Fui. Sommes rarement venus ici hors saison mais avec l’état dans lequel nous nous trouvions ces dernières semaines, après les épreuves que nous avons eues à affronter depuis l’été, l’idée a fini par s’imposer. Même plus des « vacances Tricostéril » pour panser les plaies, un départ de survie, le SAMU des congés. Bref, une parenthèse ailleurs de toute nécessité. Une bulle où se réfugier et compter les abattis qu’il nous faudrait coûte que coûte recommencer ensuite à faire marcher. Mais plus tard. D’abord l’urgence : enlever les toiles d’araignées accumulées, balayer les cadavres de moustiques tombés le long des baies vitrées en essayant de s’enfuir, chasser l’odeur d’humidité, allumer les compteurs, aérer, brancher les convecteurs, souffler. Surtout ça : souffler.
Marché. Le long de plages vides, de rues quasi-désertes, au pied de villas abandonnées aux voletstirés comme des paupières de défunts, écoutant les coquilles laissées par les grandes marées crisser sous nos pieds sur le sable dur et mouillé. Soleil glacé, vent giflant la surface miroitante de la mer et nos joues allumées de sel et de rires mêlés. Le cri des mouettes. Le grincement des girouettes. Le bleu Gauloises du ciel. Les empreintes de nos pas. Les galets qu’on ramasse. Ceux qu’on ne ramasse pas. Ceux qu’on finit par rejeter parce qu’il faut bien faire un choix. L’écume blanche qui vient mourir sur l’ocre du sable. Le froid qui s’infiltre sous les vêtements empilés. Le silence. Les pensées qu’on ne peut pas exprimer. L’éternité avec laquelle il faut renouer.
Compté. Le nombre d’agences immobilières s’étant mises à fleurir dans le coin. Un peu comme les succursales bancaires, les magasins d’optique ou les fast-foods ailleurs. L’été dernier avec l’imminence de l’augmentation de la taxe sur la plus-value en matière de résidences secondaires, un balcon sur deux affichait « A vendre ». Aujourd’hui, l’heure des travaux de réfection, des projets de réaménagement, des dernières transactions. Et assisté à un spectacle quasi-surréaliste : un couple de sexagénaires, costard gris et Burberry pour lui, talons aiguilles fuchsia, petit ensemble assorti et immense châle en cachemire dans les bordeaux et gris pour elle, sabrant le champagne dans des coupes en plastique debout dans le sable, au pied de la villa pour laquelle ils venaient probablement de signer. A leurs côtés, l’agent immobilier boudiné dans sa veste citron-lime, pelant de froid. Un autre homme, plus âgé, en sorte de loden marine au col relevé. Patron de l’agence ou chef des travaux ? Un peu plus haut sur la route, une Laguna, noire, vitres fumées. Affaire bouclée.
Joué. A nous prendre pour Jean-Louis Trintignant et Anouk Aimée en parcourant, bottés, encapuchonnés, couverts de pulls, d’écharpes et de cirés, les planches de T. Le nécessaire quart d’heure chabada pour se sentir à nouveau exister, être forts, ensemble, prêts à tout affronter. Un temps idéal pour les cerfs-volants, ivres de vitesse et de liberté. Un temps idéal pour les bistrots à terrasses chauffées et protégées comme celle dans laquelle nous ne tardons pas à nous réfugier. Et là, soudain, l’arrivée d’un autre couple chabada. Bras dessus bras dessous, serrés-collés-énamourés. La quarantaine élégante, peut-être même plus mais bien conservés. Parkas griffées Ralph L. ou Christian D. Belles gueules. Coupes de cheveux parfaites. Certitudes innées. Visages bronzés aux UV. Ils commandent tous les deux un thé fumé. Avec du lait froid, le thé, SVP. Se regardent en souriant de part et d’autre de la table du café. Allument une Benson & Hedges. Et cherchent soudain quoi se dire.
— « Tu es souvent venue ici ? »
— « Quelques fois. Et toi ? »
Un homme, une femme. Sensation de vide sidéral. Envie de rire, rire, et rire. Rire à en tout oublier.
