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Billet de blog 16 décembre 2011

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Condamnation de Jacques Chirac, la fin du système estampillé Ve République

Le 15 décembre 2011 signe un tournant pour la Ve République. La condamnation de Jacques Chirac à vingt quatre mois d'emprisonnement avec sursis est à la fois le signe d'une lourde sanction, comme un épitaphe définitif pour cet homme politique qui attirait tant la sympathie. Mais Jacques Chirac est bien plus que l'homme qui touchait le pis des vaches au salon de l'agriculture, il est l'héritier direct, incarné du gaullisme historique et sa conception de l'organisation des pouvoirs publics: la Ve République.

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Le 15 décembre 2011 signe un tournant pour la Ve République. La condamnation de Jacques Chirac à vingt quatre mois d'emprisonnement avec sursis est à la fois le signe d'une lourde sanction, comme un épitaphe définitif pour cet homme politique qui attirait tant la sympathie. Mais Jacques Chirac est bien plus que l'homme qui touchait le pis des vaches au salon de l'agriculture, il est l'héritier direct, incarné du gaullisme historique et sa conception de l'organisation des pouvoirs publics: la Ve République.

Cette sanction émanant de juges du siège indépendants contre les réquisitions d'un Procureur de Paris aux ordres est aussi un point final au débat sur l'indépendance des procureurs et de la longue liste de favoritisme sarko chiraquien dans les nominations à ces fonctions ces dernières années.

La nécessité d 'une nouvelle donne institutionnelle.

Il semble que le projet du candidat socialiste soit de revenir sur l'immunité du président de la République, c'est une urgence démocratique : le président de la République pourra être poursuivi pour toutes les infractions commises avant son entrée en fonction et toutes les infractions détachables de sa fonction…Dont acte.

Mais l'on voit bien que la condamnation de Jacques Chirac à une autre portée.

- Comment et à quoi condamner un Président de la République ?

Du reste, certains extraits de motivations du jugement du Tribunal correctionnel pointe la difficulté, car le tribunal pour fixer la peine. " a tenu compte de l'ancienneté des faits" de " l'absence d'enrichissement personnel" des " 'éminentes responsabilités à l'Elysée du prévenu". Bref, en dehors de la lenteur due aux embuches institutionnelles multiples, il est bien dur de déterminer un quantum de peine pour de tels faits. Y aurait il pu y avoir une peine d'emprisonnement ferme avec mandat de dépôt ? Nul doute, compte tenu de l'étendue du préjudice évaluée par la mairie de Paris ( 2, 2 millions d'euros) n'importe quel justiciable ordinaire se serait vu infliger une peine ferme…C'est aussi ce que dit en creux le tribunal correctionnel de Paris quand il pointe l'accord Delanoé/ Chirac qui prévoit un remboursement de la somme à charge de deux tiers pour l'UMP et un tiers pour Jacques Chirac. Le quotidien Libération soulignait ironiquement les suites de cet accord qui devrait logiquement conduire la mairie de Paris a saisir le château de Bitty en cas de non paiement par le condamné….

Quoiqu'il en soi le Tribunal a visé cet accord " d'indemnisation de la ville de Paris par l'UMP et Jacques Chirac " pour modérer la peine …

Du reste sur le plan civil et de l'indemnisation on voit déjà l'imbroglio: le tribunal a condamné pour des faits en retrait vis à vis de l'accord parisien et de plus l'UMP venant au droit du RPR n'était pas visé dans la procédure pénale et n'a pas été condamné es qualité en tant que personne morale. Aussi comment soutenir que ce parti doive couvrir les 2/3 d'un préjudice évalué de manière contractuelle quand ces faits sont en partie désavoués par une décision juridictionnelle ?

Comment soutenir enfin qu'il n'y a pas eu d'enrichissement personnel quand les infractions pénales retenues sont: abus de confiance, détournement de fonds publics, prise illégale d'intérêt…

Le choix de la mairie de Paris de ne pas se constituer partie civile risque de se retourner contre elle, car ce jugement pour peu qu'il devienne définitif enlève tout fondement juridique précis à l'accord signé…. Si dans l'affaire du Crédit Lyonnais l'on avait eu un accord transactionnel au lieu d'un jugement, ici nous avons un accord transactionnel avant le jugement !!!!!Cet accord boiteux risque donc de rebondir..

