Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

64 Billets

11 Éditions

Billet de blog 22 août 2011

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

« Ça va se lever ! »

Ça y est, les vacances sont sur le point de se terminer. Comme on essaie à toute force de ne pas y penser et ne pas écouter le compte à rebours mental qui est secrètement en train de résonner, on se concentre encore plus à profiter de chaque moment glané. Engranger chaque moment. Bien enregistrer le rose foncé et aérien des fleurs de tamaris sur le petit chemin. Nager à plein bras, à plein cœur, à plein bonheur dans l’étendue salée qui se couvre de reflets d’argent en fin de journée. Profiter de chaque coucher de soleil.

Grain de Sel (avatar)

Grain de Sel

http://www.decitre.fr/livres/quand-les-pylones-auront-des-feuilles-9791093554150.html

Abonné·e de Mediapart

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Ça y est, les vacances sont sur le point de se terminer. Comme on essaie à toute force de ne pas y penser et ne pas écouter le compte à rebours mental qui est secrètement en train de résonner, on se concentre encore plus à profiter de chaque moment glané. Engranger chaque moment. Bien enregistrer le rose foncé et aérien des fleurs de tamaris sur le petit chemin. Nager à plein bras, à plein cœur, à plein bonheur dans l’étendue salée qui se couvre de reflets d’argent en fin de journée. Profiter de chaque coucher de soleil. De chaque verre de bière sur la terrasse du K.W. Apprendre par cœur le ciel, le sable, les bruits, les rochers. Fixer les dernières scènes de plage : la femme en maillot rouge, dans l’eau jusqu’à mi-taille qui appelle son mari pour qu’il vienne la rejoindre et lui qui préfère jouer avec son cairn terrier à creuser un tunnel dans le sable mouillé. Mémoriser les dernières bribes de dialogues volés, les dernières scènes, les silhouettes, les voix. Et ne pas louper le vide-grenier, point d’orgue de l’été, qui l’avant-dernier dimanche d’août métamorphose littéralement la petite ville de B. On y passe des heures à flâner entre les stands. Un de nos sports préférés de l’été. Le truc que quelle que soit la météo, pour rien au monde on ne raterait.

Jouets cassés, chaussures démodées, linge de maison déjà jauni mais encore étiqueté, livres de poche aux coins cornés, vêtements d’enfants, souvenirs rapportés de vacances en Espagne ou dans des pays plus lointains, services de porcelaine plus ou moins ébréchée, albums de photos de famille jaunies dont la plupart des membres, y compris certains bébés potelés, doivent être trépassés depuis des années, bottes en caoutchouc de toutes les tailles, piles de magazines datant d’il y a une demi-douzaine d’années, montres arrêtées, flacons de parfum vides, capsules de champagne soigneusement collées sur des tableaux, manteaux de fourrure naphtalinés, cartes postales, canevas soigneusement exécutés au point de croix par quelqu’un qui n’est probablement plus là pour protester, porte-clés, brocs, pots à épices, étagères Ikéa repeintes de couleurs bariolées, couverts à gibier aux manches en authentiques pattes de biche, tabourets en plastique, poupées folkloriques, masques africains, étagères en vrai-faux rustique, paires de rideaux dépareillées, piles de torchons monogrammés, lunettes de soleil de bazar, girafes en peluche, blousons de cuir élimés, gravures « d’époque », coupes à fruits ou plateaux à fromage imitation Vallauris, boucles d’oreille, colliers, bagues, bracelets comme s’il en pleuvait. Et au milieu, parfois, quelques trésors….

— « Tu as trouvé des trucs intéressants, toi ? »

— « Oui, une petite coupelle en verre de Clichy mais bien trop chère. Ça devait être un professionnel, pas le genre à s’en laisser conter ! Sinon, deux coquetiers assez kitsch qui me plaisaient et que j’ai pris, finalement. Et toi ? »

— « Moi, quelques vieilles revues qui m’intéressaient, une vieille raquette de marque à 1 € et des babioles pour bricoler… »

Mon mari et moi, nous ne naviguons jamais au même rythme dans les brocantes ou autres vide-greniers. Ni au même rythme, ni d’ailleurs à la même hauteur : lui parcourt les stands à quatre pattes pour fouiller dans les piles de bouquins et les outils rouillés, et moi à hauteur de tréteaux pour dénicher des bricoles plus ou moins tarabiscotées, vaisselle, cendriers, bibelots divers et variés qui soudain éveillent en moi un écho ou un attendrissement, souvent vite passé. Comme nous venons de nous retrouver dans une allée : il m’attrape par le bras pour essayer d’éviter de nous perdre à nouveau. Comme il fait bien trop chaud pour me tenir par l’épaule, que se tenir par la main est malaisé, surtout dans un vide-grenier, il a coutume de m'enserrer le bras, juste au dessus du coude. Ce qui fait que j’ai généralement l’air d’une prévenue qu’on emmène au poste pour un contrôle d’identité. Ça nous fait rire chaque fois. « Allez, en garde à vue, ma petite dame ! »

Moules marinières frites en terrasse, côté ombre, pour souffler. Salut de la tête aux silhouettes devenues familières à force de les croiser. « Surtout ne leur parle pas, ils vont vouloir s’incruster ! », prévient mon ours préféré redoutant toujours ma trop grande sociabilité. « Tu as eu ta mère au téléphone ce matin ? Comment elle allait ? Faudra qu’on pense à lui rapporter… » « Ah j’oubliais, hier pendant que tu faisais la sieste, la tienne a appelé… » Débat pour savoir quel jour on ira à T. apporter au Lavomatic un grand sac de draps, serviettes et tout le linge qu’on ne va pas remporter à Paris et en profiter pour les dernières emplettes, la dernière terrasse, la dernière balade sur les planches…. « Oh non, demain matin s’il fait beau, je préfère aller aux coques. Ce sera marée basse… » « On verra… »

On verra. C’est sûr, on verra. Après-demain, il faudra épousseter les derniers grains de sable. Ranger. Nettoyer. Faire les sacs. Aborder vaille que vaille la rentrée. D’ici là ne pas y penser. Se contenter de guetter le ciel et surveiller la météo à la télé.

— « Pourvu qu’il ne se remette pas à pleuvoir ! »

— « Mais non, tu vas voir. Ça va se lever ! »

Ça va se lever, incantation normande par excellence. Le leitmotiv de l’été.

Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.