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Billet de blog 30 janvier 2025

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La « gaffe » de Bayrou ?

Loin de faire une faute, morale ou pas, Bayrou fait reculer le risque de censure en donnant des gages au RN qui ne peut qu'applaudir en renforçant son emprise sur le gouvernement

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En parlant de submersion pour décrire le sentiment que les Français auraient de l’immigration aurait-il fait une faute le déshonorant comme l’expliquait Mediapart qui ajoutait que, s’en apercevant sans doute, il « a tenté d’éteindre la polémique née de ses propos sur l’immigration » ?

Ce qui est sûr, c’est qu’il a mis dans l’embarras le Parti socialiste qui a remis sur le métier la menace de la censure lors du prochain vote du budget. Toutefois, comme le dit le député Laurent Baumel, « la décision tient aussi à d’autres facteurs, notamment aux concessions sur le budget ». Il laisse ainsi malgré tout la porte entre ouverte pour que le PS ne vote pas la censure au motif qu’ils auront finalement obtenu des concessions suffisantes. Et le PS annule la dernière réunion de négociation avec Bayrou en réclamant un budget où la suppression des 4 000 postes d’enseignants votée par le Sénat soit annulée, que les deux jours de carence supplémentaires pour les fonctionnaires le soient également, que l’annulation du remboursement partiel des médicaments soit confirmée ou que la taxation des plus riches le soit aussi.  Certes, on le verra après la commission paritaire, qui devrait sans doute « assouplir » la copie du Sénat, en particulier en revenant sur la suppression des 4 000 postes d’enseignants sur laquelle Bayrou avait pris un engagement, confirmé par l’opposition du gouvernement lors du vote du Sénat qui était passé outre, mais le PS se serait sans doute bien passé de paraître revenir sur sa décision antérieure de non-censure.

Ceci-étant, Bayrou aurait-il fait une gaffe en parlant de submersion ou aurait-il dit ce qu’il pense vraiment de l’immigration en partageant ce « sentiment » qui serait celui des Français sur le sujet ?

Je pense qu’il faut répondre par la négative à cette question et qu’il faut au contraire y voir une manœuvre politique habile le conduisant à repousser le risque d’une censure à plus tard. Bien sûr Bayrou n’est pas un orateur, il s’exprime souvent de manière embrouillée (même si on peut parfois le soupçonner de le faire exprès), et il n’a pas un charisme qui saute aux yeux. Mais il barbotte depuis trop longtemps dans la politique, au sens le moins noble de l’expression, pour qu’il se déconsidère en quelques mots. Henri IV, son modèle, s’était bien converti au catholicisme arguant que Paris valait bien une messe, et lui il doit penser que son poste vaut bien un flirt prononcé avec le RN.

Car loin d’avoir « tenté d’éteindre la polémique née de sens propos sur l’immigration » comme l’écrit dans Médiapart Ilyes Ramdami, tout en notant qu’il n’en avait pas retiré un mot lors de sa réponse à l’interpellation de Boris vallaud à l’Assemblée nationale, il a au contraire confirmé que submersion était bien le mot adéquat pour décrire se fameux sentiment des Français (un sentiment qui n’est d’ailleurs pas celui des entreprises de BTP ou de restauration qui utilisent sans états d’âme une main d’œuvre émigrée souvent sans papiers).

Et ce refus de revenir sur son propos, un refus applaudi chaleureusement par le RN, déclenchant un sourire de Marine Le Pen et salué par Darmanin et Retailleau, dévoile le sens profond de sa déclaration : donner au RN une bonne raison de ne pas voter la censure, puisqu’en marchant sur ses plates-bandes (et même au milieu de son jardin), il lui donne le meilleur gage possible de sa dépendance envers lui. Ce qui ne peut qu’inciter ce dernier à l’accroître encore pour obtenir un peu plus, avant de se décider à couper le cordon par lequel il tient le gouvernement quand la présidentielle se rapprochera, pour laquelle il ne peut pas apparaître comme un soutien de Macron s’il veut se crédibiliser comme l’alternative dont la France a besoin.

Ce faisant, Bayrou est encore plus dépendant du RN que ne le fut Barnier, mais il écarte pour un temps le risque de la censure puisque sans les voix du RN celle-ci est impossible.

Dès lors, quoi que fassent les socialistes, il n’a pour l’instant pas besoin d’eux, les laissant à leurs contorsions, pris dans leur argumentation de la nécessité (selon eux) de donner une stabilité à la France, c’est-à-dire de continuer la politique voulue par Macron et d’accepter in fine un budget encore plus austéritaire que celui de Barnier.

Non, Bayrou n’a pas fait une « gaffe », il réussit à se donner encore un peu de temps tout en laissant le PS en proie à ses vieux démons qui ne vont pas le grandir chez les électeurs du NFP.

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