Ce jour là le printemps ajoutait un beau soleil au paysage que le nouvel habitant du quartier devait apprivoiser. Ne lui donnons pas de nom, ce qui pourra laisser le lecteur imaginer qu’il n’est pas tout à fait étranger au narrateur.
Dans un vacarme permanent augmenté du hululement d’énormes turbines soufflant les gaz nauséabonds vomis par le tunnel, notre ami sortait de l’immeuble paré de briques rouges qu’on dit de Vaugirard pour espérer pouvoir traverser la passerelle qui enjambe le périphérique, juste avant le Parc des Princes.
La fréquentation cyclique de ce stade par des hordes au vocabulaire simplifié a contraint la voirie à la pose de barrières métalliques prudemment scellées dans le bitume. Il s’apprêtait à rejoindre sa modeste monture à quatre roues garée dans le parking accessible par la fameuse passerelle quand il fut intrigué par un antivol, d’ordinaire accessoire de vélocipède, accroché à la barrière. Il est en effet surprenant qu’un antivol s’attache autant à une barrière peu prête à l’envol. Un rendez-vous urgent ne lui laissa pas le loisir d’enquêter plus avant sur la présence de cet anneau à la couleur rose bonbon tranchante sur la rouille d’un métal jadis tristement marron.
Cet il sus nommé, exerçant une profession sensée nécessiter un certain sens de l’observation, s’était déjà attelé à déchiffrer les petits manèges des messieurs et mesdames déambulant dans son nouveau quartier.
Les sonorités d’un immeuble construit à la fin des années trente ajoutaient à son plaisir de la découverte. Martine et Gérard, les voisins du quatrième ne pouvaient faire taire leur sommier, le soir venu, les enfants couchés de bonne heure. Martine était encore infirmière. Son Gérard de mari courait sans cesse, son jogging attestant aussi de son empressement envers Martine. Ils étaient très attentifs à lui dire leurs excuses pour le bruit qu’un plancher transmettait, irrespectueux de leur vie privée.
Il n’était pas là depuis un an que des déménageurs emportèrent le sommier haletant, les deux enfants, Martine et Gérard vers une surface augmentée. Martine avait repris des études à l’école Normale pour devenir institutrice.
Les travaux de la gérance remettaient à neuf le logement du quatrième, la tradition voulait qu’une ponceuse à parquet vrille les oreilles de tout l’immeuble, avant que n’emménage Monsieur B., président du PSG avec une très jeune femme, très jolie et très pressée. Monsieur B. avait pris la précaution de se présenter à Jacinthe la gardienne de l’immeuble. J’aime les femmes, vous savez, lui avait-il dit et les femmes m’aiment aussi beaucoup. Il avait croisé Monsieur B. le dimanche matin les bras chargés d’énormes bouquets de roses rouges écarlates, la grosse boîte en carton du pâtissier voisin menaçant de lui échapper de ce qu’il lui restait de mains empressées.
Pourtant les cris de la jeune femme, le soir venu, les plaintes pitoyables de Monsieur B. protestant d’un refus de faveur, étaient bien plus gênantes pour notre ami qu’un sommier haletant. Monsieur B., lassé, cessa de payer le loyer, abandonnant sa jeune maîtresse aux mains des huissiers qu’un bailleur ingrat avait dépêchés.
Le combat d’une jeune écervelée avec les envoyés d’une administration tatillonne était perdu d’avance et une crise d’hystérie ne découragea pas la maréchaussée d’emporter, les quatre membres écartelés par quatre pandores la jeune fille vers d’autre soupirant.
Monsieur B. n’eut plus beaucoup de temps pour satisfaire son amour des femmes, sa régulière dut le placer en maison avant qu’Alzheimer ne l’emporte.
Les travaux suivants ne nécessitaient pas la ponceuse, la nouvelle locataire se contenta de quelques meubles suffisamment garnis d’étagères pour abriter les bouteilles de Johny Walker que l’épicier marocain voisin livrait par caisses de douze. Ce décompte analogue au calibre donné à des munitions décrit assez mal la fin tristement éthylique de la locataire.
Pendant ce temps le locataire du second avait été licencié par son entreprise, une pré-retraite forcée, les simulateurs de vol étant devenus la chasse gardée de l’Amérique.
