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Billet de blog 16 avril 2017

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Élection piège à cons, Abstention piège à quoi ?

En ces jours plombés par la menace d'un taux record d'abstention, maintes fois affirmée par les instituts de sondage et abondamment relayée par les media, menace renforcée par le niveau élevé de l'indécision de nos concitoyens, il m'apparaît important de revenir sur le phénomène de l'abstention et de le confronter à la possibilité du vote blanc.

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Pourquoi s'abstenir lorsque l'on peut voter "blanc" ?

Est-il juste  de  considérer que le simple fait d'aller voter constitue une légitimation de notre classe politique ?

Historiquement, le vote blanc peine à atteindre les 5%, là où l'abstention descend rarement au-dessous des 20%. Une simple inversion de ces taux n'aurait-elle pas une valeur symbolique autrement plus signifiante qu'une forte augmentation de l'abstention ?

Quelles sont les raisons invoquées par les abstentionnistes ?

J'en ai retenu deux principalement.

La première met en avant l'inutilité de choisir un candidat, au motif que

  • les candidats sont "tous les mêmes", ils n'attendent que d'être élus pour s'empresser d'oublier leurs "promesses" (étonnant usage de ce terme de "promesse" pour évoquer ce qui n'est que des propositions, au mieux des engagements)",

  • "quel que soit leur programme, quelle qu'en soit la qualité et le niveau de précision, on sait bien qu'il ne sera pas appliqué".

Tout au plus concède-t-on à certains candidats, devant l'évidente vertu de leurs propositions, une certaine naïveté, et d'arguer qu'ils ne se rendent pas compte, qu'ils n'auront pas les moyens de réaliser ces fameuses "promesses", etc.
Je vois dans cette posture un défaitisme certain, doublé d'un empressement facile à fourrer tout le monde dans le même sac et, surtout, une impasse faite sur la possibilité du vote blanc.

Ce fameux vote blanc, avec ses évidentes limites, est au cœur de la seconde raison invoquée par les abstentionnistes. Pour eux, il ne sert à rien d'aller voter blanc puisque cela n'aura aucune influence sur le résultat de l'élection : en effet, depuis 1807 et à quelques exceptions près, le vote blanc n'est pas comptabilisé dans ce que les décomptes officiels nomment les "voix exprimées". Pire, il est décompté avec les bulletins nuls, ce qui contribue à en affaiblir encore plus la portée. Ainsi, exprimer son refus de l'offre politique proposée est considéré comme une non-expression au même titre que l'abstention ou le vote nul. Or, on sait que c'est à partir des seules "voix exprimées" que sont calculés les scores obtenus par les candidats en présence.

En marge des deux raisons évoquées ci-dessus, il se trouve des abstentionnistes déclarés pour affirmer que leur position résulte d'un choix politique visant à exprimer leur refus du jeu politique tel qu'il se pratique dans notre pays depuis trop longtemps maintenant. Certains vont même jusqu'à invoquer les évidentes faiblesses de notre actuelle Constitution (Vème République depuis 1958).

Impact comparé de l'abstention et du vote blanc sur la réelle légitimité des candidats

Il est facile de se réfugier derrière l'incontestable mauvaise foi de notre personnel politique qui n'a rien fait, en bientôt 60 ans de Vème République, pour une reconnaissance plus juste du vote blanc.

Certes, la loi du 21 février 2014 dispose que les votes blancs doivent désormais être comptés à part des votes nuls. Mais, hasard ou malhonnêteté insigne de nos élus, cette disposition ne figure que dans le code électoral, lequel concerne toutes les élections sauf l'élection présidentielle. Il aurait fallu une autre loi pour inclure cette disposition dans la présidentielle et cela n'a pas été fait. Étonnant, non ?

Cependant, pour qui veut s'en donner la peine, il est tout aussi facile de corriger le score affiché pour chaque candidat, en tenant compte des bulletins blancs et nuls.

Comment ? Tout simplement en multipliant le score officiel de chaque candidat par le pourcentage des voix exprimées sur le nombre de votants. Ce pourcentage fait partie des informations accompagnant la proclamation des résultats.

Prenons un exemple pour plus de clarté.

