— « Tu devrais te remettre à écrire, mon cœur. Tu sais bien, ça te fait du bien chaque fois….
— Oui mais sur quoi ?
— Je ne sais pas, moi, un billet comme tu les fais, ce sur ce que tu as vu dans la journée, des bribes de phrases que tu as chopées au vol, le temps qu’il fait ou des idées qui te trottent dans la tête ?
— Justement, je n’en ai aucune, en ce moment, d’idées….
— Mais si, tu vas trouver ! »
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Il fait froid. Comme si d’un coup l’hiver-le vrai était tombé. Dans la rue, un couple de clochards roumains entre deux âges s’est installé. Sales comme des peignes. Hirsutes. Emberlificotés dans un amoncellement de couvertures et de cartons récupérés. Des gens, encombrés de sacs marqués SOLDES, passent devant en évitant de les regarder. Sur eux, mon billet ? Non, de ce côté, tu as déjà donné…. Essaie de faire plus gai !
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Hier soir, dans le métro, en rentrant d’une fête que la boîte de formation pour laquelle je bosse donnait, comme chaque année, pour permettre aux élèves et intervenants de toutes les filières de se rencontrer, deux jeunes assis dans mon dos dialoguaient.
— « Non, je crois qu’il est seulement chef de projet !
— Ah bon ?
— Je sais, quand tu es chef de projet, ton truc après, c’est de passer directeur de projet ! Mais quand tu es chef de projet et que tu te coupes de ta direction, c’est pas facile de passer directeur de projet... »
Quand je suis descendue à la station Campo-Formio, j’en ai profité pour passer devant les deux jeunes pour voir à quoi ils ressemblaient. Ils avaient changé de conversation entretemps, et s’étonnaient que des gens, au 21e siècle, puissent encore ne pas avoir d’adresse mail. « Tu veux le croire, toi ? » La vingtaine environ. Jeans. Baskets griffées. Coupes courtes et gel dans les cheveux. L’un d’origine asiatique et l’autre, plus mince, probablement d’origine maghrébine. Totalement intégrés tous les deux…. Dehors, il faisait nuit et froid et même brouillard. Sur les parois d’une des stations traversées pendant le trajet, des affiches tout le long d’un quai : « Cette année, trompez votre amant avec votre mari ! » En grosses lettres orangées sur fond bordeaux. Et alors ? Pourquoi tout cela t’a-t-il frappée ? Ça veut dire quoi ? Tu y vois un sens ? Tu vois ? Tu ne le sais même pas….
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C’est con, je sais. Mais c’est plus fort que moi. Et cela ne date pas d’hier. Les gestes magiques. Les pensées magiques. Quand je marche sur un parvis dallé, il m’arrive souvent d’éviter de marcher sur les traits. Je compte les fenêtres éclairées, le soir, de l’endroit où je me tiens, lovée sur le canapé. Sur la route, je compte les camions rouges marqués Norbert Dentressangle comme il y a quelques années, je comptais les 2CV vertes, des princesses d’abord transformées en grenouilles, puis transformées en 2CV. Je passe souvent le pouce d’une main sur le chaton d’une bague portée à l’autre main pour me souvenir d’un instant précieux. Quand je passe devant un restaurant ou un café dans lequel j’ai été au moins une fois avec quelqu’un de cher, je regarde qui est assis à notre place. Je parle à des photos, coincées sous le cadres d’un miroir, ou emmagasinées sur mon portable. J’ai des tenues qui sont censées porter bonheur et d’autres, qui se chiffonnent, entassées dans les placards. J’allume toujours une cigarette au moment de décrocher le téléphone pour conjurer. Je n’ai jamais su siffler, encore moins siffloter, même dans le noir. Alors je chantonne dans ma tête…. « Timela, Timelo, Popo Labaya, Timelamelo Popodo Labaya... » Tu crois vraiment que ça intéresse quelqu’un ? Allez, applique toi…..
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Enfin, le 11 janvier en fin de journée, après avoir entendu en live une demande d’adoption échouer sur le smartphone de ma voisine de bus — « C’est bien gentil, elle veut adopter, c’est estimable, même ! Mais enfin, elle a trois de ses nièces à charge, cela ne suffit pas ? Elle veut quoi ? Un enfant qui portera le même nom qu’elle et c’est tout ? » —, j’ai vu le superbe coucher de soleil sur Paris. La Seine qui miroitait. La nuit s'étirant, théâtralement, majestueusement. Les toits et les clochers se découpant noir sur le ciel incendié. Eu envie de dire: « Je vous aime. » L’ai dit très fort dans ma tête. « Je t’aime. Je vous aime. Je suis vivante et je vous aime. »
Prendre le 27 à la tombée du jour et mourir du bonheur d'être en vie.... Quoiqu’il arrive. Et quand je suis arrivée chez moi, la nuit était déjà tombée sur les toits. Le chat s’est roulé sur le tapis du bonheur de me retrouver. Je lui ai caressé le ventre, là où c’est chaud, doux, et malheureusement bien trop bombé. Il s’est mis à faire la turbine. Espérer. Ça le fera, tu crois, comme thème de billet ?
Essaie toujours, tu verras !
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