elles soient généralistes ou d’info continue, sur toutes les radios, dans tous les grands magazines. Il faut donc croire que c’est un événement majeur de l’actualité mondiale qui relègue dans les faits divers le génocide à Gaza, la guerre en Ukraine, les délires de Trump et même l’élection du Pape, qui a un bref moment occupé les médias.
Ce tsunami médiatique n’a guère besoin d’être expliqué tant son objectif est transparent : diaboliser définitivement LFI, le rendre infréquentable et empêcher pour longtemps l’union de la gauche.
Une interview des auteurs à C à vous sur France 5 (voir aussi BFMTV, Quotidien sur TF1, France 24…), l’explicite à mots feutrés. A la question faussement naïve de la « journaliste » demandant si le fait qu’une partie de la gauche continuait à « s’arrimer » à tout prix à LFI et Jean-Luc Mélenchon n’était pas du déni, Charlotte Belaïch répondait : « Ça répond aussi à l’attente encore très forte d’union de la gauche que certains perçoivent » en ajoutant que « Marine Tondelier tient toujours à l’union la plus large possible » (je souligne).
Cet « encore » indique à la fois le regret de cette attente qui dure (trop), et l’effort entrepris avec ce livre pour qu’elle se termine sur la désunion, quant à ce « toujours » il pourrait être remplacé par « hélas pour l’instant ».
Mon propos ici n’est pas de critiquer le contenu du livre (que je n’ai pas lu et que je ne connais que par les interviews des auteurs sur divers médias et quelques réactions critiques comme celle de Manuel Bompard sur BFMTV le 6 mai), mais de tenter d’insister sur ce que révèle cette surexposition accordée à la sortie d’un simple livre.
Marx écrivait à un ami lors de la sortie du Capital, que c’était « certainement le plus terrible missile qui ait encore jamais été lancé à la face des bourgeois (y compris les propriétaires fonciers) ». La meute en est-elle un autre exemple, les bourgeois laissant la place à l'union de la gauche ? On verra bien, mais on peut constater que pour l’instant les bourgeois et les propriétaires fonciers se portent toujours bien.
En tout cas, il est clair que c’est ainsi qu’elle est promotionnée, comme un missile visant LFI en son cœur, Jean-Luc Mélenchon, pour le décrédibiliser le plus possible et donc empêcher toute victoire électorale de la gauche, puisqu’il est évident pour tout le monde que sans cette union qui rassemblerait tous les électeurs qui votent habituellement à gauche, quels que soient les partis auxquels ils accordent généralement leurs voix, il n’y aurait pas de match, la droite et l’extrême droite se disputant le pouvoir.
En fait, ce que révèle cet acharnement médiatique c’est, une fois de plus, la dissymétrie entre le traitement des différents partis. Pour tous ces médias, s’il y a deux extrêmes, LFI et le RN, il y en a un qui est plus extrême que l’autre. On ne peut que constater avec Johan Chapoutot le parallèle entre notre situation et celle qui existait en Allemagne à la veille de la prise de pouvoir d’Hitler, avec là-aussi, la « condamnation des extrêmes et la précision immédiate, que certains sont plus "extrêmes" que d’autres, que ceux qui défendent la nation, les valeurs et la propriété seront toujours préférables à la gauche » (p. 272)[2].
À quand la même enquête sur Marine Le Pen et son emprise sur le RN avec la même publicité au lieu de la voir en couverture sur tant de magazines complaisants ?
Pourquoi n’a-t-on pas invité avec le même empressement Marc Joly, auteur de La pensée perverse au pouvoir[3], un livre sur Macron où l’on peut apprendre toute la considération qu’il a pour ses propres partisans. Il vaut le coup de le citer un peu longuement. « Des personnes pleines d'enthousiasme et d'illusions en particulier des femmes, collaboratrices, militantes, ministres, personnes lambda etc, Emmanuel Macron en aura fait pleurer ou rendu malade plus d'une depuis qu'il a entamé sa conquête du pouvoir politique » (p. 240), ou encore « En matière de gestion humaine c'est un tourmenteur euphémise quelque peu le journaliste Ludovic Vigogne : "Les bons sentiments ne régissent pas vraiment son comportement. Les supplices ne sont pas le moindre de ces délices" » (p. 241)[4]. Si Mélenchon a des comportements intolérables, peut-on ne rien dire quant à ceux de Macron avec la même insistance ? Et ce d’autant plus que si l’un des arguments systématiquement mis en avant en s’appuyant sur le livre tient en un syllogisme :
1 Mélenchon fait preuve d’un comportement antidémocratique au sein de LFI
2 Il se fait le héraut d’une 2 VIème République
3 Donc[5] la VIème République ne peut pas être démocratique
On peut lui répondre par cet autre,
1 Emmanuel Macron martyrise son entourage
2 Il gouverne la France sans écouter personne
3 Donc, il devrait démissionner
Car si on ne peut induire du comportement de Mélenchon ce que serait la prochaine République, Emmanuel Macron fait la démonstration tous les jours de son mépris de la démocratie. C’est donc bien pire parce que nous en vivons les effets (destruction des services publics, dérégulation du droit du travail, politique migratoire, fiscalité injuste,…), et pourtant les médias se taisent (et même pour beaucoup le soutiennent[6]).