Sorti promener sa solitude un dimanche, jour de match au Parc, le locataire du second avait oublié sa cigarette sur son oreiller. Notre ami sentant une bouffée âcre de fumée s’infiltrer le long d’un tuyau du chauffage sauta sur son téléphone et le 18 fit arriver les pompiers qu’une horde de supporters caillassèrent pour patienter. Le voisin du second revenu de sa promenade décida pour se consoler de s’adonner au gros rouge jusqu’à être ramassé mort dans l’escalier du métro.
Ainsi va la vie d’un immeuble locatif. Vont et viennent les habitants. La Mairie de Paris ayant rosi, la gérance rosit aussi. Jacinthe prit sa retraite, sa nièce Delphine lui succéda. Delphine est une femme adorable, si avenante et serviable qu’il n’osera jamais lui conter l’antivol rose qu’elle n’aura pas connu.
La Porte de Saint-Cloud n’est pas que périphérique. Trois obus balancés par celle que je préfère, la grosse Bertha, ont été immortalisés par le sculpteur Landowski. Le budget culture d’avant guerre n’autorisa que deux fontaines aujourd’hui privées d’eau pour commémorer l’événement et faciliter le baptême d’un bistrot. Trois obus et le tir au but, telle est la devise locale.
Bien enseigné par les Maréchaux il avait faite sienne la théorie du contournement pour arriver sur la place Léon Deubel. Un poète entouré de généraux et d’un sergent Maginot qui n’a jamais pris une ligne mais inventé le canon de 75. Avant qu’il ne cite quelques vers d’y celui c’est un verre d’Anjou rouge de 85 qui scelle son attachement aux Caves Angevines. Léon Deubel peut rendre hommage au tavernier qui rentra d’Espagne hémiplégique à la suite d’un rapprochement subit avec un ravin avide d’automobile. À celui que ses amis surnomment aujourd’hui Roue d’alu Léon Deubel oppose :
Ma souffrance n’est pas de celles qu’on diffame
Ni de celles que trompe un facile plaisir ;
Elle a le front de ceux qui vivent sans désir
Et ne s’endort jamais sur l’épaule des femmes.
L’orgueil qui la nourrit sans cesse de sa flamme
Et fait luire à ses yeux tous les trésors d’Ophir
L’exalte à des sommets pénibles à gravir
Qui menace l’azur natal qu’elle réclame.
Mais les plus fiers essors sont captifs de Demain,
Et farouche, impuissant et cruel, de ces mains
Frémissantes encor d’avoir tenue la Lyre,
J’offre au ciel fulgurant qui châtia Sodome,
Et voua Prométhée à l’éternel martyre,
L’invincible douleur de ne rester qu’un homme.
Il comprend mieux, désormais, qu’une place porte ce nom et se console in vino veritas. De retour aux abords du Parc il constatait l’absence momentanée de l’antivol. Une intermittence qui, il le verra plus tard, dissimule un spectacle que la nuit tolère si le monde alentour s’est endormi.
La révélation de l’antivol n’avait pas suscité son attention permanente et c’est une fois encore pour accéder à son parking qu’il eut la surprise de voir, barrant la passerelle, une petite décapotable rouge, un rouge un peu défraichi comme la dame qui, sortant de ce véhicule, porte ouverte, s’évertuait à fixer l’antivol rose, message codé à destination de clients habitués.
L’antivol comme message d’une présence ou plutôt annonce d’occupation momentanée, retour imminent…
Le manège intermittent se déplaçait dans le temps, glissait ostensiblement vers une heure plus avancée, vers une pénombre dissimulant aux yeux d’éventuels pandores les jambes ouvertes, au diable la culotte, un racolage que Sarkosy avait interdit, le sport officiel devant satisfaire la totalité des pulsions libidineuses des supporters.
Il n’est pas si facile de se procurer un antivol rose sur le marché. Notre ami avait bien pensé en accrocher plusieurs à l’insu de la dame, méthode beaucoup plus dissuasive qu’une loi votée pour un électorat entartuffé.
Mais son amour du libre commerce l’incitait à la tolérance, l’antivol et les parkings tenant lieu des maisons pour ça…