Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

64 Billets

11 Éditions

Billet de blog 4 août 2012

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

La compagnie des nuages

La compagnie des nuages n’est pas dérangeante. Elle permet de faire le point, de tourner la page ou même d’oublier. Elle fait se sentir encore là,  présente, vivante. D’autant qu’il n’existe sûrement pas de spectacle plus varié à contempler. Du blanc nacré au rose ou au gris ardoise, du bleuté au presque noir en passant par le mauve ou l’orangé, du laiteux au transparent plus ou moins opalescent ou au quasi opaque, effilochés ou moutonnés, dispersés ou en vagues serrées, les nuages dessinent une géographie changeante que seule l’humeur de celui qui les contemple peut décrypter. 

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

La compagnie des nuages n’est pas dérangeante. Elle permet de faire le point, de tourner la page ou même d’oublier. Elle fait se sentir encore là,  présente, vivante. D’autant qu’il n’existe sûrement pas de spectacle plus varié à contempler. Du blanc nacré au rose ou au gris ardoise, du bleuté au presque noir en passant par le mauve ou l’orangé, du laiteux au transparent plus ou moins opalescent ou au quasi opaque, effilochés ou moutonnés, dispersés ou en vagues serrées, les nuages dessinent une géographie changeante que seule l’humeur de celui qui les contemple peut décrypter. 

Ce n’est qu’en les dévisageant, tête renversée et yeux mi-clos qu’on peut avoir la clé. Une condition à cela : les imiter mentalement et se laisser flotter sans objectif déterminé. Ne pas vouloir penser. Entre la barrière serrée des cils  — qui jamais ne paraissent aussi sombres et épais que vus de l’intérieur —, se contenter de scruter leur silencieux défilé, comme d’étranges continents que personne, jamais, n’a encore exploré. Et se laisser aller. Bientôt, le sommeil va venir. Et c’est sous une pluie battante, sur une chaise longue trempée, que vous vous réveillerez quelques heures après. D’ailleurs, le soir commence à tomber. Il est temps de rentrer. Vacances. Vacuité. Apesanteur.

Vous avez retrouvé le bouquin que vous aviez commencé l’été dernier, ouvert à la page où vous vous étiez arrêtée. Totalement perdu le fil. Reprendre au chapitre premier.  Se réimprégner lentement, comme on rentre dans l’eau pas à pas, lorsqu’il y a plus d’un an qu’on ne s’est pas baignée et qu’elle est si fraîche qu’on n’est pas sûr d’y aller. Et non, décidément, cette fois-là, on va renoncer.  On a bien le temps. Ça ne fait que commencer. Retour sur le banc de pierre sous les tamaris ébouriffés qui jouent à être des nuages.  Mais d’un très gracieux rose foncé qui permet immédiatement de les identifier. Ecouter le vent, les mouettes se réunir pour leur séminaire de fin de journée sur la jetée. Respirer longuement, largement, pleinement. Fixer l’horizon comme un vieil ami qu’on a chaque fois autant de plaisir à retrouver même si lui ne vous reconnaît jamais.  Tant de choses à lui raconter. Par où commencer ?

Le paillasson de l’appartement est porté disparu. Volatilisé, sûrement. Ou envolé comme un tapis volant. Bien sûr personne n’irait quand même chaparder un simple gratte-pieds. Très vite, avec la météo qu’il fait, son absence s’est fait cruellement sentir. Au bazar « Chez Fouilletout » du coin, le surnom qu’on lui a toujours donné, il a fallu choisir. Dilemme. « Welcome » nous a paru hors de propos, ainsi d’ailleurs que le plus sobre « Bonjour ».  Le petit chat d’office, couché papattes en rond dans une corbeille fleurie, trop mièvre. Le « Attention, chien méchant », trop menaçant.  Le faux gazon, trop vert et trop plastique. Comme nous n’avions pas non plus envie que les éventuels visiteurs puissent s’essuyer les pieds sur nos initiales (commande réalisée sous une semaine), nous avons  finalement rabattu sur un imprimé zébre. Mais 100% crin. Ambiance safari en Normandie. Traquer le repos et le silence, avec pour seules armes les nuages, une chaise longue, beaucoup de patience et tout ce qu’on peut donner en capacité d’oubli, n’est-ce pas aussi une forme de safari ?

Le verbe « convalescer » n’existe pas. Le mot « convalescent », oui. Le mien, de « convalescent » fait pourtant tout ce qu’il peut pour conjuguer le verbe à tous les temps.  De grands bains de mer sous la pluie.  De longues parties de jokari à marée basse avec le nouveau partenaire qu’il se sera dégotté cet été : un jeune père désœuvré parce que son rejeton est encore trop bébé pour jouer avec lui. Des escalades sur les rochers. De longues marches à pied sans même un K-Way sous un ciel qui noircit. Comme si la mer, le sable, la pluie, les vagues, les jeux, la vie, étaient des denrées rares qu’il avait craint perdre à jamais. Des trésors  retrouvés.  Qu’il a à cœur d’aspirer à longues goulées, quitte à s’en étrangler, pour mieux en savourer le prix.

Météo oblige, cet été, la plage est presque déserte. Les villas en travaux de rénovation ou simplement délaissées jusqu’à nouvel ordre, quand le ciel affichera plus ensoleillé.  Plus des trois-quarts des résidences d’appartements Jacques Ribourel ou Catherine Mamet ont gardé leurs stores baissés.  Un été à marée basse, au grand dam des commerçants qui voient leurs terrasses, leurs bouées ou fauteuils de plage, leurs menus gastronomiques, leurs 50% sur maillots de bain, paréos, parasols ou ambre solaire, et encore plus leurs cornets de glace, injustement boudés. On se rabat sur les polaires, les bottes en caoutchouc, les cirés. On essaie de tenir le coup, à grand renfort de JO à la télé, de shopping dans les magasins de luxe de D., voire de visites dans les musées. Et puis d’un coup, on craque. On remballe. On charge le coffre. On ferme les volets. Et on remet le cap sur la capitale. On avisera après.

Nous, on sait qu’on va rester. Aucune envie de renoncer. On sera peut-être seuls mais cela n’en sera que meilleur. Dormir jusqu’à pas d’heure. Nager sous la pluie. Lire. Ecrire. Boire son demi à la terrasse du K. W. avec les capuches ramenées jusqu’aux yeux en se disant « ça va se lever ». Certes, pas de bribes à cueillir le long des plages ou à braconner aux terrasses de cet été, mais ça changera des cartes postales des autres années. Et puis, ce n’est pas tout, on a les nuages à regarder filer. Notre troupeau de flocons noirs à surveiller. La compagnie des nuages, on s’y est faits.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.