Depuis quelques temps des signaux persistants nous permettent de constater combien les réformes de la justice s’éloignent des principes de base qui fondent un État de droit.
Le schéma est toujours le même : s’emparer d’un fait divers pour proposer une législation toujours plus répressive, puis accuser les magistrats de laxisme dans la répression de telle ou telle catégorie d’infraction en utilisant des techniques de post vérité.
Deux exemples récents :
La lutte contre le narco trafic. Il faut noter tout de suite l’utilisation du mot valise narco, alors qu’il y a quelques mois l’infraction était encore désignée par sa description : trafic de stupéfiants. L’adjonction du préfixe « narco » instille l’idée d’une situation à la colombienne..Mais bien plus, tout y passe : la corruption des surveillants pénitentiaires, la laxisme évident des juges bien sûr.. Nous sommes en guerre. Le seule réflexe est donc une centralisation : des détenus dans un seul lieu de détention alors que cette solution est loin d’être efficace, la centralisation des poursuites alors que la carte des JIRS spécialisées comporte de sérieux trous : par exemple aucune juridiction spécialisée sur la région Occitanie, ou/et en effectif insuffisants ailleurs, et une police judiciaire toujours négligée au profit des opérations coup de poing du style Robocop..
Quant au laxisme, avec plus de 79 631 détenus au 1 octobre 2024 pour 62 000 places opérationnelles, l’incarcération n’a jamais été aussi prononcée par les juges depuis 1945.
Il faudrait plutôt s’interroger si les personnes incarcérées sont les bonnes, délinquance organisée et réseaux violents passent généralement à coté de cette répression. Et là ce n’est pas la faute des juges qui reçoivent les procédures mais bien un choix politique de poursuite pénale dépendant du ministère de l’intérieur avant tout. Le même qui à réformer en profondeur la police judiciaire pour en retirer tout dynamisme et efficacité.
https://www.20minutes.fr/societe/4133939-20250116-reforme-police-judiciaire-an-plus-tard-enqueteurs-magistrats-denoncent-catastrophe
Mais ce n’est pas grave l’on retiendra dans l’opinion publique et les medias mainstrean et bolloréens que « c’est la faute des juges, rouges de préférence »
La délinquance des mineurs, l’ancien premier ministre Attal, l’actuel du garde des sceaux et le nouveau ministre de l’intérieur ( ou inversement on ne sait plus) veulent durcir et/ou abolir le Code de la justice pénale des mineurs (CJPM) qui vient d’être voté récemment ( 2021) et n’a fait l’objet d’aucune évaluation dans sa nouvelle forme... On continue a instrumentaliser un nouveau fait divers, puis le débat monte en généralisation on veut mettre en place une révolution juridique » face à « l’ensauvagement » de la jeunesse.
La réalité est tout autre, à force de coupes budgétaires,dans les services de la PJJ, de licenciement ou non renouvellement de contractuels initiés par le même Attal, les services éducatifs ne peuvent plus mettre en œuvre les décisions de justice idem au niveau départements ( https://www.mediapart.fr/journal/france/180924/delinquance-des-mineurs-faute-de-budget-des-jeunes-brutalement-prives-d-educateurs) .
Ne parlons pas de la submersion migratoire que les OQTF et les juges administratifs ne prennent pas en compte. Emprunté au lexique d’extrême droite, cette submersion devient une réalité dans le discours politique alors que les chiffres de l’INSEE indiquent qu’ en 2023, la population étrangère vivant en France s’élevait à 5,6 millions de personnes, soit 8,2 % de la population totale. Ce chiffre était de 6,5 % en 1975, soit une « augmentation qui est faible en 50 ans !!».
Le premier ministre se croyant sans doute à l’abri de ce populisme et utilise volontiers expression : « sentiment de submersion ».
Face à ce déferlement de post vérité la justice est inadaptée car sa pratique est d’essayer de s’approcher au plus près de la vérité des faits.. et non d’un sentiment..ou d'un discours manipulatoire.
Mais à bien y réfléchir, cela fait bien longtemps que la justice est France est confrontée au combat de ce complotisme politique fait de sentiment d'insécurité et instrumentalisation des faits divers.
Il faut faire un rapide historique de cette manipulation sémantique .
Depuis les années 2000, de nombreuses études de victimation vont nous donner une image alarmante de ce sentiment d’insécurité. l’INSEE est même associée à cette nouvelle politique par le biais d’enquête et de recueil de ce sentiment ( notamment les enquêtes de cadre de vie et sécurité qui sert a " mesurer l'insécurité ressentie et les faits de délinquance dont les individus ont pu être victimes au cours de leur vie"!!
Les conclusions du rapport 2023 de l’INSEE commence par mettre en exergue : « depuis 2010, les phénomènes délinquants se transforment tandis que le sentiment d’insécurité reste globalement stable » se termine ainsi : « Un sentiment d’insécurité naturellement plus prégnant parmi les victimes et les personnes témoins de phénomènes de délinquance dans leur environnement ».
Bien tout cela est un peu, dirons nous évident, mais le discours est là prêt a être utilisé : plutôt que de poursuivre le crime organisé par des investigations longues et coûteuses, le politique préférera sécuriser l’espace public à grand renfort d’uniformes bleus..pour combattre le sentiment d’insécurité. On envoie des CRS, on crée les BAC, etc..pour rassurer le chaland.
Les chaînes d’infos en continue et les journalistes « embeded » se régalent d’image à la gloire du ministère de l’intérieur du moment.
Formatage accru auquel il va être répondu par une visibilité accrue dans l‘espace public : video surveillance, patrouille de police.. les budgets n’étant pas extensibles toute investigation judiciaire sera chichement ordonnée ou bien l’on sombrera dans le techno solutionnisme au grand bénéfice des fabricants des dispositifs de surveillance... ne parlons des actions éducatives : il faut mettre un terme « à la politique de l’excuse »…Ne parlons pas non plus de l’obsession statistique du ministère de l’intérieur qui récompense l’affaire élucidée au détriment de l’investigation longue.
Cette confusion des mots et des pratiques dure depuis les années 2000 et ce sont toujours les mêmes qui inspirent les politiques sécuritaires , politiques qui déstructurent la procédure pénale et même détruisent la finalité répressive.
Petit à petit se crée un univers parallèle empruntant aux idées simplistes à la recherche de bouc émissaires, petit à petit les juges sont ciblés, les avocats, et puis l’État de droit comme ne répondant pas aux aspirations de la population en terme de lutte contre le sentiment d’insécurité.
Importés des pratiques des néoconservateurs américains ces discours vont devenir la réalité mainstream, l’expérience de Rudolph Giuliani a New York est montrée en exemple, le même sera plus tard l’avocat de Donald Trump. :
Il faut donc bien se rendre à l' évidence que cette campagne idéologique est complotiste, tellement éloignée de la réalité, et ne vise pas à chasser le crime, contenir la délinquance, ce n'est plus un choix politique dans " l'arc républicain", mais à force de créer des ennemis intérieurs dans l'appareil d'Etat qu'il faudra ultérieurement pourchasser, elle n’a qu’un but, in fine: renverser l’État de droit . L’irruption du délirant dictateur Trump aux US sert enfin de révélateur à cette offensive.
GS