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Billet de blog 14 décembre 2022

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Vous avez demandé « Police secours » ?

Le déshonneur de certains policiers est-il le déshonneur de la Police ? Se poser la question n’est pas chose anodine. On pourrait déporter le débat sur le monde enseignant ou ecclésiastique pour mesurer les écarts.

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Restons sur le monde enseignant. Existe un seul syndicat enseignant cherchant à atténuer les responsabilités d’un collègue accusé de crime pédophile ? … Non jamais… Ce serait un vrai scandale dans le cas contraire.

Alors pourquoi lorsque des policiers sont en flagrant délit de fautes professionnelles extrêmement graves (exemple la mort d’un contrevenant pour un refus d’obtempérer, les victimes étant tuées dans le dos et sans preuve de mise en danger d’autrui), il se trouve toujours des syndicats de policiers, y compris majoritaires pour prendre la défense des policiers incriminés. Et la mort d’un être humain, quelque soit ses défauts, ses torts, devrait être insupportable à chacune et chacun. Sans aller jusque là quand des jeunes racisés se plaignent de PV truqués, il faut souvent des preuves irréfutables (par exemple des vidéos), et encore cela ne suffit pas toujours pour que l’on constate que des procès-verbaux sont faux… Mais combien de policiers dénoncés pour de malversations commises ? Et ceux qui ont été sanctionnés et licenciés pour fautes lourdes sont parfois réintégrés grâce à la pression d’un syndicat majoritaire aux idées nauséabondes (voir Compléments d’enquête France 2).

Bon, le lecteur de Médiapart que je suis (comme sûrement nombreux), pourrait rester sur ses principes humanistes, se scandalisait de ces dérives policières (sincèrement !) tout en se disant (inconsciemment) qu’en tant que mâle blanc quinquagénaire socialement intégré, ayant un très bon niveau de revenu on est très loin de tout cela…. Jusqu’au jour où le quotidien humain vous rattrape et vous constatez que même dans votre univers « ouaté » certains « voyous » de la police peuvent entrer par effraction dans le cercle de vos amis. La réalité des escroqueries peut toucher tout honnête citoyen. L’histoire que je vais maintenant raconter montre cependant que même victime des ces escroqueries policières les conséquences ne sont pas les mêmes lorsqu’on est issus d’un certain milieu socio-culturel…

Épisode 1 : Comment sauver la vie d'un suicidaire en pleine crise délirante ?

Je vais donc raconter l’histoire de très proches amis, Benjamin et son épouse Céline (prénoms d’emprunt). Ce sont leurs paroles, leur vision des événements, que j’estime sincères, ne serait-ce qu’il faut une très grande confiance pour confier à un ami ce qui leur est arrivé. J’ai modifié quelques éléments de leur histoire pour qu’ils ne soient pas reconnus. Ce sont des quinquagénaires dans une ville moyenne « en région » comme on dit. Leur niveau de vie est plus que convenable, lui est cadre à haute responsabilité de la fonction publique, elle est employée… Ce que je connais de Benjamin c’est qu’il est depuis très longtemps de tendance suicidaire et dépressive. Sa précédente hospitalisation date de six ou sept ans. De ce qu’il m’a confié, il suit une psychothérapie intensive. Cela ne l’a cependant pas empêché de sombrer fin 2020 dans une très forte dépression. Il lui a fallu de nombreux mois pour en sortir. Il souffre aussi régulièrement d’une sciatique. Enfin c’est un bon vivant et ne crache ni sur la bonne chair, ni sur la boisson.

Cet été ayant une très forte sciatique Benjamin a été mis sous traitement d’anti-inflammatoires et de puissants anti-douleurs (notamment un produit codéiné). Il ne savait pas (et moi non plus d’ailleurs) qu’il est très dangereux d’associer la codéine à l’alcool. La codéine est un précurseur de la morphine et de mauvaises associations peuvent selon les patients déclencher des crises de confusion mentale.

Il se trouve qu’un jour il a consommé un grand verre d’alcool en même temps que la codéine. Une dispute avec son épouse dont le motif était plus que dérisoire a déclenché chez lui une bouffée délirante suicidaire. L’essentiel de ce qui s’est passé m’a été raconté par Céline, car lui ne garde que de très vagues souvenirs, juste des moments clefs et encore pas dans la bonne chronologie. Céline l’a soudain vu se lever en proférant des horreurs sur ses enfants sur elle mais surtout sur lui : il voulait mourir. Il s’est précipité vers l’entrée de la maison pour sortir. Non loin de chez eux, existe un endroit propice aux suicides… Il y en a hélas régulièrement… Heureusement Céline l’a empêché de sortir. Il est alors revenu dans la cuisine pour se saisir d’un couteau à désosser et tenter de le planter dans sa carotide. La cuisine donne sur le jardin de la voisine. Il faisait chaud, les fenêtres ouvertes et la voisine curieuse comme une pie. Il faut aussi préciser que cette voisine est une piètre personne, malveillante et donc en froid avec tous ses voisins, mes amis compris. Céline a réussi à désarmer son époux (l’énergie du désespoir !) tout en criant à la voisine d’appeler les pompiers... Étant désarmé, Benjamin tentait de nouveau de sortir : mais Céline a de nouveau empêché d’ouvrir la porte d’entrée et a réussi à le calmer en plaquant contre le mur. Céline m’a confié qu’il était à la fois délirant dans ses propos mais tout « mou » … Sans doute l’effet du cocktail… Elle l’a alors câliné un bon quart d’heure, il s’est calmé dans une posture peu confortable : il était à demi à croupis. Enfin « calmé » si l’on peut dire, il lui disait toujours des horreurs. Céline a entendu parler ce qu’elle croyait être des secours derrière la porte d’entrée. Comme elle les a entendus qu’ils voulaient passer par le jardin ou défoncer la porte, elle leur a crié que la porte était ouverte. Elle fut surprise de voir entrer des policiers lourdement armés, avec gilet pare-balle dont l’un portait une mitraillette. Elle leur a dit que c’était Benjamin qui n’allait pas bien qu’il voulait se suicider. Après s’être enquis qu’il n’était plus armé, ils ont pourtant donné l’ordre très agressivement à Céline de s’écarter de lui. L’un des policiers a pointé la mitraillette sous le nez de Benjamin. Ce dernier a crié « Tuez-moi ! » en se saisissant de l’arme… Mais son action, vu sa position initiale à provoquer sa chute, entraînant celle des policiers. Tout cela a eu pour effet de désarmer le policier, la mitraillette est tombée à terre. Prise de panique Céline a essayé de s’en emparer par peur que Benjamin s’en saisisse pour se tuer : elle a été stoppée par un autre policier.