  • au second tour d'une élection présidentielle, on nous annonce 75 % de participation (les "votants"), donc 25 % d'abstention. Sur la base des seuls votants, 5 % de blancs et nuls, donc 95 % de suffrages "exprimés". Sur les seuls suffrages exprimés, 55 % pour le candidat A et 45 % pour le candidat B.
  • pour calculer une représentativité plus juste des candidats, qui tienne compte des votes blancs et nuls, il suffit de multiplier le score officiel du candidat par le taux de suffrages "exprimés". Dans notre exemple, le candidat A passe de 55 % (score officiel) à 52,25 % (0,55 x 0,95) et le candidat B passe de 45 % à 42,75 %. La somme des deux scores recalculés fait 95 % et, en y ajoutant les 5 % de blancs et nuls, on retrouve bien 100 % des votants.

On ne manquera pas de m'objecter que la perte de représentativité n'est pas bien importante. C'est juste et c'est pourquoi je propose de refaire le même calcul en inversant le taux d'abstention et celui des blancs et nuls.

  • avec les mêmes chiffres, cela nous donne : 5 % d'abstention et 95 % de participation (pas vu depuis bien longtemps), 25 % de blancs et nuls donc 75 % de suffrages "exprimés", 55 % et 45 % des suffrages "exprimés" respectivement pour les candidats A et B.
  • une représentativité recalculée des candidats donne cette fois-ci 41,25 % (0,55 x 0,75) pour le candidat A et 33,75 % pour le candidat B. La chute de représentativité est ici bien plus importante.

Bien évidemment, ceci ne changera rien au résultat de l'élection : A sera élu avec un score officiel de 55 %. Mais chacun d'entre nous pourra savoir que A ne représente pas 55 % mais seulement 41,25 % des électeurs qui se sont déplacés pour voter. Cela fait tout de même une différence non négligeable de 13,75 %.

La principale leçon que nous donne cet exemple est que, plus il y a de votes blancs, plus la légitimité des candidats est fragilisée. A l'inverse, plus l'abstention est importante, plus cette légitimité est soutenue.

Il est montré par ce simple exemple que, si le vote blanc est un révélateur incontestable d'un déficit de représentativité des candidats, l'abstention au contraire est un masque puissant de ce déficit.

A ce titre, notre personnel politique le moins digne de confiance a tout intérêt à une abstention élevée et c'est très probablement pour cette raison que plus de deux siècles de vie politique, en majorité républicaine, n'ont pas suffi pour donner au vote blanc la place qui devrait être la sienne.

Ce qui est en revanche plus problématique, c'est que les abstentionnistes militants n'ont apparemment pas fait cette démarche qui montre à quel point leur comportement a des conséquences opposées à leur volonté affichée de dénoncer le jeu de plus en plus faussé de notre système politique.

La facilité avec laquelle nous pouvons faire ces calculs présente un autre avantage : celui de nous autoriser à revendiquer auprès, des pouvoirs publics et surtout des media, l'affichage des deux jeux de score : score officiel et score recalculé.

Nul doute que les pouvoirs publics auront beau jeu de refuser en se réfugiant derrière la loi qui édicte la façon dont les résultats doivent être annoncés. C'est tellement facile. Les media en revanche, au moins certains d'entre eux, pourraient être sensibles à la chose et cela pourrait, de proche en proche devenir une habitude salutaire. Comment, en effet, déplorer en permanence une augmentation du taux d'abstention et se soustraire à une opération qui vise à réduire ce taux en sensibilisant les abstentionnistes aux conséquences de leur (non) acte ?

Peut-on légitimement justifier la posture d'abstentionnisme ?

Rappelons tout d'abord que le vote, en France, est un droit et un devoir civique, mais aucunement une obligation. Chacun-e est libre de ne pas se rendre aux urnes.

Justifier l'abstention par l'inefficacité du vote blanc ne saurait relever d'autre chose que de l'ineptie; les calculs détaillés précédemment le montrent suffisamment et une incompétence en arithmétique élémentaire ne peut être qu'une excuse facile.

Certains abstentionnistes militants justifient leur posture par le refus de participer à un jeu électoral qu'ils estiment faussé par les pratiques et comportements délétères d'une partie de notre personnel politique. A ceci je répondrai par plusieurs remarques.

