La justice française, un contre pouvoir ?
L’état de la situation
Il est possible de répondre à cette interrogation: mauvais et nul.
Mais je pense que la question est mal posée ; on ne peut que difficilement dissocier la justice en France avec la notion d’Etat de droit.
Pour reprendre un expression simple : l’Etat de droit c’est le droit avant force, la prohibition totale de l’arbitraire ou plus longuement :
Un système institutionnel où la puissance publique est soumise au droit. Il repose sur le respect de la hiérarchie des normes, l'égalité des sujets de droit et l'indépendance de la justice, tout l’inverse de ce que devient les USA sous Trump et dans l’ambiance de complotisme actuel, nous y reviendrons.
Savoir de quoi on parle :
La justice c’est une valeur ( 1) un pouvoir (2) , une administration régalienne de l’Etat ( 3) , un sentiment ( sentiment d’injustice) ( 4) , un justice marginalisée donc:
1°) une justice des lumières
Donc, la France est une république, une démocratie et un Etat de droit.
Une république de plus laïque, c’est-à-dire que le pouvoir n’émane pas de Dieu ou de l’un de ses représentants, et ses institutions ne connaissent pas de distinctions de races de richesse de genre ;
La justice ne juge pas en fonction de qui on est mais en fonction de ce que l’on a fait.
Dès lors dans l’intégralité des contentieux il sera recherché la preuve objective et scientifique et logique des faits : la raison et non un récit émotionnel.
Du reste le serment des jurés en Cour d’Assises là où la procédure orale est la plus significative est le suivant :
Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions.
Au civil et au pénal correctionnel la preuve factuelle et scientifique est première devant l’aveu ( mauvaise réminiscence du fait que l’aveu peut être extorqué, et puis l’aveu devant les instrument de torture sous l’inquisition).
Il est bien évident, dès lors que le dialogue entre l’univers judiciaire français et l’univers complotiste et raciste qui se répand actuel est radicalement incompatible. Les pseudo sciences n’ont pas la place dans la rubrique et nomenclature des spécialités des experts judiciaires : graphologie, Reiki et médecines alternatives diverses…pseudo sciences inspirées de thèmes raciaux..Je ne sais pas ce que je pourrai dire au nouveau ministre de l’assurance maladie US Mehme OZ qui estime que les traitements à base d’endives guérissent le cancer, que l’établissement de signe astrologiques et du Réhiki est nécessaire avant une opération chirurgicale…
Sachez qu’un nombre de plus en plus important de personnes veulent s’inscrire comme expert judiciaires et revendiquant ce type de spécialités..
Ce que je veux vous dire, c’est qu’une justice équilibrée et garante d’une certaine humanité ne peut fonctionner correctement que quand il y a dans la société un consensus sur ce qu’est la vérité, la vérité des faits..Mais nous avons connu y compris en France des moments où ce consensus n’existait plus, cassée par un idéologie raciste ( Vichyste) ou religieuse ( Ancien régime).
2) un pouvoir
Tout le monde a entendu parlé de Montesquieu : la séparation des pouvoirs/ checks and balances, etc…
Cela voudrait dire que des instruments constitutionnels garantissent l’indépendance judiciaire et empêchent toute incursion de l’exécutif dans le judiciaire..
Cette garantie sous la v eme république n’existe pas en France :
Article 64 de la constitution in-fine prévoit :
Les magistrats du siège sont inamovibles.
Ce qui veut dire :
1) que les procureurs sont nommés par l’exécutif. Nous n’avons toujours pas eu une modification constitutionnelle mainte fois promise. Ils orientent les procédures, décident directement de 60 % du contentieux pénal, leur statut d’autonomie est restreint : la plume est serve mais la parole est libre…
2) La liste des juge du siège sur laquelle statuera le CSM est décidée par le ministre et ses services.
3) la police et la gendarmerie y compris les services de PJ sont sous l’autorité du ministre de l’intérieur.
C’est donc une lutte permanente, un rapport de force permanent pour desserrer l’étau institutionnel qui enserre la justice.
Aujourd’hui, au pénal, l’évolution est favorable notamment avec la création de parquet financier de Paris pour lutter notamment contre la corruption en témoigne cette liste de novembre 2024 émanant d’un article de médiapart et qui concerne la poursuite de la corruption des élites exécutives : Ainsi sur un mois seulement :
12 novembre : François Fillon enfin prêt à payer sa condamnation civile et rendre les 690 000 euros détournés
13 novembre : le Parquet national financier requiert un procès contre Rachida Dati pour 900 000 euros de détournement présumé
14 novembre : série de perquisitions à la mairie Nice et de Montpellier pour emplois fictifs
15 novembre : un ancien ministre socialiste condamné, Thierry Mandon ’escroqueries, de tentative de détournement de biens publics par une personne dépositaire de l’autorité publique, de faux et usage de faux en écriture et d’abus de biens sociaux. Alors qu’il dirigeait la Cité du design de Saint-Étienne, de 2018 à 2022, il a fait financer des dépenses personnelles pour un préjudice total de 22 000 euros.