Petite parenthèse : apprend-on dans les écoles de police que le meilleur moyen de maîtriser un forcené suicidaire est de lui pointer une mitraillette sous le nez ? Je ne crois pas que la possibilité de la mort effraie un suicidaire. Heureusement pour tout le monde le policier était aussi maladroit que malhonnête (nous le verrons plus tard). Il y a quelque temps France 2 diffusait un reportage sur des policiers formés à maîtriser sans violence des délirants psychiatriques. Apparemment ces policiers n’ont pas eu cette formation.

Mais revenons à notre histoire. Benjamin avait chuté sur l’un de ses bras. Un policier lui maintenant fermement l’autre bras dans le dos, lui demandait gentiment (si, si vraiment gentiment selon Céline) de donner l’autre bras. Benjamin le fit non pas à contre-cœur mais avec difficulté car il est très lourd et ne pouvant pas bouger, le retirer lui était difficile. Pourquoi tous ces détails ? Parce ce que par la suite tout cela aura une importance. Benjamin fut emmené calmement jusqu’à une ambulance de pompiers qui attendait. Il se souvient avoir entendu un policier crier : « Finalement c’est le Monsieur qui ne va pas bien »…

Pendant ce temps-là, le policier qui avait été désarmé était très en colère. Devant Céline, il s’est mis à injurier Benjamin qui partait (mais celui-ci ne s’en souvient pas) et s’est d’abord inquiété des salissures sur son pantalon : il avait chuté dans un cageot de tomates du jardin, entreposé à cet endroit. Il finit sa bordée d’insultes par « En plus il m’a niqué la main ce gros PD, je vais lui faire payer ! » Céline fut sidérée et choquée par ces propos et cette attitude indignes. Elle lui a répondu qu’il ne fallait pas insulter son mari, qu’il était quelqu’un de gentil.  Les policiers ont alors discuté avec Céline : ils avaient été alertés que son mari aurait tenté de la poignarder. La voisine malveillante avait voulu voir ce que ces mauvaises intentions lui dictaient et c’est la police et non les pompiers qu’elle avait alertée. Céline les détrompait mais ils voulaient tout de même prendre en photo le couteau. Une jeune policière tentait gentiment de rassurer Céline en lui disant de ne pas s’inquiéter, que les dépressifs pouvaient parfois délirer et qu’heureusement les secours étaient arrivés à temps….

Benjamin de son côté avait été menotté pieds et mains au brancard. Il se souvient d’avoir reçu une ou deux piqures dans la cuisse. C’est seulement en début de soirée qu’il a commencé à retrouver ses esprits et constaté qu’il avait les mains et les pieds attachés au lit. Il est resté entravé jusqu’au lendemain midi, après la visite de la psychiatre du service des urgence. Il était dans une chambre avec barreaux et caméra de surveillance. Benjamin est ressorti traumatisé de cette expérience : perte totale de contrôle qui a choqué son épouse, puis privation totale de liberté (y compris de bouger) de 24h. Après son arrivée aux urgences, Céline est arrivée et à demander à le voir. On lui a refusé en lui disant qu’il était encore agité et qu’il parlait encore de se suicider… La psychiatre qui l’a consulté avant sa sortie n’avait selon les dires de Benjamin, pas une once de psychologie (!!!). Elle l’a sermonné comme un gamin (euphémisme) en lui rappelant qu’il avait déjà été hospitalisé pour tentative de suicide, le « menaçant » la prochaine fois de l’interner d’office… Avant de l’autoriser à sortir… Sans aucun traitement… Benjamin a dû aller par la suite voir son médecin traitant qui lui a de nouveau prescrit des anti-dépresseurs et tranquillisants.

Nouvelle parenthèse : toute cette histoire m’interroge sur le regard de notre société sur les gens en souffrance psychologique. J’ai comme une impression que beaucoup de gens (y compris certains soignants !!!) regardent ces souffrants non comme des victimes mais comme des coupables. Bien sûr chacun doit être responsable de ses actes. Quelqu’un qui souffre au point de vouloir mettre fin à ces jours est-il cependant coupable ? Je sais qu’aux yeux de nombreuses religions c’est le cas. Mais nous sommes dans un état laïc. Une deuxième réflexion concerne les missions de la Police. N’est-ce pas de protéger les citoyens (y compris contre eux même) ? Je crois que la notion de « Police-secours » a été oublié depuis longtemps.

Benjamin et Céline ont mis plusieurs semaines à se remettre de cet événement… Benjamin très malheureux de ce qu’il a fait subir à Céline, a commencé à replonger dans une dépression. Céline, choquée, aurait pu être en colère. Au contraire de ce que je comprends, elle accrut sa tendresse et ses soins pour son chéri. Et l’histoire aurait pu en rester là. Mais nous verrons dans l’épisode deux que notre monde n’est pas un conte de fée…

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