Pesté. Comme d’habitude contre Orange-France Télécom. Longues minutes de connexion et déconnexion décomptées dans le forfait-1 heure de clé 3G. Et celui-ci une fois dépassé, 0,16€ la minute. Ce qui place l’heure d’Internet quasi au prix du caviar. Trop cher pour faire autre chose que survoler. Trop cher pour assister sur mon site préféré aux derniers affrontements de campagne ou, encore plus, au compte à rebours identique à celui d’un lancement de fusée avant le spectacle de Didier Porte, auquel je souhaite le plus grand des succès, au Dejazet. Ou même pour suivre ce qui m’a semblé être avant tout une grosse bourde en forme d’erreur d’angle et de titraille et la levée de boucliers qui s’en est suivie, dans le cadre d’un reportage sur le meeting de Mélenchon à Marseille. Ai trouvé cette levée de boucliers bien légitime : on ne titre pas un reportage par ce qu’on cherchait à lui faire dire, mais par ce à quoi on a assisté. Mais n’ai pas pu, ni vraiment voulu, m’en mêler. Et m’en suis finalement félicitée.
Adoré. Ai par contre franchement éclaté de rire lorsque, au bout de cinq appels par portable, l’agent technique Orange chargé du rétablissement de la ligne fixe de l’appartement, a fini par me fixer rendez-vous le lundi (soit six jours après notre arrivée) en fin d’après-midi pour contrôler en désespoir de cause que le câble extérieur local n’était pas endommagé.
— « En fin d’après-midi, vers 17h30 par exemple ? »
— « Non, Madame, vers 15h30… Vous pourrez être là ? »
— « C’est ça que vous appelez fin d’après-midi ? »
— « Mais Madame, nous finissons à 16h30 et il nous faut le temps de travailler ! »
A l’heure qu’il est, nous sommes sur le retour et la ligne n’a pas été rétablie.
Mais grâce à tout ça, il faut aussi l’avouer, l’ « effet-bulle » n’a été que renforcé. Loin de tout. Presque coupés. Rendus à nous-mêmes et hors de portée.
Constaté. Que le chien à la mode était désormais le Jack Russel. Une sorte de petit ratier noir et blanc type publicité pour « La Voix de son maître », mais en beaucoup plus chic et beaucoup plus cher. En deuxième place, un grand retour, celui du cocker, une sorte de « revival » de mes jeunes années. Version gold ou version noire. On les a longuement regardé courser les mouettes sur la plage le temps du week-end. Car la pluie venant — Normandie oblige — les Parisiens, fraîchement libérés par le calendrier des vacances de la zone C ne sont pas restés. Les parkings, qui venaient à peine de se peupler, se sont à nouveau vidés. Dommage pour les chiens. Eux au moins savent ne pas bouder leur plaisir face à la mer, aux kilomètres de sable et aux bois flottés échoués au bord de l’écume. Tous les chiens. Qu’ils soient de marque ou pas.
Repris. Des gestes simples. Lire sous la couette. Ecouter de la musique. Superposer les paires de chaussettes. Faire la vaisselle à la main. Bricoler. Faire la sieste. Décorer au feutre noir les galets ramassés et conservés pour plus tard. Aller retrouver à l’heure dite mon jokariste préféré sur la plage et lui trouver meilleure mine, le teint fouetté par les embruns, les yeux plus clairs, l’air moins triste, moins creusé. Rouler avec lui sur les départementales où les arbres se rejoignent en cathédrale et masquent le ciel. Sourire comme chaque fois ensemble en passant à P.-en-A. devant la mairie digne d’un village de poupées. Imaginer une réunion du conseil municipal se tenant là, dans cette boîte d’allumettes pimpante et repeinte de frais. Imaginer comme chaque fois un nouveau scénario macabre de ce qui a bien pu se passer dans cette villa aux murs rouge vif, que nous avons surnommée « la Maison du tueurs de bouchers » à l’entrée de V. Dire bonsoir à la « Villa en pyjama » de B., en costume rayé. Se faire couler un bain chaud en rentrant et rester longtemps dedans. Retrouver des habitudes. Ecouter la vie s’essayer à revenir. Regarder le temps passer et le déguster, à petites gorgées, comme un vin banc bien frais. Se remettre à espérer que peut-être.
Jusqu’à ce que ça devienne vrai.