GoodMorningMada (avatar)

GoodMorningMada

Gros maux malgaches

Abonné·e de Mediapart

26 Billets

0 Édition

Billet de blog 20 octobre 2025

GoodMorningMada (avatar)

GoodMorningMada

Gros maux malgaches

Abonné·e de Mediapart

Nomination de Herintsalama Rajaonarivelo : le hold-up des barons de l’ancien régime

GoodMorningMada (avatar)

GoodMorningMada

Gros maux malgaches

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Un coup de théâtre tragique

L’annonce a fait l’effet d’un séisme politique : Herintsalama Rajaonarivelo, banquier, technocrate et président du conseil d’administration de la BNI Madagascar, vient d’être nommé Premier ministre par le colonel Randrianirina, sur proposition d’une Assemblée nationale à majorité pro-Rajoelina. Pour certains, c’est le signe d’un souffle nouveau. Pour d’autres, c’est une opération de restauration : la reprise en main d’un mouvement populaire qui réclamait une rupture totale. Derrière le masque de la compétence et de la modernité, cette nomination marque le retour des barons.

Un technocrate prétendument neuf

Les médias et les écoles de commerce font le portrait d’un “visionnaire patriote”, d’un “homme d’innovation et de leadership”. Il parle de mindset, de continuum, d’“inclusion financière”.

Mais derrière ce lexique managérial, c’est le profil classique du gestionnaire du consensus : un homme formé pour concilier le marché et l’État, l’idéologie libérale et le discours social, sans jamais remettre en cause l’ordre établi. Rajaonarivelo n’a rien d’un outsider. Président du conseil d’administration de la BNI, actionnaire de Madarail, figure influente du patronat à travers le FOM, il évolue depuis longtemps dans les cercles du pouvoir économique. Son nom circule parmi les réseaux d’Hassanein Hiridjee (Axian), de Naina Andriantsitohaina (ancien maire et pilier du régime Rajoelina), et de Mamy Ravatomanga, oligarque aujourd’hui en exil. Autrement dit, il incarne cette élite malgache bilingue : française dans les conseils d’administration, malgache uniquement devant les caméras.

La confiscation d’une révolte

Le pouvoir militaire et parlementaire a trouvé son profil idéal : un visage lisse, rassurant pour les investisseurs, capable de neutraliser la colère sociale sans en paraître l’adversaire. En le présentant comme un “homme neuf”, la coalition au pouvoir réussit une opération politique redoutable : offrir l’illusion d’un renouveau sans changement réel. Mais la jeunesse n’est pas dupe. Ce qui devait être une rupture démocratique devient une restauration sous un vernis technocratique. Les slogans de la rue – justice, transparence, souveraineté – sont rangés dans les tiroirs du discours officiel.

Les réseaux de l’ombre : France-Afrique, Axian et la bourgeoisie de connivence

Derrière le profil “indépendant” de Rajaonarivelo, on retrouve les structures familières du pouvoir économique postcolonial. Le groupe Axian, dirigé par Hassanein Hiridjee, détient des positions dominantes dans les télécoms, la finance et l’énergie, notamment à travers la BNI. Ce conglomérat a prospéré sous Rajoelina grâce à des effacements de dettes, des concessions opaques et des contrats énergétiques taillés sur mesure. Même trajectoire pour Andriantsitohaina et Ravatomanga : des hommes d’affaires devenus figures politiques, dans un système où la frontière entre l’État et les intérêts privés n’existe plus. Rajaonarivelo est le produit de cette symbiose entre pouvoir économique, administration et influence étrangère. Une bourgeoisie de connivence, relais local d’intérêts extérieurs, qui se présente comme modernisatrice tout en verrouillant le système.

Une jeunesse trahie

Le mouvement de la GenZ, qui incarnait une rupture générationnelle et morale, se voit aujourd’hui dépossédé de son élan. Sa révolte a été traduite, filtrée, institutionnalisée. C’est le processus classique : on apaise, on récupère, on intègre. La contestation devient décorative, et les nouveaux visages du pouvoir se chargent de la rendre inoffensive. L’opération est subtile : transformer la révolte en récit de “transition responsable”.

Le symbole d’une continuité 

Nommer un banquier à la tête du gouvernement dans un pays où 80 % de la population vit dans l’informalité est une ironie historique. Le pouvoir économique reprend la main sur le politique, au nom de la modernisation. Mais rien ne change : le banquier soutient le soldat, le système se recycle. Ce n’est pas la fin d’un régime, c’est la mutation du même pouvoir, plus discret, plus compétent, mais toujours aligné sur les mêmes intérêts.

Madagascar dans la trappe néolibérale

Le pays rejoue un scénario bien connu de la Françafrique : celui d’une élite économique qui prétend sauver une nation qu’elle a contribué à affaiblir. Sous couvert de refondation, c’est une consolidation : plus d’ouverture aux marchés, plus de dépendance financière, moins de souveraineté réelle. Le danger n’est pas seulement politique, il est symbolique. La jeunesse, qui avait rêvé d’un autre horizon, risque de croire qu’aucun changement n’est possible sans l’aval des puissants. Or, c’est cette résignation qui assure la survie du système.

Que faire ?

Ce n’est pas l’échec de la jeunesse, mais la victoire temporaire de l’ordre établi. La nomination d’Herintsalama Rajaonarivelo doit être l’occasion d’une prise de conscience : tant que les structures économiques prédatrices resteront intactes, toute refondation sera un leurre. Le pays n’a pas besoin d’un nouveau gouvernement, mais d’un nouvel imaginaire politique fondé sur la souveraineté populaire, la justice sociale et l’émancipation collective. La véritable refondation ne viendra pas des banques, mais du peuple.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.