Ça tient à la fois de la course-poursuite, du stock-car, de la chasse à courre ou du rodéo. Ça se passe à pied, en voiture, à moto, on n’a pas encore vu le bateau mais ça ne saurait tarder… A la limite, peu importe, l’essentiel est dans la prise, donc un seul impératif : faire au plus vite, au plus efficace, au plus spectaculaire. Avec en sous-titre, bien sûr, « hein que c’est nous les meilleurs ! »
La mode en avait été lancée à la présidentielle de 1995 avec Benoît Duquesne coursant en moto dans les rues de Paris Jacques Chirac tout fraîchement élu pour tenter de lui arracher ses premiers mots… Las, le tout nouveau président n’avait même pas daigné baisser la vitre de la limousine au grand dam de notre reporter tout récent joker de France 2, chargé des opérations spéciales. Mais la séquence, aux yeux de certains, a dû rester cultissime !
C’était d’un ridicule tellement achevé que l’on ne pouvait se douter que dix-sept ans plus tard, la course-au-train serait en passe d’être devenue l’une des spécialités du métier de journaliste, notamment en période électorale. L’autre spécialité en vogue étant devenue celle, impeccablement représentée par Laurence Ferrari et David Pujadas en 2012, de sablier-chronométreur de débats.
Au soir du premier tour, c’est incontestablement Florent Gautreau, de France 2 (la chaîne publique avait réquisitionné 15 motos pour l’occasion), qui a remporté la palme de dauphin de Benoît Duquesne, réussissant même à obtenir un vague salut de la main du candidat-président arraché de haute lutte, mais palme à partager quand même avec sa collègue Valérie Astruc qui nous a gratifiés d’un « Excusez moi, j'ai perdu l'oreillette, et je ne savais pas que j'étais en direct » digne des plus grands moments de la télé. A ressortir en décembre dans le bêtisier de l'année ?
Les autres chaînes n’ont pas été en reste, au point que, zapping oblige, je serais bien incapable de citer laquelle nous a offert ce direct hallucinant en forme de plongée live dans les parkings de Tulle, pour suivre le candidat Hollande sur le point de se diriger vers son QG parisien, à grands renforts de commentaires haletants du type : « là, on arrive aux motos, là, on descend, arrivera-t-on à temps avant le départ de la voiture qui l’accompagne, toute la question est là…. Hélas non ! On voit la voiture qui démarre, elle remonte la rampe....»
Ce premier tour grandguignolesque — du moins sur le plan télévisuel — avait d’ailleurs été le plus plaisamment du monde croqué dès le lendemain par Antoine Perraud et par Patrick Rodel côté Club. Jubilatoires.
Qu’en sera-t-il du second tour ? A en juger par la « couverture » du débat de l’entre-deux-tours, au soir (ainsi qu’à la veille et au lendemain) du 3 mai, on peut d’ores et déjà craindre le pire…. Après un démesurement long « before » sur place, dans le studio de la Plaine-Saint-Denis (dans lequel le débat ne débutera que trois bons quarts d’heure plus tard) et dont David Pujadas et Fabien Namias ne nous épargnent aucun détail des couloirs (ce mauve horrible !), des loges de chacun des candidats (à l'opposé l'une de l'autre, tiens donc !), du hall d’accueil (par où ils ne devraient « certainement plus tarder à arriver »), on nous concède un JT squelettique et anémié, animé par un Julian Bugier apparemment tellement excité de cette soirée qu’il n’hésite pas à entrecouper son journal d’un « et maintenant un détour vers la Plaine-Saint-Denis pour assister aux derniers préparatifs »…. qui nous fait d’emblée craindre n’avoir plus faim du tout lorsque le plat de résistance sera enfin prêt.
Pourtant, l’intérêt se réanime petit à petit, en même temps que l’appétit, face aux époustouflantes questions des journalistes à l’arrivée des candidats : « M. H (ou M. S., en l’occurrence peu importe) qu’attendez-vous de ce débat ? » « Pensez-vous qu’il peut inverser la tendance ? » On en reste coi. Journaliste, quel métier ! On apprendra qui est arrivé le premier, qui le second, à combien de minutes d’intervalle, bref, rien ne nous sera épargné. Heureusement, Sarkozy, s’agaçant, commence à mettre de l’ambiance : « Non, mais vous n’allez pas me poser cette question à tous les étages ? », lâche-t-il énervé à un Fabien Namias pâlissant de trois tons.
Le reste à l’avenant. Avec retour lendemain dans les loges respectives, les équipes de campagne pendant le débat, les couloirs, les escaliers….. et peut-être même, nous a-t-il semblé, ce midi, une porte de WC en train de se refermer ? A vérifier en replay-streaming (je sais, c'est aussi pléonasmique que direct-live, reportage sur place ou même tri sélectif, mais je ne peux pas résister) sur le site de France 2. Et peut-être aussi sur toutes les autres chaînes, des fois que….
Car bien sûr, c'est la chaîne qui aura couru le plus vite, qui aura recueilli en personne le premier râclement de gorge du candidat élu et nous aura révélé en primeur les parkings, les cages d'escaliers et jusqu'aux placards à balais des QG de campagne ou des plateaux de télé, qui aura remporté la queue du Mickey !
Les coulisses ? Faudra-t-il vraiment les boire jusqu’à la lie ou pourra-t-on un jour revenir au cœur du sujet ?