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Billet de blog 1 avril 2021

La faute des mères – Récit d'une hospitalisation d'un jeune enfant

Au printemps 2020, son tout jeune enfant est hospitalisé. cette brèche temporelle offre à Marie le temps d'écrire. Elle nous livre les réflexions dans l'intimité de l'accompagnement maternel.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Au printemps 2020, la colère grondait en nous. Pour ne pas qu'elle nous dévore, nous avons choisi de l'écrire. Nous avons choisi de nous écrire. De femme à femme. Nous nous sommes retrouvées quand cela a été possible. Et c'était la fête des mères. Et pour nous il est important de poser notre propre définition de ce mot "mère". Alors on a écrit depuis là. Et puis on a rassemblé nos textes. ça faisait 48 pages et c'est beaucoup. La brochure s'appelle "ce que je voulais vous dire..." ! On les a imprimées comme on a pu, avec nos ressources de mères sous le seuil de pauvreté ou pas loin. "Mère au foyer", "Mère de famille nombreuse", "mère isolée", "maman solo", derrière ces étiquettes, NOUS SOMMES. 
Dans le sillage de l'appel à témoignages lancé par Mediapart, nous publions ici certains de ces textes. 
Un an plus tard.

LA FAUTE DES MÈRES – RÉCIT D'UNE HOSPITALISATION D'UN JEUNE ENFANT

Echos, répétitions, résurgences. Similitudes.

9 ans d'écart, un bébé qui respire mal, un service de pédiatrie, un éloignement du reste de la famille.

Des différences. L'un venait à la vie, sortait de mon ventre. L'autre a deux ans et demi, et nous met brutalement face à la fragilité de la vie.

Rappel permanent, Tu n'as pas de pouvoir sur la vie de tes enfants. Ni même sur leur santé. Tu peux les accueillir au mieux, et remercier la vie chaque jour qu'ils soient à tes cotés.

Des sensations qui remontent, puissantes. Le contact de sa peau contre la mienne, mon lait qui coule de moi à lui, pour le nourrir le fortifier, faire couler la vie en lui. Le temps qui se délaie, une bulle suspendue à son souffle à ses éveils, à ses sourires qui reviennent.

Un point commun. C'est la faute de la mère, toujours. Qui a fait le mauvais choix. Toujours.

Il y a 9 ans, la gynécologue, la pédiatre. J'ai choisi qu'on ne provoque pas la naissance de mon bébé si tout allait bien., Qu'on ne déclenche pas l'accouchement, si tout allait bien. Choisi d'accoucher sans péridurale, sans ocytocine, sans percer la poche des eaux. Si tout allait bien..

Et tout allait bien.

Et puis dans les dernières minutes... La vie encore, ses accidents son fil à la fois solide et fragile comme celui de l'araignée.

Mais il faut expliquer. Et faute d'explication, il faut un coupable. Ça tombe bien , il y a une mère.

C'est votre faute madame, si vous n'aviez pas voulu accoucher naturellement on aurait pu éviter ça.

9 ans plus tard, des soignants exceptionnels de bienveillance et d'efficacité. Gratitude.

Je nous ai entourés avant de partir en appelant des amies chères, précieuses. Qui pensent à nous. Des flux d'énergie qui nous portent. J'ai suivi mon cœur, trois amies et c'est tout. Sans réfléchir. A qui je confie ce moment de nos vies sans crainte.

Le lendemain, avec hésitation mais avec la voix de la raison aussi, avec mon cerveau, mon cortex, j'appelle deux amis soignants, l'un propose un soin à distance.

Quand il a fini il me demande / propose de le rappeler. Comment ne pas le faire ? , il a sans doute des clés à me donner.

Et là, une attaque, une déflagration. C'est mon dernier, je ne veux pas le lâcher, pas arrêter de l'allaiter, pas le laisser grandir. En un mot -qu'il n' a pas prononcé, mais qu'il a dit quand même, c'est ma faute. C'est ma faute si mon enfant est allongé là à gémir, inerte.

Bien sur tu me dis, qu'il y a ta subjectivité, que tu peux te tromper, que je peux rejeter tes propos.

Qui le peut ? A ce moment d'ouverture, de réception de vulnérabilité volontaire ?

Malgré tout je l'ai fait, je l'ai pu. Parce que ces derniers temps, j'ai pris soin de ma colère. J'ai appris son utilité, rendre forte, protéger, être un signal. Je l'ai entendue arriver, je me suis blindée.