Ces quelques exemples vont devoir être examinés lors de la réforme du statut pénal du Chef de l'Etat, car l'on parle beaucoup du potentiel prévenu :le chef de l'Etat, mais il faut aussi penser à ses potentielles victimes : leurs droits de se constituer partie civile et d'obtenir une indemnisation….

Aller plus loin…

Ce jugement a bien sûr un très forte implication politique. Il suffit de faire le tour des condamnés: de François Debré, fils de Michel Debré à Jean de Gaulle, petit fils du général, c'est la maison gaulliste qui connaît sa déchéance par le biais de ses héritiers.

Il s'agit finalement ni plus ni moins de la condamnation de l'appropriation clanique de l'appareil d'Etat. Cette appropriation qui intervient à la fin des années Mitterand démontre que même une alternance politique n'a pas pu y mettre fin….C'est que la question qui est posée va plus loin, et nécessite une remise en ordre totale de notre système institutionnel. Un pas vers la VI éme République.. car tant que l'on aura un super président aux pouvoirs illimités, une confusion institutionnelle des pouvoirs, un abaissement du parlement, un absence de droit au referendum citoyen, et un scrutin qui favorise les combinaisons entre les deux partis politiques majoritaires, il ne pourra y avoir qu'une démocratie restreinte en France. Sans oublier l'étrangeté qui consiste a faire de chaque ancien Président de la République un membre du Conseil Constitutionnel ...

Aussi il faut donc tirer toutes les conséquences de cette condamnation historique, à défaut ce sera la porte ouverte au populisme et le " tous pourris " triomphera..Il est urgent de faire rebondir notre démocratie et notre République et de la sortir du marasme par le haut au lieu de s'arranger avec des solutions d'arrière cuisine.

Une justice clivée

Ce jugement est le constat d'une justice clivée. D'un coté des magistrats du siège structurellement indépendants mais isolés, de l'autre un parquet totalement dépendant de l'exécutif tant en ce qui concerne l'action publique que pour sa nomination, devenu godillot de Nicolas Sarkozy.

Le procureur de Paris avait requis un non lieu puis la relaxe et Jean Claude Marin avait estimé que cette attitude qui pouvait être qualifié de mansuétude " relevait d'une analyse détaillée du dossier, sans considération de la personnalité de Jacques Chirac"… Le parquet de Paris ira t-il donc jusqu'à faire appel du jugement en estimant l'analyse juridique du tribunal erronée ?…C'est ce qu'il devrait faire…

En, effet la plupart du temps lorsqu'un tribunal condamne alors que le parquet prend des réquisitions de relaxe, il y a logiquement appel du parquet.

Dans le même ordre d'idée si l'un des condamnés hormis Jacques Chirac fait appel, le parquet se joindra en appel incident….

Ou bien alors, le fait que le principal intéressé ne fasse pas appel va clore cet épisode judiciaire…Ce serait la première fois que l'un des condamnés définitifs dirige l'action publique et dicte l'exercice de son droit d'appel au procureur….

Nous le voyons, par leurs actions caricaturales, Courroye, Marin et quelques d'autres figureront dans la galerie d'une justice pénale aux ordres et à deux vitesses.

Il est vrai que le débat sur l'indépendance du parquet n'est pas simple. Un première avancée sera la nomination conforme des procureurs par un Conseil Supérieur de la Magistrature indépendant…

…Là encore comment concilier la notion de politique pénale et d'indépendance. La solution consisterait a faire rendre des comptes par le parquet non plus à l'exécutif mais au parlement. Celui-ci pourrait édicter et évaluer une politique pénale dans le cadre de lois cadres révisées bi annuellement…Mais nous sommes alors dans une autre architecture institutionnelle qui présuppose notamment la suppression de la Direction de l'action publique au ministère voire une refonte intégrale de l'organigramme de la Chancellerie..

Une autre République.

Dans cette attente, c'est donc une justice clivée qui se présente aux citoyens, celle des juges du siège, fragile et dont le contournement est la plupart du temps organisé et, celle des Procureurs dont l'immense majorité réclament à corps et à cri une indépendance, à défaut de quoi c'est notre Etat de droit ( ou ce qu'il en reste) qui sera emporté.

Dans tous les cas c'est la fin du système V eme république qui est acté aujourd'hui.

Gilles Sainati, membre du Syndicat de la magistrature

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