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Billet de blog 10 mai 2013

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BLOG À PART – 13 –

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Marc, longtemps, s’était levé de bonne heure. Cela s’ajoutait à la chance de disposer d’une grande terrasse, la chance offerte aux topinambours. Pourtant Marc ignorait comment Charlotte accepterait sa nouvelle passion, lubie qui devrait cohabiter avec sa culture hors-sol. En effet  ce nouveau dada supposait un aménagement très osé de la terrasse pour y reconstituer une plage semblable à celles des côtes d’Amérique du Nord et tout l’écosystème marin qui permettrait les recherches qu’il avait décidé d’entreprendre sur la vie des limules. Comment ces animaux avaient survécu trois cent cinquante mille ans, indifférents au sort des dinosaures, chélicérés au sang bleu dont la progéniture ne peut éclore qu’à la pleine lune au début de l’été et dont les femelles doivent accepter une surpopulation masculine trois fois spectatrice de leurs ébats. Les travaux s’annonçaient longs et ardus tant il était peu commun d’aménager une plage de bord de mer sur un toit parisien. Marc avait heureusement prévu de réserver un petit coin cosy aux bons moments accordés par Charlotte, Charlotte si désireuse de profiter des beaux jours pour offrir au soleil ses atours langoureux. Il croyait à la force du temps  au point que le coup de sonnette insistant de Charlotte  ne précipita en rien sa descente du colimaçon vers la porte palière. Marc sut gré à Charlotte de s’être passée de faux cils pour qu’il puisse lui parler des limules alors qu’elle n’avait qu’une envie, lui conter ses dernières lectures, des trouvailles que Médiapart lui avait fait découvrir et l’intérêt qu’elle portait aux librairies qu’on disait en danger. Marc dut avouer que ses nouvelles recherches retardaient la rédaction du treizième épisode du « Dos des Pseux ».

« LE DOS DES PSEUX » épisode n°13

Gersainte en dressant la terrasse du Splendid se disait qu’il était heureux que l’Armistice précède l’Ascension pendant que le Quatar sauverait sa recette cause au match de foot amenant quarante mille hominidés dans les parages assoiffant. Justin s’était absenté rapport à l’enterrement de son grand père à Aurillac ; laisser à Gersainte la charge de l’établissement était moins lourde en période de ponts, les fûts de Tuborg feraient la soudure tant la clientèle s’étiolait.

Il n’en allait pas de même sur la terrasse opposée sur laquelle les hôtesses montantes célébraient l’Ascension à leur manière orientale mais rémunératrice. Nos trois policiers complaisants ayant réussi à poser leur journée simultanément, les ébats taisent leurs pleins dans l’indifférence du voisinage plus préoccupé du parking des motos envahissant sauvagement la place Paul Décibel.

Fabrice Dugenou, sa si-bémol Buffet Crampon sortie de son étui douillet s’était permis une romance qui célébrait l’intervention des Parcs et Jardins venus retirer le macadam indélicatement déposé au pied des arbres par le gérant zegsotique  des « Sept stades du plaisir».  Il n’eut pas le temps de voir celui qui eut le culot de lui jeter une pièce rouge d’une fenêtre déjà refermée. Son ami GW venu le rejoindre lui apportait quelques nouvelles du fils caché de Sophie Calle qu’on installait au Palais de Tokyo.

Pendant ce temps, au bar du Splendid, l’ami Spission abusait tant de la Suze qu’il demandait vainement autour de lui comment il était possible qu’il y eut des comptes off-shore au Luxembourg alors qu’aucune mer ne le borde. Gersainte eut le mot qu’il fallait, pas de compte mais des contes, bien plus jolis quand ils évoquent des golfes clairs.

Ainsi va la vie de la Place pendant que les plumeaux récemment plantés par la Mairie s’évertuent à bourgeonner laissant aux Parisiens l’illusion de croire qu’un printemps n’est pas à vendre.

Charlotte avait apporté quatre gros volumes dont elle souhaitait parler avec Marc qui, lui, n’avait qu’une idée, à cet instant, les limules et leurs amours de pleine lune.

Christine Marcandier dans Médiapart avait écrit une critique de « Karoo », chef d’œuvre magnum de Steve Tesich. Curieusement c’est l’évocation du colophon en fin d’ouvrage qui avait éveillé l’appétit de Charlotte, un ouvrage dont la couverture « imprimée en offset sur du natural sable méchamment frappé  pour lui faire payer ». Elle s’était résignée à le commander sur Amazon, sa librairie favorite étant fermée pour changement de propriétaire. Déçue par l’emballage précaire qui avait causé une corne malvenue à l’inférieur droit de l’ouvrage, elle avait laissé sa lecture en plan. La vitrine de nouveau libérée des papiers krafts qui l’occultaient attira le regard de Charlotte. Un nouvel opus du même éditeur Monsieur Toussaint Louverture, À l’épreuve de la faim de Frederick Exley. Cette fois la couverture  «  en carton gris de 350grammes, imprimée en offset, durement foulé, puis déchiré » laissait apparaître un portrait d’Exley, tête baissée, cigarette au bec. Ce journal « d’une île froide » décrit les obsessions d’écriture d’un alcoolique déjà auteur « du dernier stade de la soif ». À  croire que la littérature étazunienne n’est plus que l’expression d’un désespoir imbibé quand Charlotte préfère relire « Louons maintenant les grands hommes » de James Agee. C’est son ami GW qui lui avait recommandé la réédition dans Terre Humaine, chez Plon. La réserve qu’il avait évoquée sur la grotesque mise en paquet sans la moindre légende des photographies de Walker Evans, au début de l’ouvrage traduisait le mépris pour la Photographie qui existe encore parmi nos pensants… GW s’était fait le plaisir de lui montrer l’édition originale de ce reportage que les deux amis avaient réalisés  sur la misère des métayers du Sud des Etats Unis dont le coton ne viendrait pas à bout de la crise si coton de 1929. Agee décrit avec une précision diabolique les intérieurs, les paysages pendant que Walker Evans photographie. Eux deux inventent la documentary poetry et personne ne saura ce qu’Agee aurait écrit s’il n’avait pas été victime d’un infarctus en 1955.

Le quatrième volume, le mot volume convient aux onze cent pages des « Histoires parallèles » de Péter Nádas, c’est le brillant article d’Antoine Perraud qui avait décidé de l’achat par Charlotte. Une couverture à la Soulage pour ce roman de la terre d’érection dans lequel les parallèles sont très horizontales… Un fleuve noir pour exhorciser la barbarie nazie en une libération des corps plus crue que les libations alcooliques de nos américains.

Marc fit remarquer à Charlotte que ce jour de célébration de l’abolition de l’esclavage, son choix d’un éditeur Monsieur Toussaint Louverture était prémonitoire et qu’une corne sur le Karoo ne dérangerait pas les accouplements de ses limules récemment immergées sur sa plage en terrasse. Les œufs de limules feraient le bonheur des bécasseaux migrateurs devenus si présents sur les rivages parisiens.

articles en références:

http://blogs.mediapart.fr/edition/bookclub/article/090412/karoo-chef-doeuvre-magnum

http://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/170312/peter-nadas-et-le-roman-de-la-terre-derection

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