C’était le dernier mot d’ordre (à tous les sens de ce mot qui pourrait résumer à lui seul l’idéologie de la droite et de l’extrême droite) pour appeler les partis de gauche à la raison en leur demandant gentiment de ne pas mettre la France en pagaille en refusant tout « compromis ».
Bien sûr, une « raison » très particulière qui se résume à tout faire, « quoi qu’il en coûte », pour satisfaire aux besoins du capital, c’est-à-dire à continuer à subventionner à coup de dizaines de milliards les entreprises industrielles sans aucunes contreparties et à poursuivre la destruction des services publics et du droit du travail pour permettre au marché « libre » d’augmenter la rentabilité en berne des investisseurs de la finance. Des contreparties qu’elles sont de toute façon incapables d’accepter, faisant preuve, ellesaussi, de cette culture du compromis si chère à la droite (macronisme inclus qu’il faut arrêter de situer au centre alors qu’il laboure de plus en plus le territoire de l’extrême droite) et que Macron ne cesse de mettre en œuvre. Et un marché jamais assez « libre » pour permettre à l’accumulation du capital de continuer à tout détruire. Mettre la « pagaille » serait donc ne pas continuer cette politique qui a donné de si bons résultats pour le capital.
Finalement, après des tentatives pitoyables de convaincre des composantes du NFP (toutes à l’exception de LFI), sinon de participer au gouvernement[1], du moins de s’engager à ne pas voter la censure en échange d’un plat de lentilles (une promesse de ne pas utiliser le 49.3 sauf en cas de blocage, alors que c’est précisément un blocage qui conduit à l’utiliser, rendant la promesse intenable, et un débat de neuf mois sur la possibilité d’une étude sur la réforme des retraites tout en la maintenant en attendant), c’est donc un « nouveau » gouvernement annoncé comme promis (au moins une promesse tenue) avant Noël.
Et là, côté stabilité, il n’y a pas de quoi être déçu ! C’est même une stabilité renforcée puisqu’elle innove avec le gouvernement Barnier en reconduisant 19 de ses ministres dont 14 aux mêmes postes et qu’elle fait revenir des ministres du gouvernement précédent comme Darmanin (à la justice, le macronisme ira jusqu’au bout de l’abjection !) ou Borne qui ont largement fait la preuve qu’ils sont capables de changer de politique.
Il n’y a donc aucune surprise à attendre ; la politique qui sera menée ne peut être que la poursuite de celle que les Français ont déjà refusée dans les urnes, et même son aggravation[2], compte tenu du fait que le RN est une fois de plus en position d’arbitre comme sous Barnier (il a déjà obtenu la tête de Xavier Bertrand), mais avec encore plus de possibilités d’imposer ses obsessions sur la sécurité et l’immigration, puisque Bayrou, informé par la chute de Barnier, doit parfaitement savoir que s’il ne cède pas aux injonctions les plus pressantes du RN, il sera censuré. Et ce n’est évidemment pas Retailleau et Darmanin qui seront des obstacles à l’influence du RN. Et quand celui-ci considérera qu’il a suffisamment obtenu de ce gouvernement, il le censurera de toute façon, puisqu’il ne peut pas se permettre, au fur et à mesure de l’approche des présidentielles, de continuer à apparaître comme un soutien de la politique de Macron.
Mais « en même temps », le NFP ne peut pas non plus se fracturer au risque, pour ceux qui choisiraient la rupture, d’être considérés par les électeurs de gauche comme des soutiens de fait de Macron et pas à l’insu de leur plein gré. On peut donc espérer qu’au fil de l’action du gouvernement montrant clairement à l’opinion publique que sa conception de la stabilité n’est pas du tout le souci d’une vie politique apaisée et démocratique, mais le maintien des intérêts du capital, le NFP soit vraiment une force d’opposition soudée, décidée à tourner le dos à la politique de l’offre, à la poursuite des inégalités, à l’arrêt de la destruction des services publics et à une conception positive de l’immigration qui n’en fait pas un épouvantail mais un atout (aussi bien pour la France que pour les immigrés).
Alors, à quoi peut-on s’attendre pour la suite ? D’abord un enchaînement de gouvernements tous les trois mois en suivant le même scénario : censure du gouvernement en place, une semaine (minimum) pour la désignation d’un premier ministre[3] et encore dix jours pour un « nouveau » gouvernement sur le modèle des chaises musicales. Ce serait évidemment une forme très particulière de stabilité dont il n’est pas sûr que les marchés financiers apprécient longtemps le charme. Ce processus est difficile à imaginer durer jusqu’à la prochaine présidentielle (putain, encore deux ans !), car là, un soutien de Macron qui se serait aligné jusqu’au bout sur cette ligne aurait très peu de chances d’être élu[4], ouvrant la porte à un duel NFP/RN bien incertain. Car il n’est pas sûr du tout que le « front républicain », qui avait dit non au RN aux dernières législatives, se reconstitue à ce moment-là, car le capital préférera toujours l’extrême droite en cas de crise profonde, surtout dans un contexte international qui la voit gagner en influence un peu partout en Europe. LR en a déjà donné l’exemple en refusant le front républicain en juillet dernier.
