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Billet de blog 10 juin 2015

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Des espèces végétales invasives mais pas menaçantes

Un article très intéressant vient de paraître dans la revue à comité de lecture britannique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Il porte sur la mesure de l'impact éventuel des espèces végétales invasives sur la biodiversité locale, en Grande-Bretagne au cours des vingt dernières années (1).

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Un article très intéressant vient de paraître dans la revue à comité de lecture britannique Proceedings of the National Academy of Sciences (PNAS). Il porte sur la mesure de l'impact éventuel des espèces végétales invasives sur la biodiversité locale, en Grande-Bretagne au cours des vingt dernières années (1).

Le résumé en anglais - lire en fin d'article - indique que 40% des espèces listées comme invasives en Angleterre sont des plantes. Mais que d’un autre côté, les plantes invasives sont rarement responsables de l’extinction nationale ou mondiale d’une plante native, peut-être car le processus d’exclusion compétitive est très lent. En comparant les changements de répartition des plantes natives et introduites en Grande-Bratagne entre 1990 et 2007 sur 479 sites, les chercheurs n’ont pas trouvé de différences imputables au statut d’autochtonie. L’augmentation du couvert de répartition des espèces natives est 9 fois plus important que celui des espèces invasives : ce sont d’autres facteurs que l’invasion de certaines espèces qui expliquent les modifications de couverts végétaux (c’est plutôt l’homogénéisation biotique résultant de l’anthropisation de nombreux habitats, comme pour la faune). Les chercheurs constatent également que la diversité d’espèces natives et non natives augmentent parallèlement sur les mêmes sites, ils n’y a donc pas incompatibilité ni exclusion compétitive.

Les chercheurs concluent donc que leur étude suggère qu’en Grande-Bretagne, les espèces exogènes ne constituent pas une menace pour la diversité indigène.

Cet article scientifique est d'autant plus intéressant qu'il arrivait pour moi au moment d'une dispute (au sens noble) avec l'estimé professeur d'écologie du Muséum national d'Histoire naturelle Philippe Clergeau 2. Il se trouve que nous nous disputons depuis plusieurs années avec Philippe, en toute amitié, quant à l'importance à accorder à la question des espèces invasives dans la perte de biodiversité notamment en milieu urbain. Aux côtés d'autres collègues, notamment du Muséum national d'Histoire naturelle, je suis plutôt dubitatif, estimant que ce qui est vrai à l'échelle d'une île tropicale, dont le milieu fut relativement peu perturbé par l'Humain au cours des deux précédents millénaires, ne l'est pas forcément pour un milieu extrêmement marqué par l'action humaine, comme par exemple un milieu continental fortement agricole puis urbanisé : l'Île-de-France. Philippe Clergeau, lui, estime que les espèces invasives en milieu urbain concourrent à une homogénéisation du paysage dont les conséquences peuvent être sévères pour la biodiversité locale.

Or donc, lors de notre dernière rencontre – la prochaine aura lieu au cours des Ateliers d'été de l'Agriculture urbaine et de la biodiversité que j'organise avec mes collègues de Natureparif le 30 juin prochain, vous voyez donc que notre dispute n'a rien de sévère, elle :) - je me suis permis de redire qu'il me semble contreproductif, en tant que défenseur de la nature, de tenir un double discours en disant d'une part qu'il faut aimer et protéger la nature et d'autre part qu'il faudrait détester et rejeter une certaine sorte de nature, au motif qu'elle est étrangère.
Sergio Della Bernardina, de l'Université de Brest, a brillament démontré que nos discours au sujet des espèces invasives étaient extrêmement anthropocentrés, et que nous utilisions finalement couramment des termes (combat, lutte, invasion, monstre...) qui n'ont rien à voir avec les plantes ou les animaux mais bel et bien avec nos congénères humains. Je vous renvoie à ses propos dans le cadre de notre rencontre sur le sujet organisée – déjà ! - en 2011 : http://www.natureparif.fr/agir/evenements-a-la-une/les-rencontres-de-natureparif/679-2011-retours-sur-la-rencontre-les-especes-envahissantes-en-ile-de-france

Las, emporté par sa fougue – je n'en dispose pas moins, et supporte le même travers – Philippe me dit donc en mai dernier qu'il me trouve naïf sur ce sujet et qu'il s'agit d'une préoccupation franco-française (sous-entendu à l'étranger, tout le monde considère la question des invasives comme une menace avérée). Bim ! Voici que nos amis britannique, scientifiques, sont désormais des naïfs franco-français !:D
Entendons-nous bien, chers amiEs lecteurs, je suis tout à fait favorable à la réglementation européenne récente qui oblige les êtres humains à une prudence certaine dans leur introduction volontaire ou involontaire d'organismes vivants dans des milieux naturels où ils n'étaient pas présents auparavant.

