Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

64 Billets

11 Éditions

Billet de blog 18 août 2011

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

Bisou-Bisou !

 C’était le jour où inexplicablement, les mouettes avaient cédé la place à des sternes. Je les regardais longuement tournoyer et puis se laisser tomber en piqué pour remonter presque aussitôt, quelque chose de trop petit pour qu’on puisse savoir de quoi il s’agissait bien arrimé en travers de leur bec fin. Piaillements aigus, légers. Réverbération du sable clair à s’en blesser les yeux à défaut de s’en brûler les plantes des pieds. A peine quelques nuages blancs à s’effilocher dans un ciel de carte postale. Voilà qui changeait de la semaine passée où on s’était beaucoup servi des bottes en caoutchouc et des cirés.

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

C’était le jour où inexplicablement, les mouettes avaient cédé la place à des sternes. Je les regardais longuement tournoyer et puis se laisser tomber en piqué pour remonter presque aussitôt, quelque chose de trop petit pour qu’on puisse savoir de quoi il s’agissait bien arrimé en travers de leur bec fin. Piaillements aigus, légers. Réverbération du sable clair à s’en blesser les yeux à défaut de s’en brûler les plantes des pieds. A peine quelques nuages blancs à s’effilocher dans un ciel de carte postale. Voilà qui changeait de la semaine passée où on s’était beaucoup servi des bottes en caoutchouc et des cirés.

J’étais simplement assise sur les rochers, à contempler l’horizon, à tenter d’absorber chaque goutte de cet été dont il fallait absolument profiter vues les couleurs sous lesquelles allait se profiler la rentrée. A cette heure-ci, il y avait peu de vacanciers. Les terrasses devaient être pleines de clientèle affamée de plateaux de fruits de mer pour 4 personnes, de moules marinières-frites, de cassolettes du pêcheur plus ou moins surgelées, de tartes normandes flambées au Calva et autres grandes spécialités locales. Quant aux salles à manger des grandes villas familiales, elles devaient résonner de cris d’enfants : « Non, j’en veux pas ! » « Fais comme ton cousin, il la mange lui, sa soupe de poissons ! » « Je te dis que j’en veux pas ! Je mangerai seulement les croûtons ! »

Il n’y a plus guère que les moins de 6 ans ou les plus de 60 à faire du « topless » (j’ai mis longtemps à comprendre ce mot, alors je ne résiste pas à m’en servir). Entre ces deux extrêmes, les seins nus semblent passés de mode sur les plages. Pourtant, la femme qui venait d’arriver et d’étendre tout son attirail (serviette, paréo, ambre solaire, magazines, fauteuil pliable, magazines, cigarettes, etc….) bien trop près de moi en était à l’évidence une adepte. Mais peut-être tout simplement ne faisait-elle pas tout à fait son âge…. Bas de maillot d’un gris légèrement argenté, cheveux d’un blond légèrement cuivré, griffes nacrées et tout le reste d’un ton bronzé-grillé quasi carbonisé totalement uniforme. La toast-attitude en plein. Je réfléchissais au paradoxe : pourquoi enlever le haut (et rouler le haut du bas) quand on porte en même temps une cascade de chaînes en or, des bracelets en pagaille, une bague à chaque doigt et un large bracelet-montre griffé pour bronzer ?

A peine étendue sur son paréo, lui-même posé sur sa serviette, à peine les cheveux relevés par un chouchou pailleté et le corps enduit d’une brume liquide crachotée par un vaporisateur orangé, celle que je détestais déjà de s’être mise si près même si c’était quand même à quelques mètres, sortit l’objet-fétiche de l’année, le cauchemar de tout amateur de tranquillité, l’horreur absolue mais « must » « incontournable » de tout vacancier souhaitant avoir l’impression d’exister : son smartphone. Et de passer une série de coups de fils variés que je m’efforçais de ne pas écouter mais dont des bribes ne cessaient de remonter vers moi, toujours adossée sur les rochers. Curieusement, c’était surtout la fin des conversations qui étaient prononcées un ton plus haut et, du coup, me parvenaient… « Bisoux-Bisoux, mon ange ! » « Bisoux-Bisoux, mon petit cœur ! » « Bisoux-Bisoux, tu es un amour ! » « Bisoux-Bisoux, je t’embrasse infiniment, ma chérie ! » « Bisoux-Bisoux, on se rappelle, mamour ! »

Bien sûr, les vacanciers qui recopient intégralement le même texte au dos de chacune des cartes postales qu’ils envoient à famille ou amis, cela ne manque pas, et j’avoue même que parfois…. Mais finir toutes ses conversations téléphoniques de la même façon, je n’avais encore jamais imaginé que ça pouvait exister ! Agacée, je finis par me lever pour m’éloigner. Et juste quand je la dépassais pour gagner le coin de plage opposé, je l’entendis distinctement prononcer : « Oh non, je t’assure chérie, je n’ai jamais autant travaillé. Je n’ai même pas eu le temps de faire un saut à la plage. Une vieille dame de 87 ans à D. Le Goulag, je te dis ! Pas une minute à moi. Alors ne me parle pas de bien me reposer ! C’est ça : Bisoux-Bisoux ! Je te rappelle dès que j’ai un moment ! »

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.