Comment ce processus pourrait-il donc prendre fin ? On peut écarter tout de suite l’idée d’une démission de Macron. Comme l’écrit Marc Joly dans son livre La pensée perverse au pouvoir[5], Un tel homme, n’en doutons pas, ne démissionnera jamais de son plein gré, en se pliant à des principes éthiques et moraux supérieurs. « Il ne poursuit que son propre intérêt narcissique et pratique : garder le pouvoir le plus longtemps possible, quitte à remettre régulièrement en selle une extrême droite qui aurait dû sortir considérablement déconsidérée des dernières séquences électorales. »
Dans un billet précédent, j’écrivais qu’une dissolution de l’Assemblée en juin était peu probable à moins que Macron ne veuille pousser le RN à Matignon dans l’idée qu’il se déconsidérera, permettant alors l’élection d’un macronien qui conduise la même politique et lui permette d’envisager son retour en 2032[6]. Mais le jeu d’un gouvernement de chaises musicales augmente fortement cette probabilité, ce qui serait l’aboutissement logique pour un président qui avait juré de tout faire pour que les Français ne votent plus pour le RN et qui a mené une politique qui n’a fait, non seulement que le renforcer, mais de le mettre dès aujourd’hui en position de force pour imposer ses idées nauséabondes.
Sinon, il lui resterait la possibilité d’avoir recours à l’article 16 lui donnant les pleins pouvoirs. Une idée qui commence à bas bruit à être justifiée par des constitutionnalistes comme Benjamin Morelou dans Ouest-France, où il déclare que "si vraiment on n’a pas de budget, on pourrait estimer que potentiellement, les conditions pourraient être remplies", mais aussi évoquée dans de plus en plus d’articles de presse (citons par exemple Le Point, La Dépêche, La Voix du Nord, Midi Libre,…) où l’on ne fait pour l’instant que poser (gravement ?) la question, certes sans y répondre, mais insinuant progressivement l’idée que ce serait possible. Europe 1 laissant même entendre que Macron en aurait discuté avec plusieurs proches (hypothèse immédiatement démentie par l’Élysée, ce qui n’est pas fait pour rassurer).
Cette hypothèse serait finalement une issue cohérente avec sa « folie narcissique (et) sa pensée perverse (qui) l’obligent à prendre conscience de contraintes structurelles qui ne disparaîtront pas et dont on peut représenter la force d’enchaînement à l’aide de la formule suivante : crise de la violence symbolique = imposition de l’arbitraire de la domination via la violence morale + radicalisation du monopole étatique de l’exercice de la violence physique » (Marc Joly, op. cit.).
Une violence physique dont on a déjà vu des premières manifestations et qui devient de plus en plus nécessaire dans la mesure où il est difficile de faire approuver « démocratiquement » une politique austéritaire qui ne profite qu’aux plus riches et que réclame de plus en plus le capital financier, seul moyen pour lui d’espérer maintenir la rentabilité qu’il exige[7].
Car s’il est bien quelque chose qui reste stable dans le capitalisme, et qui rend sa « régulation » impossible, c’est la nécessité de continuer à accumuler du capital en épuisant la nature et le travailleur, comme le notait déjà Marx.
[1] Encore qu’il ne soit pas certain que Bayrou n’ait pas pensé que son « charisme » pouvait réussir à en séduire certains.
[2] Une seule lueur d’espoir, la nomination de Valls à l’Outre-mer qui laisse augurer d’excellentes choses pour la Nouvelle-Calédonie et Mayotte.
[3] Il y a pour l’instant encore de nombreux candidats qui aspirent à ce poste, ce qui pose des questions sur le flair politique d’un personnel macronien qui serait persuadé de « réussir » là où leurs prédécesseurs ont échoué. D’où finalement un tarissement progressif des potentiels candidats, surtout qu’à l’approche des présidentielles, le poste de premier ministre de la « stabilité » deviendrait de moins en moins une carte de visite attirante pour les électeurs.
[4] Ce qui risque de conduire à des prises de distance vis-à-vis de Macron de tous ceux qui aspirent au pouvoir.
[5] Une lecture indispensable à qui veut comprendre Macron qui peut être complétée par cette interview de Marc Joly sur Blast.
[6] « Il est probablement illusoire de croire que nous en aurons fini avec lui en 2027 (ou avant). » Marc Joly
[7]
Jean-Marie Harribey et Romaric Godin éclairent parfaitement ces contraintes, le second concluant son dernier billet consacré à Eric Lombard, un « Macroniste de la première heure, (qui a) le principal défaut de ce président : son anachronisme, dont le seul salut réside dans l’autoritarisme ».
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