D'abord, on ne voit que l'éphémère proximité de circonstance qu'impose la rame de métro. Il faut se chercher une place parmi ceux qui sont là. Trouver sa place ? Ici et maintenant. À bonne distance, ménageant autour de soi le matelas d'espace vide, l'armure immatérielle préservant des contacts avec les autres corps dont la présence repousse, attire, est en secret maudite les soirs de lassitude. Puis l’œil repère le siège vide quand le pied franchit les portes et que la sonnerie couine l'annonce du départ ; il se saisit déjà du strapontin disponible, précédant la main impatiente et soulagée qui le dépliera. On s'y case, dans notre petit coin, notre territoire pour une poignée de stations. On se loge dans le cadre, on s'agrippe fermement où l'on peut, on se compose une attitude. Et l'on replonge aussitôt dans l'univers presque étanche qui est le nôtre et que l'on transporte partout avec soi : nos lectures, nos téléphones, nos musiques, nos conversations. Les yeux se ferment ou bien se perdent dans le vague, suivent les reflets sur les vitres, les caractères alignés sur la page. On attend, bousculés un peu par le mouvement inégal du train, par l'entrée et la sortie toujours précipitée des voyageurs. On patiente, jusqu'à destination, un enfant, parfois, assis sur nos genoux. Soudain, voilà que l’œil quitte l'observation flottante des modèles variés de chaussures, réunies par paires autour de la barre nickelée. Il se hisse, accroche un couple enlacé. Enfin l’œil s'élève jusqu'à découvrir, peut-être, ce que tu ne peux qu'imaginer : le hors-champ.
Texte de Juliette Keating - 17 juin 2015
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