Mais je pense que nous devrions dans le même temps nous souvenir que les végétaux et animaux introduits par l'Humain en Europe continentale depuis des millénaires n'ont – jusqu'à preuve du contraire – aucune volonté propre de nous « envahir ». Ces organismes se développent là où ils le peuvent. Et la prolifération d'une population d'une espèce n'a rien à voir avec le comportement écologique de toutes les populations de cette espèce. Bien souvent, ce sont nos propres atteintes sévères aux milieux naturels qui offrent une opportunité de développement à ces organismes pionniers. Et la meilleure réponse à la prolifération est la diversification des fonctions et et organismes du milieu, jamais l'éradiction, illusoire.

Il me semble que nous devrions collectivement assumer notre place et notre volonté et cesser de parler de « nuisibles » ou « invasives » et accepter et assumer le terme de « non-désirées ».

Enfin, à l'échelle de temps de l'écologie scientifique, ce qui apparaît à l'Humain comme une prolifération, car en contradiction avec ses propres usages de l'espace, ne signifie rien. Prenons l'exemple magistral de Caulerpa taxifolia 3, cette algue exotique relachée depuis un aquarium de la Côte d'Azur. Elle s'est développée, sans opposition, constituant une population de l'espèce à caractère proliférant (oui, dans son milieu naturel d'origine elle ne prolifère pas, ses différentes populations locales interagissent avec de nombreux autres organismes vivants comme avec le biotope, et on ne constate pas de prolifération). Puis, après une vingtaine d'année, cette population précise et particulière s'est effondrée, très probablement du fait de sa diversité génétique d'origine inexistante qui la rend beaucoup plus fragile aux bactéries et micro-organismes (tout comme nos blés et maïs de sélection, au passage...). Le temps de la nature n'est pas celui des sociétés humaines, et c'est d'ailleurs la grande cause de la 6e crise d'extinction que nous connaissons désormais : l'être humain modifie la biosphère à une vitesse si grande que les autres êtres vivants sont en incapacité de s'adapter aux changements.

Caulerpa taxifolia aura eu néanmoins un grand mérite : nul de ne se préoccupait de la Posidonie en Méditérranée avant qu'on ne montre du doigt cette « menace »:)

Non-native plants add to the British flora without negative consequences for native diversity 4

Chris D. Thomas and G. Palmer

Plants are commonly listed as invasive species, presuming that they cause harm at both global and regional scales. Approximately 40% of all species listed as invasive within Britain are plants. However, invasive plants are rarely linked to the national or global extinction of native plant species. The possible explanation is that competitive exclusion takes place slowly and that invasive plants will eventually eliminate native species (the “time-to-exclusion hypothesis”). Using the extensive British Countryside Survey Data, we find that changes to plant occurrence and cover between 1990 and 2007 at 479 British sites do not differ between native and non-native plant species. More than 80% of the plant species that are widespread enough to be sampled are native species; hence, total cover changes have been dominated by native species (total cover increases by native species are more than nine times greater than those by non-native species). This implies that factors other than plant “invasions” are the key drivers of vegetation change. We also find that the diversity of native species is increasing in locations where the diversity of non-native species is increasing, suggesting that high diversities of native and non-native plant species are compatible with one another. We reject the time-to-exclusion hypothesis as the reason why extinctions have not been observed and suggest that non-native plant species are not a threat to floral diversity in Britain. Further research is needed in island-like environments, but we question whether it is appropriate that more than three-quarters of taxa listed globally as invasive species are plants.

1 http://www.pnas.org/content/112/14/4387.abstract

2 http://www.bretagne-environnement.org/Media/Documentation/Bibliographies/Especes-invasives-en-Bretagne-Plantes-et-vertebres-continentaux

3 http://www.lemonde.fr/planete/article/2011/09/03/vie-et-mort-de-l-algue-tueuse-la-saga-de-caulerpa-taxifolia_1567353_3244.html

4 http://www.pnas.org/content/112/14/4387.abstract

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