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Billet de blog 22 février 2011

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Affaire Meilhon, trois rapports d'inspection et une responsabilité politique

Cette douloureuse affaire a débuté le 18 janvier 2011. AOrléans, le 3 /02/2011 Nicolas Sarkozy déclarait au sujet de lalibération du principal mis en cause: «ceux qui ont couvert ou laisséfaire cette faute seront sanctionnés, c'est la règle (...) quand il y a une faute qui conduit à un tel engrenage, nos compatriotes necomprendraient pas qu'il n'y ait pas de sanction».

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Cette douloureuse affaire a débuté le 18 janvier 2011. AOrléans, le 3 /02/2011 Nicolas Sarkozy déclarait au sujet de lalibération du principal mis en cause: «ceux qui ont couvert ou laisséfaire cette faute seront sanctionnés, c'est la règle (...) quand il y a une faute qui conduit à un tel engrenage, nos compatriotes necomprendraient pas qu'il n'y ait pas de sanction».


Le Président de la République faisait allusion aux trois enquêtes diligentées pas ses ministres pour connaître les dysfonctionnements et responsabilités au sein de la police nationale, la justice et l'administration pénitentiaire.

La lecture attentive des trois rapports démontre certes une absence criante de moyens pour faire face à la masse des suivi de Personnes Placées sous Main de Justice ( PPSMJ), mais surtout signe l'aveu d'une gabegie sans précédent en matière de sécurité.

Plus grave encore, une simple lecture professionnelle de ces textes met impitoyablement en lumière la responsabilité politique de celui qui,depuis 2002, a mis en place une politique de communication autour dela lutte contre l'insécurité : un certain Nicolas Sarkozy.

Il convient de bien mettre en perspective le contexte dans lequel sedéroule cette chronologie des faits pour mesurer ce que les déclarations du Président de la République peuvent avoir d'aberrant.

1) Du sensationnalisme à défaut d'une instruction judiciaire.

La disparition de la jeune Laetitia, puis l'interpellation de Tony Meilhon ont fait la une de tous les médias... Toutefois il semble que, compte tenu du silence du principal mis en examen et du manque d'éléments matériels , Tony Meilhon a dans un premier temps été mis en examen pourle seul chef "d'enlèvement suivi de la mort» de la jeune fille.

«Les charges étaient insuffisantes à ce stade de la procédure pour le mettre en examen du chef de viol», explique Xavier Ronsin, procureur de la République.

«Il appartient au juge d'instruction de compléter ou non, en fonction del'évolution de l'enquête, les termes de la mise en examen», précise ce magistrat.

Le chef de viol n'aurait pas été signifié à Meilhon.

Le 1er février les plongeurs qui fouillaient le trou d'eau situé entre Saint-Nazaire et Nantes "ont trouvé une tête, deux membres supérieurs et deux membres inférieurs" et "le visage de la jeune femme sortie de l'eau ressemblait à Laetitia". Laetitia serait morte étranglée mais le tronc est à ce jour encore introuvable. Tony Meilhon refus obstinément de parler, ayant donné audébut de l'affaire une version l'impliquant dans le décès de la jeune fille et la disparition de son corps sans trop de précisions.

Tous ces éléments démontrent simplement une chose: nous sommes, en février2011, au début des investigations judiciaires, nous ne savons pas d'ailleurs si Meilhon était seul pour commettre ce crime, ni même s'il a violé la jeune femme...

Sur ces bases logiquement floues se développera, à l'initiative de Président de la République, une polémique et une recherche tous azimuts pour trouver un responsable à cette récidive de viol avec barbarie, dont finalement nous n'avons que des bribes d' éléments matériels. Il est par exemple évident que la certitude du viol puis de meurtre de la jeune fille par Meilhon inclinera le diagnostic sur sa personnalité alors que si l'on découvrait qu'il était co-auteur ou complice, cela changerait les choses....

Sur la base de ce douteux sensationnalisme vont être diligentées trois enquêtes d'inspection.... Peut-être était il plus pertinent d'en connaître plus sur les faits, avant d'examiner la responsabilité des divers intervenants?

2) Dysfonctionnements policiers, résultats d'une politique.

Les courtes conclusions de l'inspection générale de la police nationale du 11 février démontrent à quel point la mise en place de fichiers généralistes tels que le STIC relève d'une profonde erreur politique :" il doit être précisé que la consultation du STIC ne fait ressortir l'existence d'aucune incrimination de nature sexuelle àl'encontre de Meilhon."

Cet aveu ne nous étonne pas outre mesure.

