La Ville de Paris, en lien avec la préfecture de police, met en place un réseau de 1 300 caméras dans les rues de Paris. Les arguments de ce déploiement électronique intrusif sont toujours les mêmes : protéger la population, lutter contre le terrorisme, élucider plus facilement les faits délictueux. Ce qui est notable en région parisienne est la concordance de vue entre les décideurs vantant la politique de Brice Hortefeux et la plupart des élus locaux, ce qu’assume sans ambages Abdelhak Kachouri, vice-président socialiste du conseil régional d’Île-de-France, dans Libération du 21 décembre 2010 : « Être contre la vidéosurveillance pour des raisons idéologiques, c’est du délire », inversant ainsi totalement les données du débat…
Les diverses études scientifiques commandées (1) dans le pays le plus videosurveillé par le Home Office anglais (ministère de l’Intérieur anglais), qui ont abordé la pertinence de la vidéosurveillance, sont formelles : cette technique ne fait pas baisser la délinquance. Les résultats démontrent qu’elle n’a aucune conséquence sur les atteintes aux personnes et que pour les atteintes aux biens, elle ne serait efficace que dans les parkings fermés de véhicules, et encore dans certaines conditions… Pourquoi donc le gouvernement français s’entête-t-il dans cette voie, maintenant relayé par les édiles locaux, tentés par cette surenchère sécuritaire ? Mieux, pour contrebalancer les études scientifiques étrangères indépendantes, le ministère de l’Intérieur a produit ses propres analyses par ses services, en dehors de tout protocole scientifique. Avec la généralisation de la vidéosurveillance en France, dénommée maintenant par la loi Loppsi 2, « vidéoprotection », nous sommes bien dans la pire des idéologies d’État : inefficace, dangereuse pour les libertés, coûteuse. À Paris, l’addition se chiffre déjà à 155 980 602 euros TTC, auxquels s’ajouteront les frais de maintenance sur une concession confiée à des filiales de GDF Suez et Veolia. Selon les comptes faits par le collectif contre la vidéosurveillance, chacune des caméras coûtera aux Parisiens 119 525 euros… Pourtant il semble que l’époque soit plutôt aux économies ou en tout cas au bon emploi des finances publiques.
C’est qu’en réalité, l’État, par ce programme de vidéosurveillance, se défausse de l’une de ses attributions essentielles au frais des collectivités locales : la sécurité. Ce plan national va de pair avec une réduction drastique des effectifs de police (10 000 entre 2004 et 2012, selon le syndicat SGP-FO), et donc de présence policière dans la rue, remplacée par des caméras inefficaces au frais des communes… Cette politique menée de concert entre le gouvernement et la Mairie de Paris servira-t-elle au moins à réduire le sentiment d’insécurité ? Les études anglaises concluent aussi à un non catégorique : les citoyens britanniques ne se sentent pas plus en sécurité avant le déploiement de ce programme qu’après… De même, Scotland Yard est très circonspect sur le taux d’élucidation des caméras du fait souvent de dysfonctionnements multiples et d’une saturation de l’espace public qui devient inefficace… La seule annonce positive est que, malgré les désillusions engendrées par cette technique, la population et les élus en redemandent, conséquence d’un matraquage marketing des sociétés prestataires et des franges plus sécuritaires de la société. Il serait plus pertinent de se pencher sur les données récentes du rapport de l’Onzus (Observatoire national des zones urbaines sensibles (2), qui démontre une augmentation de plus de 7 % des atteintes aux personnes dans les banlieues populaires, signe d’une désagrégation des services publics, et notamment du secteur de la prévention spécialisée, du suivi psychiatrique en milieu ouvert, mais aussi de la nécessité du déploiement d’une police de proximité assurant un rôle social et d’une police judiciaire débarrassée de la politique du chiffre.
Mais peut-être nos décideurs publics ont-ils oublié cette phrase de Thomas Jefferson, troisième président des États-Unis, dont pourtant, souvent, ils revendiquent une filiation politique : « Si tu es prêt à sacrifier un peu de liberté pour te sentir en sécurité, tu ne mérites ni l’une ni l’autre. » Le choix politique de la Ville de Paris est un mauvais présage…
(1) La vidéosurveillance réduit-elle la délinquance ? Sébastian Roché, Pour la science, août 2010.
(2) Rapport de l’Onzus, http://www.onpes.gouv.fr, Observatoire-National-des-Zones.html.
Gilles Sainati, membre du Syndicat de la magistrature.
article paru dans l'Humanité du 24 janvier 2011