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Billet de blog 7 mai 2010

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Cour de Justice de la République: une justice partiale au prétexte de la raison d'Etat

Créée le 27 juillet 1993, suite à l'affaire du sang contaminé, la Cour de justice de la République (CJR) n' a jamais pu prouver sa légitimité et son efficacité.

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Créée le 27 juillet 1993, suite à l'affaire du sang contaminé, la Cour de justice de la République (CJR) n' a jamais pu prouver sa légitimité et son efficacité.

1) Une légitimité constitutionnelle issue du fait majoritaire

Malgré son statut constitutionnel (articles 68-1 et 68-2 de la Constitution), cet organe juridictionnel confère un privilège de juridiction au profit des membres du gouvernement et juge les actes commis par un ministre dans l'exercice de ses fonctions, qui ont un rapport direct avec la conduite des affaires de l'État relevant de ses attributions, à l'exclusion des comportements concernant la vie privée ou les mandats électifs locaux.

Ceux ci sont jugés par une juridiction composée de quinze juges: douze parlementaires (élus pour moitié par l'Assemblée nationale et pour moitié par le Sénat et trois magistrats du siège à la Cour de Cassation.

Autant dire que le fait majoritaire prime, même si la Cour est présidée par un magistrat de la Cour de Cassation...

Cette situation est plus qu'un soupçon: elle porte atteinte à l'un des principes fondamentaux de toute juridiction: l'impartialité.

Ainsi, soit les ministres sont jugés par un tribunal dont les membres sont issus de leur majorité, ou de leur parti politique, soit ils sont jugés par leurs opposants... Cette situation aboutit en fait à une schizophrénie institutionnelle et une paralysie juridictionnelle. Il en ressort un sentiment de « renvoi d'ascenseur» corroboré par une jurisprudence bien douce.

L'argument pour justifier cette situation serait, comme le dit Marie-Anne Montchamp, députée UMP, «que les ministres, en raison de l'alourdissement de charge lié à leur statut, doivent être jugés par des tribunaux spécifiques, alors qu'un tribunal de droit commun raisonnera uniquement en droit pur». La raison d'Etat devrait donc primer...

A défaut de connaître ce que recouvre la notion de «droit pur», c'est bien le principe fondamental d'impartialité qui est bafoué. Etre jugé par ses pairs n'existe en France qu'au travers d'instances disciplinaires professionnelles: être ministre n'est pas une profession, c'est le stade suprême de la citoyenneté. A ce titre, les ministres doivent être jugés comme tous les citoyens...

L'on peut noter que Dominique de Villepin, dans l'affaire Clearstream, a refusé de saisir la CJR. Peut-être estimait-il risqué d'être jugé par une majorité dont il se détache.

2) Une procédure lente et inquisitoire qui arrange bien les choses

Le moins que l'on puisse dire, c'est que cette justice de luxe avance à un train de... sénateur.

S'il est normal et judicieux qu'une commission des requêtes fasse le tri entre les affaires relevant de sa compétence et qu'une commission d'instruction vérifie les charges, ce processus est d'une extrême lenteur:
- le jugement de l'affaire du sang contaminé a été rendu le 9 mars 1999, pour des faits des années 1984/198
- les faits d'escroquerie au préjudice de l'État (détournement de 1,3 million d'euros) qui dataient de la période 1988/1993 à l'encontre de Michel Gillibert, secrétaire d'État aux handicapés ont été jugés en 2004
- les faits retenus à l'encontre de Charles Pasqua et jugés en 2010 datent de 1994/1996
- les faits concernant la crise sanitaire de l'encéphalopathie spongiforme bovine (communément appelée crise de la vache folle) qui datent de la période 1988/1997 ne sont pas encore jugés.

Les victimes et l'opinion publique sont bafouées. C'est l'application paradoxale de la notion de délai raisonnable. Certes, toute personne qui se prétend lésée par un crime ou un délit commis par un membre du Gouvernement dans l'exercice de ses fonctions peut saisir cette juridiction par l'intermédiaire du procureur général de la Cour de cassation, mais là s'arrête la démocratisation.

La lenteur mais aussi l'impossibilité pour les victimes de se constituer partie civile (Article 13 de la loi organique du 23 novembre 1993 ; CJR, 15 mai 2000, S. Royal), empêche tout débat contradictoire sur les charges et le préjudice subi par celles-ci.

Le choix d'une procédure inquisitoriale fait cause commune avec la raison d'Etat et la préservation de ses secrets.

Robert Badinter estime qu'il faut supprimer cette juridiction d'exception comme il faut supprimer toute juridiction d'exception.

C'est l'application élémentaire du principe d'égalité devant la Loi, mais c'est aussi dans l'intérêt bien compris de la démocratie parlementaire. A un moment où une majorité de Français ne se déplacent plus vers les urnes, où la situation économique et sociale se tend de manière dramatique, où un abîme sépare les Français de leurs parlementaires, où la richesse devient si mal répartie, l'existence de la Cour de Justice de la République est non seulement une incongruïté sur un plan démocratique et juridique mais sera inévitablement perçue comme une provocation à l'égard des idéaux de la République. La raison d'Etat n'est plus qu'un prétexte.

Il est inutile d'en bricoler un nouveau statut, sa suppression doit se concevoir dans l'instauration d'une sixième République.

Gilles Sainati, membre du Syndicat de la magistrature


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