Mais, juste avant ne serait ce que l'espace de quelques secondes, j'ai eu le temps d'avoir mal. D'être ébranlée.

Et pourtant à ce moment de quoi avait besoin mon enfant sinon de ma force de ma solidité, de ma présence sereine en pleine conscience, loin de l'agitation mentale provoquée par le doute, la culpabilité ?

J'ai pu aussi parce que je sais que ça sera toujours de ma faute de mère.

On est mère, on doit faire des choix pour ses enfants. D'aucunes essaient de les faire avec eux, en fonction de ce qu'ils sont et des aléas de la vie. Mais pour eux ou avec eux, le regard des autres et le jugement est sur nos épaules, et c'est nous qui toujours seront convoquées au bilan comptable, au verdict.

Pas les pères / peu les pères - quand ils sont là - on discute, on échange, ils donnent leur avis, ils sont plutôt pour plutôt contre ils se laissent convaincre ou pas, Mais c'est souvent/ toujours la mère qui se lance, qui s'engage, qui prend le risque de se tromper.

Accoucher avec ou sans. Allaiter ou pas. Faire garder ou pas. Scolariser ou pas. Donner des vitamines ou pas, Forcer à manger ou pas. Vacciner ou pas, Partir en vacances ou pas. Laisser jouer à la console ou pas. Écouter ou pas, Négocier ou pas, Regarder la télé ou pas, suivre la mode ou pas. Parler sexualité ou pas, Acheter des chaussures neuves ou d'occasion, un siège voiture dernier cri ou un ancien, une draisienne ou un tricycle. Inscrire à la danse ou au judo.

Faire les devoirs ou lâcher l'affaire. Garder ses dessins d'enfants ou pas, le laisser aller chercher le pain ou pas, courir dans les bois ou pas, utiliser un couteau ou pas....

On fait toujours les mauvais. On est toujours trop ou pas assez.

C'est toujours à cause de nous que l'un. est angoissé, turbulent, enrhumé, pouilleux, timide, casse cou, malpoli...

Ce sera à cause de nous s'il ne trouve pas de travail, s'il est célibataire à 30 ans, s'il est malheureux en couple, s'il boit, se drogue, fait une dépression, n'arrive pas à faire des enfants.

Et s'il serait abusif de s'attribuer la réussite, le bonheur l'épanouissement de ses enfants, pourquoi le serait il moins abusif de s'attribuer toute la culpabilité de leurs tâtonnements de leurs fragilité de leurs écueils ?

Mais à quoi bon ? Ça sera toujours ma faute. On pourrait dire tant pis, mais le poids de ce jugement sur nos choix, le poids de l'obligation impossible d'être une bonne mère...

Être une bonne mère.

Être la meilleure mère possible, avec ce qu'on est, ce qu'on porte. Essayer de faire des choix en conscience, éclairés qui écoutent nos enfants qui tentent de leurs laisser le choix de faire les leurs. Avec, nos failles. Avec nos blessures, Avec nos peurs. Ne plus être mère, être une personne.

Ou se courber, se tasser, se plier. Les conformer. Éviter de se demander à quoi ils aspirent s'ils sont heureux, s'ils peuvent être eux.

Naviguer de l'un à l'autre tenter, trébucher, s'excuser presque d'avoir osé, être sommée d'y revenir.

Oser se dire qu'on ne sait pas qu'on se trompera 100 fois mais que c'est là qu'on est juste, une personne en relation avec une autre personne, avec notre histoire... ET pas un agent social qui remplit une fonction.

Je vais continuer à me tromper les enfants, beaucoup, souvent à chaque fois peut être... Mais j'égrène les moments de joies et eux seront là. Pour le reste que faire d'autre ? Je sais, je ne nie pas ma responsabilité dans vos vies, mais je continuerai à essayer de différencier culpabilité et responsabilité. Pour ne pas me fermer au possible pour rester ouverte à la vie et à toutes ses surprises et ses doutes. Je continuerai à préférer le doute à la certitude, à faire des essais, des échecs, parce que c'est de là qu'on apprend.

Même si je crois qu'il restera l'espoir qu'on puisse me dire que j'ai bien fait d'essayer...

Marie Carpentier

NB : l'ensemble de la brochure est consultable sur simple demande. Nous vous la transmettrons en pdf.

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