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Billet de blog 8 février 2011

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Les trois plus beaux cadeaux

C’est un peu comme une charade triste. Mon premier, mon deuxième, mon troisième…. Dans cette devinette-là, il n’y a pas de « et mon tout… » Au contraire. Au bout, il n’y a rien. Moins que rien. Mais parfois même les pires moments à vivre vous offrent des instants fugaces qui resteront ensuite comme des présents.

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Illustration 1
Nuit étoilée © Van Gogh

C’est un peu comme une charade triste. Mon premier, mon deuxième, mon troisième…. Dans cette devinette-là, il n’y a pas de « et mon tout… » Au contraire. Au bout, il n’y a rien. Moins que rien. Mais parfois même les pires moments à vivre vous offrent des instants fugaces qui resteront ensuite comme des présents. Ils ne consolent de rien, non, mais luisent comme de pâles étoiles qui illumineront la vie durant le noir du cauchemar. Et permettront d’apprivoiser son souvenir.

Le premier présent, c’est une main qui se pose sur votre bras. Une toute petite patte, légère, amaigrie, brunie encore des restes de l’été passé. Des mots à peine murmurés avec ce qui reste de souffle sous le masque à oxygène : « Pas pleurer, Lèle, pas pleurer. » Elle sait. Elle sait que je sais. Et elle vient de me demander, presque autant avec les yeux qu’avec le ruban ténu de la voix : « Alors, c’est foutu, hein ? » Je n’ai pas pu répondre par des mots mais ai fait oui de la tête… « Oui, Nine, c’est foutu ». « Alors… » « Alors oui, je te promets ». Et les larmes, enfin. Et la petite patte douce sur mon bras. « Pas pleurer. Je… Il faut que tu… » « Oui. Je sais. »

Le deuxième présent, c’est le docteur X*. Il est assis sur le lit. J’ai été le quérir en sortant de la chambre, laissant à M. le temps, à son tour, d’un dernier face-à-face avec Nine. Je suis assise de l’autre côté du lit, M., à côté, sur le fauteuil visiteurs. D’un geste, le docteur X*. nous fait signe que nous pouvons rester. Suivra alors un dialogue quasi infra-verbal entre la malade et son médecin. Un long échange où il est question de « ne plus passer une nuit comme la précédente », de « c’est tout ce qu’il me reste » et de « promesse ». Mais aucun mot trop lourd n’aura été prononcé. Rien de palpable. Je tends un moment une main vers M. pour la dissuader d’intervenir. Inutile. Ces deux-là se comprennent. Il n’est pas besoin de mots…. Alors, je sors de la chambre et le docteur X*. me rattrape. Il pose une main sur mon épaule. Il me dit « Ce serait bien que vous puissiez passer la nuit ici, auprès d’elle. » Et ajoute « Je vais faire installer un lit pliant et apporter des couvertures. Courage ! » Puis il se tourne vers l’infirmière et lui donne sa prescription : « Du XY* en intraveineuse, en augmentant la dose d’un quart toutes les deux heures, merci. » Il ne m’a pas lâchée des yeux.

Le troisième présent, c’est plusieurs semaines plus tard. Je ressasse la scène. Elle peuple mes insomnies. Les cendres des nuits blanches s’entassent comme poussière dans les cendriers froids. Avais-je le droit ? De quel droit ? Je me revois opinant de la tête « Oui, Nine, c’est foutu…. » Et les larmes. Les premières en face d’elle depuis qu’elle était là. Mais ça excuse quoi ? Voulait-elle vraiment le savoir ? Au nom de quoi ? Je revois aussi les trois paquets de Z* que j’ai trimballés dans le fond de mon sac depuis trois semaines, au cas où…. Il n’en a pas été besoin. Mais ce « oui », lâché comme malgré moi de la tête et des yeux pour ne pas lui mentir, n’a-t-il pas tout cassé, tout précipité et finalement tout gâché de ce qu'il restait à partager ? Au nom de quoi ? Torture. Flash back en boucle. Insomnies. Et une amie, une précieuse amie, la plus intelligente des amies peut-être, même si perdue de vue depuis :

— « Tu te demandes si elle voulait VRAIMENT savoir ? C'est bien ça ? »

— « Oui... »

— « Bien sûr qu'elle voulait le savoir ! »

— « Comment tu le sais ? »

— « Parce qu’elle te l’a demandé… »

— « Mais peut-être, parfois on demande, mais on ne veut pas vraiment savoir…. »

— « Bien sûr, mais pas là. Tu sais pourquoi ? Parce ce que c’est JUSTEMENT à TOI qu’elle l’a demandé. Toi, elle SAVAIT que tu ne pourrais pas lui mentir… »

Un baume. Un cadeau hors-de-prix, d’une logique et d’une justesse imparables qui m’a permis de cicatriser mes nuits.

Ce billet se veut un hommage, un remerciement du fond du cœur aux trois auteurs de ces présents qui me tiennent encore chaud aujourd’hui. Nine, d’abord, bien sûr, qui m’aura aidée à lui dire un vrai au revoir digne de ce nom et à ravaler mes larmes pour plus tard. Le médecin, chef du service, dont j’ai bien sûr changé l’initiale du nom*, et qui, s’il tombe par hasard sur ce billet saura peut-être à quel point je lui tiens grâce encore aujourd’hui. Et cette amie, enfin, à qui, où qu’elle soit, quoiqu’elle soit devenue, je tiens aussi à dire merci.

Non, je vous jure, ce n’est pas un billet triste ! Il y a parfois des gens bien. Ça existe. Et c’est l’essentiel !

* : Toutes les initiales précédées d'un * ont été changées.

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