19 novembre : le député Liot de Guadeloupe Max Mathiasin condamné pour abus de confiance et de détournement de fonds
18 novembre Soutien de poids d’Emmanuel Macron, Karl Olive est condamné à huit mois de prison avec sursis pour prise illégale d’intérêts par le tribunal judiciaire de Versailles.
23 novembre : un ancien maire UMP poursuit sa folle cavale Du Var au Caucase, l’ancien maire UMP de Roquebrune- sur-Argens est en fuite. Luc Jousse est recherché depuis sa dernière condamnation pour prise illégale d’intérêts, prononcée par le tribunal judiciaire de Draguignan le 8 octobre. Ces huit dernières années, l’ancien élu a accumulé sept condamnations pénales pour des détournements de fonds publics ou encore incitation à la haine raciale. Il faut dire que nous avons eu un PDG de Renault qui s’est échappé d’une résidence surveillée au Japon en se planquant dans une valise..
Sans parler de Marine Le Pen et NS, jugement en cours
Premièrement, cette liste n’est pas exhaustive… Mais est ce que les médias mainstreams en parle…Non, la plupart des fois c’est pour dénoncer le complot des juges …Et les électeurs réélisent souvent ces politiques ..avec ou sans bracelet électroniques au mollet.
Vous me direz, tout va bien la justice est indépendante..Oui jusqu’à maintenant il y a encore une répression des faits de corruption mais il suffirait d’un retournement de majorité de l’arrivée d’un parti populiste pour que les juges eux-mêmes soient dans le viseur ( constitution de liste de juges soit disant gauchistes et soit disant partiaux , départ à la retraite forcée, procédure disciplinaire en tout genre comme en Pologne ou Hongrie maintenant en Italie et bien sûr aux US..une suppression du parquet financier ou la nomination de procureurs moins opiniâtres dirons nous.
En terme de répression des juges et de leur "normalisation" , un exemple potentiel: l’exécutif il y a deux ans a voulu intégrer au code de déontologie des magistrats ( page 90,91) la mention suivante :
Le caractère confidentiel, voire secret d’un engagement, peut être source de difficultés. Le devoir de solidarité entre les membres de certaines organisations ou l’existence d’un système de justice propre à celles-ci peuvent générer un devoir de loyauté incompatible avec l’impartialité à laquelle les magistrats sont tenus.
D’une manière générale, le magistrat s’abstient de souscrire à un engagement susceptible de restreindre sa liberté de réflexion et d’analyse. La pratique du serment, qu’il soit d’allégeance ou de solidarité sélective, ou de vœux d’obéissance, qu’implique l’appartenance à certaines organisations philosophiques ou religieuses risque d’être incompatible avec les devoirs d’indépendance et d’impartialité du magistrat.
Inutile d'ergoter, la mise en place de ce type de règle ouvre tout droit a ce qu’avait mis en œuvre le régime de Vichy : l’épuration des juges et des fonctionnaires francs maçons et juifs… Il suffira donc qu’un parti héritier de cette période sombre de l’histoire arrive au pouvoir: le texte est prêt. Et la lutte sera vaine contre une campagne de dénigrement orchestrée par les réseaux sociaux.
Il est vrai que l’exemple que nous donne un ancien grand maître du Grand Orient condamné pour des faits de favoritisme et recel n’incline pas à la compréhension.. https://www.mediapart.fr/journal/france/050325/caisse-des-depots-romanet-et-jouyet-condamnes-pour-des-contrats-de-complaisance-avec-bauer. L 'affaire sera sans doute re jugée en appel, les protagonistes sont donc encore innocents.
3) une administration de l’État : l’administration judiciaire
Nombre de décisions :
Civiles : 1667 104 décisions en 2023,
Pénales : nombre de condamnations en 2023 : crimes 2 221 Délits 511 928 Contraventions de 5 classe 29 702
Donner les chiffres de la Commission Européenne pour l’efficacité de la Justice, rapport 2020:
Par exemple : La France consacre 72,50 euros par an et par habitant à son système judiciaire, hors administration pénitentiaire alors que l’Allemagne en consacre 140,73 euros.
La France compte 11,16 juges pour 100 000 ha a comparer avec une moyenne européenne de 22,2 ( Allemagne 25/100000 ha).
Pour les procureurs, la France compte 3,19 procureurs pour 100 000 ha a comparer à une moyenne européenne de 11,80 pour les Etats membres.
La CEPEJ relève à cet égard que la France a l’un des plus faibles effectifs de procureurs en Europe et doit faire face simultanément à un nombre élevés d’affaires pénales de première instance reçues ( 6,1/ 100 habitants alors que la médiane est à 2,8)
Dès lors, en France la justice ne fait pas face à sa mission régalienne : délai de jugements civils et pénaux, encombrement des prisons, abandon totale de la protection de l’enfance, mise en place de politiques d’affichage sans réels moyens ( violences familiales) etc..La liste en longue..
Cette situation maintes fois révélée ne sauvera pas l’administration judiciaire tant le mécontentement grandi à son égard du fait de sa lenteur endémique.