Il serait trop long (et inutile) de recenser l’ensemble des exemples qui illustrent ce traitement « privilégié » de LFI, mais je ne résiste pas à vous inciter à aller écouter cet extrait d’une chronique de Clément Viktorovitch où l’inénarrable Pascal Praud, « dialogue » avec un auditeur de LFI à propos du livre[7]. Ce dernier lui demande pourquoi il n’a pas donné la même publicité aux enquêtes sur Bolloré ou Hanouna et Praud lui répond en bafouillant qu’il n’y a pas eu d’enquêtes sur eux. L’auditeur fait mine de s’étonner et cite les Compléments d’enquête qui leur ont été consacrés que Praud ne semble pas connaître et dont il nie même l’existence (sauf erreur de sa part dit-il). Puis expliquant qu’il n’avait jamais rien entendu contre les « personnages cités » (entendez Bolloré et Hanouna), il demande benoîtement ce qu’on reprocherait à « Cyril ». L’auditeur parle alors de son côté tyrannique, du fait qu’il parle mal (un euphémisme), à ses collaborateurs ce qui rend Pascal Praud sans voix, sinon quelques gargouillis.
Alors s’il fallait dénoncer une meute, il faudrait s’attarder sur celle que constitue les médias qui illustrent parfaitement la définition même d’une meute : Bande, troupe de personnes qui harcèlent quelqu'un pour en obtenir quelque chose ou qui s'acharnent à sa poursuite pour lui nuire, le perdre.
Critiquer Mélenchon, donc LFI, donc toute chance d’une victoire de la gauche, voilà l’objectif évident que poursuit cette meute médiatique qui s’agite avec tant de persévérance.
Ce qui ne veut pas dire que Mélenchon ne soit pas critiquable, ni qu’il soit le meilleur candidat d’union pour espérer aller au second tour[8]. Mais il s’agit d’un autre débat, plus large et sans doute plus essentiel, qui quitte un peu Mélenchon pour discuter de la tactique et de la stratégie de LFI. Ce débat a notamment été entamé sur Mediapart et Regards avec les contributions de Samuel Hayat, de Hendrik Davi et de Roger Martelli, et j’y reviendrais dans un prochain billet.
Mais pour en revenir à la meute médiatique, on peut souligner son caractère paradoxal si on définit une meute comme une bande suivant aveuglément un chef (c’est évidemment ce qui est sous-entendu dans les critiques de Mélenchon, en particulier en insistant sur les « purges », il est le chef et il ne veut voir qu’une tête). Car on pourrait alors remettre en cause la qualification des ces médias comme une « meute » au motif que ce serait lui supposer un chef introuvable (et on ressort bien-entendu la « théorie du complot »).
Pourtant, si je concède volontiers que ces attaques médiatiques qui apparaissent coordonnées ne le sont en fait par personne[9], elles le sont négativement précisément par Mélenchon lui-même qui sert de point commun de ralliement et coordonne sans le vouloir ce déchaînement médiatique. Il y a donc bien un chef et celui-ci c’est Mélenchon, qui déclenche un réflexe pavlovien de rejet.
Mais il ne faut pas s’y tromper, Mélenchon n’est qu’un prête-nom et le véritable chef occulte et inavouable de cette meute médiatique, c’est la haine de la gauche et d’un minimum de justice sociale.
[1] Même si on ne voit pas trop en quoi ce serait une preuve qui dédouanerait Bayrou de son écrasante responsabilité dans l’affaire Betharam. Mais il faut reconnaître qu’il est souvent bien difficile de comprendre le cheminement de la pensée bayrouienne.
[2] Johan Chapoutot, Les irresponsables, Gallimard, 2025.
[3] Marc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Onamosa, 2024.
[4] On lira aussi avec intérêt (pp. 242-244), l’histoire du burn-out de Marie Tanguy, qui a été une de ses « plumes » durant la campagne de 2017, et qui témoigne de la « brutalité impitoyable » de Macron « avec sa team ». Elle en a tiré un livre, Confusions, JC Latès, 2020.
[5] Une conclusion qui fait d’ailleurs preuve d’une étonnante capacité à prévoir l’avenir.
[6] Ah Nathalie Saint-Cricq !
[7] Toute la chronique vaut le coup, mais si vous êtes pressés, vous pouvez commencer à 5 mn 25.
[8] Pour ma part je ne le pense pas et si j’en juge par beaucoup de personnes proches qui affirment haut et fort qu’ils ne voteront plus jamais pour lui, je crains d’avoir raison. Je sais en écrivant cette note que je risque de déchaîner quelques réactions de quelques-uns de ses partisans, mais j’ajoute, dans l’espoir de désamorcer un peu les critiques, qu’en ce qui me concerne, si Mélenchon était présent au second tour contre qui que ce soit de droite extrême ou d’extrême droit, je voterais pour lui.
[9] On pourrait évoquer la « main invisible » d’Adam Smith et la miraculeuse coordination du marché.