Après que des milliers d'erreurs se soient glissées dans le STIC( cf. divers rapports de la CNIL) voila que l'on découvre que ce fichier n'enregistre pas les condamnations définitives pour viol, comme cellede Meilhon du 9 mars 2001 du chef de viol, violences aggravées. Le fait est que le STIC préfère enregistrer les personnes mis en cause dans lesports d'arme de 6 ème catégorie. Il est bien évident que cettesituation est encore aggravée par la volonté d'unifier les fichiersgendarmerie et police.

Cette situation est le résultat d'un choix politique délibéré, celui qui sous prétexte de tolérance zéro et de poursuite d'une politique du chiffre, a généralisé le STIC puis le fichier des empreintesgénétiques à l'ensemble des infractions.

Pourtant cela fait des années que des critiques fusent non seulement en terme de libertés individuelles mais aussi d'efficacité : l'excès d'informations tue l'information. Il fallait cantonner ces fichiers auxaffaires les plus graves, et spécialiser ces fichiers pour en tirer toute la pertinence et aussi éviter les erreurs d'un méga fichier aussi confus que liberticide.

3) Le déshérence pénitentiaire

a) une désorganisation voulue

La réforme pénitentiaire, et notamment celle qui a touché les services enmilieu ouvert, a commencé en réalité avec le décret du 13 avril 1999.

(cf HYPERLINK "http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article228.html" http://www.criminocorpus.cnrs.fr/article228.html).

Le but a été de dissocier le plus possible les juges d'application despeines des travailleurs sociaux de la pénitentiaire. Les Comités de probation s'appelleraient SPIP, ils devraient impérativement s'éloigner géographiquement des juges. Le plus souvent les deux services sont situés aux extrémités opposées de la ville et ne communiquent que par intranet. Cette réforme teintée d'un lourd bureaucratisme n'a pas permis d'améliorer les fonctionnements des services ni leur réactivité: les échanges entre juges et CIP s'effectuant par le biais de rapports qui doivent être visés par leurs supérieurs hiérarchiques via un logiciel : APPI, on crée dès lors un dossier informatique doubléd'un dossier papier...

Ce logiciel APPI évoqué par le rapport de l'inspection pénitentiaire est àla fois très mal conçu ( comme, du reste, l'intégralité des systèmes informatiques judiciaires, sans doute la encore une spécificité !), et très mal alimenté et mal synchronisé avec le casier judiciaire, lequel est mal intégré y compris au regard du contrôle hiérarchique (infocentre)

Cet imbroglio qui entrechoque les compétences ( juge des enfants:/Juged'Application des Peines/services de probation éloignées/ systèmeinformatiques non aboutis/fichiers divers) implique de mauvais décomptes en terme d'exécution de peines et de délais. Phénomène assez connu des professionnels de l'exécution des peines, ce calcul devient rapidement un casse-tête dans les cas de multi-récidive. Dans celui de Meilhon cela a conduit a considérer comme non avenue la condamnation du 9 mars 2001 de la Cour d'Assises des mineurs à 5 ans d'emprisonnement dont 1 an de sursis avec mise à l'épreuve pendant 3 ans. Or du fait des nombreuses incarcérations de Meilhon le sursis avec mise à l'épreuve devait être suspendu et repris à sa sortie de prison, ce qui n'a pas été le cas puisqu'un décompte exclusivement calendaire a été privilégié par le système informatique pour le calcul de son casier judiciaire, au mépris des articles R 69 2 du code de procédure pénale. Encore faut-il noter que cette condamnation concernait des faits commis endétention au préjudice d'un co-détenu et ne comportait aucune obligation de soins ou de mesure socio judiciaire...Il y avait par ailleurs un autre suivi du chef d'outrage...

L'interface entre le juge des enfants et le SPIP, via le JAP et avec le casier judiciaire et le logiciel APPI engendre une lourdeur terrible qui ne doit rien au hasard. D'une part du fait du grand nombre de réformes qui ont touché ces services et d'autre part et surtout, à cause de la volonté d'autonomiser et de couper totalement les services de la pénitentiaire des tribunaux et des juges de l'Application des Peines.

Cette situation s'explique donc par la volonté délibéré de privilégier le milieu fermé ( les prisons ) et ainsi de le profit pénal et criminologique doit prévaloir surla seule qualification pénale relative à la mesure devant faire l'objetdu suivi par le SPIP"...

En d'autres termes, peu importent les qualifications pénales retenues parles juridictions : on privilégie le seul diagnostic à visée criminologique ( DAVSI ) élaboré par la pénitentiaire.

L'administration pénitentiaire se lance donc à la poursuite de la dangerosité sociale,tout en expliquant contre toute évidence, que dans le stock de dossiers en attente, celui de Meilhon aurait été fatalement repéré, avec ce regard criminologique!

