"Bonjour et bienvenue sur France Culture.
Marcel Proust reniflait-il ses flatulences ?
Quel goût avait le guacamole de Lacan ?
Avec qui Socrate prenait-il des cours de zumba ?
Sartre mangeait-il du Boursin aux fines herbes ?
Bonne journée à tous..."
Prises isolément, ces questions irrévérencieuses pourraient susciter le rire ou le sourire.
Déclinées de façon récurrente dans des saynètes répétées, jouées par le duo Eric & Quentin (émission "Quotidien" sur TMC), par le ton employé dans ce jeu, elles résument France Culture à une antenne peuplée de gens qui se prennent au sérieux pour traiter de sujets superficiels voire inintéressants.
Pour la part du public de "Quotidien" qui ne connaît pas cette radio, il peut être tentant d'ajouter foi à cette vision suggérée.
Et c'est là que je ne suis pas d'accord.
Auditeur assidu, on s'en doute, de France Culture, je ne trouve dans aucune émission de sujets superficiels ou de postures de suffisance de la part des intervenants. Tout au plus pourrait-on trouver des invités au ton plus ou moins suffisant, mais en aucun cas cela ne saurait résumer cette antenne.
Si Messieurs Eric et Quentin ont pu y détecter de tels sujets et de tels comportements, je les prie instammment de bien vouloir me les signaler afin que je puisse ajuster ma perception, certainement sujective, de cette radio et de ses pratiques.
En attendant, à partir de cette perception qui est la mienne, je voudrais exprimer ici mon mécontentement et mon inquiétude.
Mécontentement parce que, sous réserve d'exemples concrets à fournir par Eric & Quentin, je trouve le message véhiculé a minima abusif, voire mensonger.
Mécontentement aussi parce que j'apprécie beaucoup l'irrévérence en général et celle de l'émission "Quotidien" en particulier. Je la trouve profondément nécessaire dès lors qu'elle vise à nous réveiller, nous surprendre, nous rendre vigilants quant à nos propres idées reçues et autres automatismes d'opinion.
Mais je ne peux l'accepter que lorsqu'elle s'appuie sur des faits réels et vérifiables, sinon vérifiés. Dans le cas contraire, on glisse rapidement vers le dénigrement gratuit ce qui, fort heureusement, ne semble pas être le parti-pris du reste de l'émission "Quotidien". Il y a d'autres émissions, sur d'autres chaînes, pour cela.
Inquiétude parce que le parti-pris induit par ces saynètes trouvera de nombreux adeptes pour qui le mot "culture" est un gros mot, approfondir les sujets, un passe-temps confinant à la masturbation intellectuelle et le temps pris pour le faire, du temps perdu.
Inquiétude aussi parce que celles et ceux qui réagissent ainsi, préférant souvent la facilité de "croire" à l'effort de "comprendre", sont pour la plupart intolérants à la réflexion et à ceux qui ne pensent (je devrais dire "n'opinent") pas comme eux.
Et ils sont très nombreux.
Pour se convaincre de cette intolérance, il n'est que de regarder le reportage sur les brimades subies par l'acteur Shia LaBeouf de la part des pro-Trump, diffusé le 16 mars 2017 dans l'émission "Quotidien". D'un côté, on découvre un acteur qui décide de faire entendre une voix, sans chercher à faire taire celle des autres et, face à lui, on trouve des individus prêts à dépenser beaucoup d'énergie pour le faire taire, probablement parce qu'ils ne supportent pas cette parole-là.
Inquiétude enfin parce que suggérer un dénigrement, jusqu'à preuve du contraire mensonger, devant des centaines de milliers de téléspectateurs, de façon récurrente, c'est aussi autoriser ces téléspectateurs à faire de même.
Magie de l'audience.
Qu'on veuille bien de souvenir, à ce sujet, de la réaction de Mme Meryl Streep face aux images de Donald Trump candidat, humiliant un journaliste handicapé en singeant son handicap, devant une foule en délire et des millions de téléspectateurs. Elle a justement souligné que le pire n'était pas l'humiliation infligée, mais l'autorisation donnée au plus grand nombre de faire de même, parce que l'exemple vient d'en haut, en l'occurrence d'un personnage public, devenu depuis la personnalité la plus importante de son pays.
Qu'on veuille bien, aussi, prendre en compte l'évidence que nous ne sommes pas à l'abri de l'arrivée, dans quelques semaines, de l'intolérance au pouvoir en France.
Avons-nous réellement besoin d'attiser de tels réflexes ? Et dans quel but ?
Pierre Desproges disait "On peut rire de tout, mais pas avec n'importe qui". A tort ou à raison, je considère que des centaines de milliers, voire des millions de téléspectateurs, cela représente certainement "n'importe qui". Et que s'adresser à une telle masse impose un minimum de responsabilité.
Serait-ce trop que de demander à Messieurs Eric & Quentin, ainsi qu'à la société Bangumi, productice de "Quotidien", de bien vouloir se pencher sur ces questions, voire d'exercer un droit de réponse ?