  • en premier, voter blanc est à l'évidence une réponse plus efficace pour signifier clairement son refus de ces pratiques et comportements. Pourquoi plus efficace ? Parce que s'il est possible de dénombrer, sans contestation possible, des voix qui se sont exprimées par un vote blanc, il restera toujours impossible de donner un sens quelconque à un ensemble indifférencié de voix qui ne se sont pas exprimées. Et prétendre que toutes les abstentions relèvent d'une raison unique serait prendre une posture totalitaire. Au nom de quoi devrait-on, en sus, considérer que s'abstenir est équivalent au fait de voter blanc, quand le vote blanc est une possibilité offerte à l'électeur
  • ensuite, affirmer que l'abstention marque une opposition au régime politique actuel, c'est confondre régimes politiques et histoire de la République : le droit de vote ne nous a pas été donné par la Constitution actuelle, mais par la IIème république (1848) pour les garçons et par le Gouvernement Provisoire de la République Française (1944) pour les filles. Et toujours la même question : pourquoi ne pas utiliser le vote blanc qui permet à la  fois de de récuser sans contestation possible l'offre ou le régime politique tout en affirmant son attachement au cadre républicain ?
  • enfin, le refus de voter ne nous protège de rien et, comme cela a déjà été dit plus haut, conforte le personnel politique dans une légitimité usurpée, bien plus sûrement que le vote blanc. Une non-expression pour raisons politiques me semble aussi inepte que pour dénoncer l'inefficacité du vote blanc.

Ainsi, faute d'autres raisons invoquées, je ne vois aucune justification à l'abstention. Cela reste juste un droit à ne pas aller voter. Rien de plus.

Vote blanc responsable ou Abstention mains propres ?

A l'heure où les sondages et les media nous serinent que l'extrême droite est aux portes du pouvoir, où les prétendument responsables politiques nous exhortent, explicitement ou à mots couverts, au "vote utile pour éviter le pire", voter blanc est une véritable responsabilité.

C'est celle, prise explicitement, de refuser d'enlever une chance aux extrêmes de se placer en tête du scrutin. C'est probablement le choix que je ferai à la présidentielle 2017 si l'offre de second tour ne me convient pas. Et je l'assumerai, car j'en ai plus qu'assez du chantage qu'exercent les formations politiques prétendument républicaines, qui jouent sur la peur des extrêmes pour récolter des voix à peu de frais et se les approprier par la suite.

En 2012, François Hollande, fraîchement arrivé au pouvoir s'est vertement fait remettre en place par une de ses conseillères à qui il affirmait que "tout de même, 51,6 % des Français avaient voté pour lui". La dame lui a rappelé que non, il ne pouvait se prévaloir de ce score, car parmi ces voix, un nombre important, dont j'étais, avait voté contre Nicolas Sarkozy plus que pour François Hollande.

Plus loin dans le temps, certain-e-s se souviennent encore de la phrase de Jacques Chirac, le soir de son élection à la Présidence de la République, en 2002. Grâce à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour et à la frayeur que cela avait suscité, notamment parmi les abstentionnistes du premier tour, il avait récolté 82,21 % des voix exprimées. Fort d'un score inégalé dans l'histoire de la Vème République et oubliant manifestement les circonstances auxquelles il devait ce score, il s'était laissé allé à dire à ses proches "avec un score pareil, on peut tout se permettre".

Face à ce choix difficile, l'abstention apparaît comme un moyen facile de se donner bonne conscience à peu de frais, en s'exonérant de choix délicats. "Je n'y étais pas, je n'ai pas participé à la mascarade, je n'y suis pour rien".
Mais si, abstentionniste, tu y es pour quelque chose : en donnant ta voix à un autre candidat, tu aurais fait reculer l'extrême, et en votant blanc tu aurais contribué à ramener la légitimité du candidat élu à une valeur plus juste.

Pour conclure, je voudrais rappeler que:

  • dans nombre de pays, le droit de vote est un rêve ou un lointain souvenir, et ce sont des pays où l'on vit très mal. Dans certains d'entre eux, des femmes et des hommes paient encore aujourd'hui de leur liberté, voire de leur vie, leur lutte pour obtenir ou retrouver ce droit,

  • la participation au vote est un acte exclusivement citoyen, au sens où le citoyen est un individu qui accepte de n'être qu'une partie de la République, une partie de la voix du peuple et non tout le peuple,

  • l'abstention ne relève pas de la citoyenneté, mais de la décision d'un individu de ne pas s'exprimer en tant que citoyen.

Loin de moi l'idée d'interdire aux abstentionnistes de s'abstenir.

Par ce papier, je voudrais seulement leur rappeler que "ne pas faire" comporte souvent autant de conséquences que "faire" et que tout acte responsable se fait en connaissance  de ses implications.

On attribue à Jean-Paul Sartre la popularisation de l'expression "Elections, piège à cons", apparue après mai 1968.
Devant la montée de l'abstentionnisme, je pose la question : "Abstention, piège à quoi ? Et à qui ?"

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