Quand on veut tuer son chien on dit qu’il a la rage.
4) La justice c’est un sentiment, une émotion un sentiment d’injustice
Il est difficile de correspondre à l’idéal de justice de chacun de ses concitoyens : chacun ses valeurs et surtout une attente démesurée, car la justice intervient lorsque toutes les administrations de l’Etat ont échoué et faire croire que :
- La répression pénale non accompagnée d’un secteur psychiatrique et social fort est un leurre. Sur les 80 000 détenus en France ( pour 60 000 places) un tiers des détenus suivis présente en effet des troubles de la personnalité et un quart des troubles liés à une dépendance addictive, 12 % des troubles névrotiques ou anxieux, 8 % souffrent de psychose et 7 % de troubles de l'humeur.
- La lutte contre le narco trafic ne peut s’exercer sans police judiciaire et sans coopération internationale avec les pays producteurs est un mirage, tout comme nous sommes toujours à la recherche d’une politique de santé pour éradiquer la consommation de drogue…
- L’éloignement des étrangers est impossible sans accord préalable du pays d’accueil.
- La justice serait laxiste…il n’y a jamais eu autant de détenus de droit commun dans l’histoire française..
5- Une justice marginalisée
Car la justice française est une civil law qui repose sur une pyramide de normes au somme de laquelle la CEDH et la DUDH ainsi que les traités internationaux irriguent toutes les normes applicables . Dès lors une démolition en règle à laquelle on assiste nous fera sombrer dans un autre récit judiciaire, celui qui existait avant la révolution et les lumières.
Car celles et ceux qui veulent se détacher de ces normes internationales des droits humains constitués juste après 45, ne nous disent pas par quoi ils veulent les remplacer..la réponse est dans l’histoire : la barbarie et l’arbitraire.
Dans un univers de far west ou à la Mad max, cette justice n’a plus rien a y faire.. à force de faits alternatifs, dès lors il n’y a plus de recherche de la vérité.
D’autre part le contexte institutionnel de la V eme république résume tout dans :
L’article 64 : « Le Président de la République est garant de l'indépendance de l'autorité judiciaire. »
Tout est dit , sous le titre de la justice comme autorité judiciaire et non un pouvoir.
Mais l’article 14 n’est pas mal non plus : « Le président de la République à le droit de grâce à titre individuel »..Cela ne vous rappelle qq chose( Cf Trump) ..Inutile de prévoir des procès sophistiqués: un pouvoir autoritaire pourra gracier légalement ses nervis...
De même, cette constitution est fragile compte tenu des possibilités de réforme constitutionnelle en dehors de tout cadre juridique précis en effet la procédure de révision de la Constitution prévue par son article 89 suppose :
- l'accord du Président de la République et du Gouvernement ;
- l'accord de chacune des deux chambres ;
et, selon le cas, l'accord des citoyens (par référendum) ou celui du Congrès (deux chambres réunies se prononçant à la majorité des 3/5e des suffrages exprimés). C'est au Président de la République de choisir la voie (référendum ou Congrès).
Mais la révision de 1962 portant sur l'élection du Président de la République au suffrage universel direct a été soumise directement au suffrage universel. Elle n'a pas emprunté la voie de l'article 89 de la Constitution mais celle de l' article 11 (référendum décidé par le Président de la République, qui n'exige pas l'accord du Parlement)….
(Voir le parallèle avec la constitution de Weimar dans le livre de Yohan Chapoutot Les irresponsables.)
Une autre évolution détestable est aussi possible, c’est le contournement de la justice libérale par une mise en place progressive : d’un état d’urgence généralisé ou ponctuel qui se maintient ou d’une surveillance numérique privée ou étatique par vidéosurveillance prédictive ( en cours dans certaines villes et reconnaissance faciale) d’ailleurs dans son rapport d’activité pour l’année 2022, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) s’est d’ailleurs inquiétée de l’accroissement de la surveillance des militants politiques . Elle a également alerté sur l’insuffisance de ses capacités de contrôle, qui l’empêche de suivre les dernières évolutions technologiques, notamment s’agissant des spywares et autres intrusions informatiques à distance.
Des règles de moins en moins protectrices en terme de droits de la défense, mais aussi simplement du contradictoire, de la collégialité, en somme d’un arbitraire commun, une justice numérique sans s’embarrasser du procès…( remplacer le procès par le process).
Vous me direz : on a rien a se reprocher…. Nombreux sont les démocrates et résistants qui n’avaient rien a se reprocher, ils ne sont plus là pour témoigner.
(Je ne peux que vous encourager vivement à revoir le film de Costa Gavras Section spéciale de 1975…)
Nous avons la justice que l’on mérite, et cette justice que l’on croit être un contre pouvoir qui va nous protéger contre l’arbitraire d’une possibilité autoritaire, dictatoriale ou fasciste n’existe que dans nos têtes, certes il pourra y avoir des résistances individuelles, mais une fois que le cœur du pouvoir sera conquis soit l’exécutif, il sera bien tard.