4) Une virtuelle application des peines

La mission donnée à l'inspection judiciaire paraît bien limitative: s'en prendre aux juges de l'Application des peines, qui seraient les seuls responsables potentiels.Les procureurs n'interviennent-ils pas en matière d'exécution des peines et d'application des peines ? Rappelons par exemple qu'ils siègent dans les Commission d'Application des Peineset y prennent leurs réquisitions souvent au regard de la lecture du casier judiciaire du condamné. Mais dans l'esprit du Ministre seuls les juges du siège seront toujours responsables et coupables, le parquetpour sa part, se fondant dans l'exécutif, lequel est toujours irresponsable.

Voilà l'aveu d'une volonté de provoquer une scission du corps de la magistrature et de cibler les juges du siège par le biais d'actions disciplinaires précises...

Le rapport de l'IGSJ pointe bien sûr l'absence d'un nombre suffisant deJAP sur Nantes, aggravée par le non remplacement anormal des postes vacants, tout cela aboutissant à une insuffisance chronique de l'effectif des magistrats de l'application des peines, et ce malgré le signalement de cette situation au ministère au cours de l'année 2010. Le rapport insiste aussi sur le manque chronique de fonctionnaires de greffe.

Le plus surprenant est que le ministère s'est doté d'un outil informatique de gestion pour connaître les difficultés dans les juridictions :Outilgref : or celui-ci estime le nombre nécessaire au fonctionnement du service de l'application des peines à 11, 47 ETPT ( Equivalent TempsPlein).. Alors que dans la réalité il n'y a que 4,9 ETPT et que lechef de service, lui, estime le besoin à 7 ETPT...

Cette situation a conduit le service de l'Application des Peines, en toute transparence, à faire des choix de dossiers suivis et non-suivis...dit"hors champ" qui représente donc 16,74 % de l'ensemble des dossiers desursis avec mise à l'épreuve.

Revenons à présent aux particularités du logiciel APPI, qui ne permet pas une consultation directe du casier judiciaire, et aux CIP qui ne disposent pas de la possibilité de solliciter une copie du B1, tandis que les JAP ne pouvaient pas savoir si le dossiers de MEILHON était suivi ou non par le service d'insertion :

" les orientations définies par le service de l'Application des peines deNantes au cours de l'année 2010 sont restées sans effet sur le choix du SPIP de ne pas affecter le dossier de sursis avec mise à l'épreuve de T Meilhon à la sortie de prison".

En réalité l'autonomisation des services de justice ( JAP) et pénitentiaires ( SPIP) les uns par rapport aux autres a aboutit à la mise en place d'une justice virtuelle, et la recommandation N° 29 de l'inspection judiciaire n'est pas pour rassurer puisqu'elle consiste à articuler du système informatique APPI et GED qui sont déjàdéfaillants. Deux applications dont on connaît les limites. Il est vrai que le gouvernement avec la loi LOPSI II plaide pour la mise enplace de la visio-conférence tous azimuts...

Ainsi, à défaut de réelle modification structurelle et d'affectation de moyens humains, la fascination pour la technique est la seule réponse affichée.

Epilogue

Pour mettre un terme à ces constats qui pointent une responsabilité clairement politique, et à la suite du dépôt de ces trois rapports le11 février 2011 ( police), le 10 février ( pénitentiaire et justice),le ministre de la justice limogeait le directeur inter- régional de l'administration pénitentiaire de Rennes.

Cette décision confirme l'exclusivité de la responsabilité politique, car il faut rappeler qu'un directeur inter -régional, sorte de préfet pénitentiaire, est nommé directement par le Directeur de l'Administration Pénitentiaire, lui-même directement dépendant hiérarchiquement du ministre.

Finalement, le garde des Sceaux promet une petite enveloppe de 5 millions d'euros pour des vacations supplémentaires, soit le coût d'un giratoire en terme d'aménagement de voirie!

Pauvre justice....

Cette polémique se retourne contre ses commanditaires et la vision d'un monde simpliste qui voudrait qu'un déclaration politique s'incarne immédiatement dans la réalité, sans y mettre les moyens et sans réfléchir aux structures qui seront mises en place. C'est aussi un frein à la crédulité publique qui voudrait que l'on évolue vers une société du risque zéro...une utopie dangereuse.

Gilles Sainati membre du Syndicat de la magistrature

Petit glossaire:

SPIP: Service Pénitentiaire d'Insertion et de Probation

JAP: Juge de l'Application des Peines

IGSJ: Inspection Générale des Services Judiciaires

APPI: logiciel d'application des peines

ETPT: Equivalent Temps Plein

DAVSI : Diagnostic à visée criminologique

CNAM: Conservatoire Nationale des Arts et Métiers

GED: logiciel

CIP: Conseiller d'Insertion et de Probation

STIC: Système de Traitement des Infractions Constatées

CNIL: Commission Nationale Informatique et Libertés

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