Que l’on ait trouvé en Bavière dans une carrière du jurassique supérieur un fossile de limule de cent quarante millions d’années n’émouvait pas tant Charlotte que le poème de Laure Missir dans le petit recueil (« La lumière change de robe ») qu’elle avait acheté pour Marc au Marché des Poètes :
Enfouis comme des racines dans les terres chaudes, mes gestes lents remontent sous ses encres transparentes.
Des frissons à peine pubères laissent d’imperceptibles traces
L’ombre trouble de mes murmures s’étend sur sa poitrine et sa peau constellée d’ocre blond.
Une limule, une taupe, un tatou et je ferai de notre amour un diodon habitable.
Marc était intrigué par la mort de ce fossile survenue alors que la limule tournait en rond.
À Charlotte il ne trouva rien de mieux à dire que sa culture hors sol de topinambours lui évitait les taupes. La poésie n’évoquait rien pour lui et des tatous sans âge à la carapace plus lisse que le diodon fâché ne pouvaient le distraire de sa recherche.
Marc passait ces journées de canicule du mois d’août à guetter l’improbable arrivée sur sa terrasse de bécasseaux maubèches dont il avait lu qu’au New-Jersey et au Delaware ces migrateurs se nourrissaient tant des œufs de limules que l’administration avait interdit qu’on en péchât la moindre.
Charlotte dont le charme ravissait Marc toujours plus lui balança : tes taxons monophylétiques sortis du clade des ecdysozoaires laissent tes lecteurs impatients de la suite du « Dos des Pseux ». Pas de repli possible, Marc s’exécuta.
« LE DOS DES PSEUX » épisode n°16
Les tentatives de Lassido d’apporter aux conversations du bar du Splendid la hauteur que la proximité de la place Paul Décibel de la porte de Saint-Cloud supposait, se heurtaient souvent à la dictature des sujets distillés par la presse papier déposée sur le comptoir par Gersainte. Lassido venait de lire l’inquiétude des utilisateurs du « Claoude », alias le cloud, que le NSA piratait allègrement. Alors le cloud pas si saint que la porte le dit ?
Le commissaire Caramail, lui, n’était pas sur un nuage. Sa dernière recrue, Gertrude, avait surpris le Maire de l’arrondissement dans les bras d’une jeune hôtesse segsotique à l’étage des « Sept stades du plaisir ». Le zèle de Gertrude contrariait les efforts du trio, David, Kader et Pepino dont les petits arrangements n’avaient pour but que de faciliter le petit commerce.
Gersainte tyrannisait son Justin pour qu’au comptoir il concoure à faire signer la pétition du Maire demandant l’annulation de la décision d’ouvrir une antenne de Pôle Emploi sur la place Paul Décibel. Les cabrioles du Maire n’allaient pas faciliter une telle décision quand il s’avérait si important qu’on ne puisse laisser penser que le quartier serait un repaire de flémards. Les associations de riverains avaient pourtant réussi à bloquer tous les projets de construction de logements sociaux dans le quartier, pas question que la justice vienne contrarier une telle solidarité pour quelques cabrioles à mettre au compte de la chaleur.
Caramail trouva dans sa décision de partir en vacances le moyen de ne pas déroger à son inflexible attachement au respect de la loi.
La reprise du foot occupait le terrain ou plutôt le comptoir. Le tessetil des nouveaux maillots « Fly Emirates » laissait perler les Tuborg malencontreusement renversées et les remettez nous ça de Justin ravissaient Gersainte attentive à sa recette. Spission s’étonnait que le Quatar ait mis tant de millions au rachat des magasins du Printemps alors qu’il suffisait de quelques pas pour acheter les produits dérivés du PSG.
L’arrivée au petit matin d’énormes machines venues raboter l’enrobé bitumineux de la place donna le coup de grâce aux terrasses obligées à un repli stratégique. Le bruit et la poussière desséchèrent quelques gosiers pendant que les zotomobilistes erraient à la recherche de leurs limousines enfourrièrées. Le mois d’août est décidément contraire à la reprise des affaires, les vraies, pas celles qui découlent de cabrioles.
Marc remonta sur la terrasse s’assurer que le soleil de midi ne détraquerait pas sa machinerie complexe mariant marées et clairs de Lune. Qu’il ait lu que les limules ait dix yeux ne l’aidait pas à comprendre qu’elles aient besoin d’un clair de Lune pour s’accoupler. Un autre texte, semble t’il plus scientifique décrivait leur corps en deux parties. Un prosome ou céphalothorax antérieur et un opisthosome ou abdomen postérieur. C’est bien sur ce prosome que perchent des yeux composés latéraux. Deux ocelles centraux et des ommatidies nombreuses composent ces yeux bien incapables de voir ce telson, cette longue pointe en épée qui justifie leur classification dans les xiphosures. Charlotte accourue à la rescousse rappela à Marc que le grec xiphos est l’épée quand l’uros est la queue.
Lancinante question pour Marc, la survie des limules à la disparition des dinosaures. Il avait donc décidé d’entreprendre des expériences très sophistiquées pour faire avouer l’inconscient des ses protégées et trouver ainsi la solution la plus contemporaine à un mystère antédiluvien. Qu’elles résident ordinairement par trente mètres de fond pour ne venir se concentrer sur le sable des plages pour pondre leurs cinq cent mille œufs au mètre carré qu’une fois l’an ne facilitait pas la tâche de l’analyste. La solution viendrait peut-être de la compréhension de l’addiction aux œufs de limule des bécasseaux.
Charlotte réfugiée à l’étage inférieur à la terrasse s’émouvait du bruit de la machinerie qui raclait sans répit le fond du bassin pour un ressac et une marée de synthèses. Plus question de profiter d’un bain de soleil, seule la lecture sauverait le reste de ses vacances. Et Marc ne se doutait pas qu’elle pense encore à ce Daniel qui chantait si bien Mozart tout en arborant ses pectoraux sur sa Harley Davidson…
Marc devra bientôt réaliser que les sentiments sont aussi fragiles qu’une bande de dinosaures en chasse de limules. Attendons le prochain épisode…