Cela a commencé avec le titre de la rubrique :
"Le CETA bloqué par les Wallons - Mais qui donc décide en Europe ?".
Ah bon ? C'est ça le sujet qu'inspire à "28 Minutes" le refus du CETA par la Wallonie ?
Moi j'aurais plutôt imaginé qu'il s'agissait non de savoir QUI décide mais COMMENT les décisions sont prises, s'il est acceptable que les citoyens et parfois leurs représentants soient tenus dans l'ignorance des négociations, si l'Europe recherche véritablement leur adhésion ou si elle ne cherche pas plutôt à leur forcer la main et les mettre devant le fait accompli.
Enfin tout ce qui nous préoccupe en matière de fonctionnement des instances zeuropéennes, quoi...
Naïf que je suis...
Ensuite, est venue la présentation du sujet, concoctée par madame Sandrine Le Calvez.
Là, on n'hésite pas à rappeler qu'une "région de 3,5 millions d'habitants bloque un accord qui concerne 510 millions d'européens", mais on omet de préciser qu'une commission de 18 membres seulement joue en catimini avec le sort de ces même 510 millions d'européens en négociant dans le secret des accords commerciaux transcontinentaux d'une portée majeure. A l'abri du regard des citoyens et de leurs représentants...
Car il s'agit bien de cela : ce n'est pas la Commission Européenne qui a prévenu les 510 millions d'européens qu'il y avait négociation sur le TAFTA, ni même les principaux média. Nous avons appris l'existence de ces négociations alors même qu'elles étaient déjà fort avancées, et par des voies qui ne sont pas les plus habituelles. C'est d'ailleurs à cette occasion que nous avons appris aussi l'existence du CETA, qui se terminait en douce.
Et c'est seulement après ces alertes que les media ordinaires se sont sentis obligés de parler de la chose mais, bien sûr, rarement de façon à éclairer impartialement la lanterne du citoyen.
Depuis plusieurs années maintenant, de nombreuses voix se font entendre sur ces sujets pour dénoncer les pratiques des institutions européennes et les dangers inhérents à ces accords.
Jusqu'au président de la République Française qui, le 30 août 2016, demande publiquement l'arrêt des négociations sur le TAFTA pour des raisons proches de ce qui précède.
Mais cela, madame Le Calvez ne juge pas bon de le préciser.
Elle préfère enchaîner sur les Ecossais qui votent contre le Brexit et veulent quitter le Royaume (dés)Uni pour rester dans l'UE, comme si cela avait un rapport quelconque avec le refus wallon du CETA (le vrai sujet) ou avec une quelconque remise en cause du fonctionnement institutionnel européen (le sujet bidon).
Ensuite, elle nous assène un petit coup de Viktor Orban, le méchant hongrois nationaliste, qui fait sa chochotte avec les migrants, exigeant qu'on laisse les hongrois libres de décider avec qui ils veulent vivre. Ici, loin des wallons, il s'agit de contester une décision prise en toute transparence, au nom d'un opportunisme politique plutôt local.
Mais on ne va pas s'encombrer avec de telles nuances. Tout fait ventre et il faut vendre, apparemment.
Rien de commun sur le fond entre ces trois sujets, mais à la surface il y a remise en cause d'un état de fait, pour des raisons plus ou moins nobles selon les cas. Et cela suffit à madame LC pour conclure sa présentation avec la question de savoir si "L'Union Européenne peut résister à la tentation du chacun pour soi".
A ce moment-là, j'ai le sentiment d'une manipulation indigne de l'idée que je me faisais de la probité journalistique de la rédaction de "28 minutes":
- en quoi la demande de renégociation du CETA par le parlement wallon a-t-elle quelque chose à voir avec le "chacun pour soi", lorsqu'elle exige de préserver, pour l'ensemble des citoyens européens, les normes les plus élevés en matière de protection sociale, environnementale, de services publics, de santé, etc. ?
- Madame Le Calvez a-t-elle seulement écouté le courageux et pugnace discours de M. Paul Magnette, ministre-président de la région de Wallonie ? Si c'est le cas, elle devait penser à autre chose.
Vient ensuite le débat (ou les ébats comme on voudra).
Sur le choix des invités, il faut noter que M. Jean-Louis Bourlanges n'est pas seulement un ancien député européen, il est aussi un membre actif de la Commission Trilatérale, ce que Mme Elisabeth Quin n'a pas précisé. Cette commission, qui émane du groupe de Bilderberg, aurait pour but, selon Wikipedia, de "promouvoir et construire une coopération politique et économique entre les [] grandes régions du monde". Fort de ce constat, on peut se demander ce que M. Bourlanges défendait dans cette émission : le fonctionnement des institutions européennes ou les vues de la Commission Trilatérale ?
L'autre invité politique d'Arte était Mme Anne Boissel, vice-présidente du parti souverainiste "Debout la France" qui était favorable au refus wallon du CETA. Il est permis de se demander si le choix de cette voix politique pouvait réellement contribuer à crédibiliser la position de la région wallonne, tant il est vrai que les positions anti-européennes de ce parti ne sont un secret pour personne.
Le seul invité "impartial" selon moi était le journaliste belge Jurek Kuczkiewicz (journal "Le soir" de Bruxelles) qui a eu entre autres mérites ceux de la clarté et de rappeler que :
le refus wallon du CETA n'est pas une affaire de dernière minute mais date de plus d'un an (juin 2015), sans réaction du gouvernement belge et des instances européennes jusqu'à ces dernières semaines, alors que le traité devait être signé le 27 octobre 2016,
ce sont les états de l'UE qui ont exigé une ratification du CETA par les Etats en plus de celle du Parlement Européen,
l'on n'a pas entendu autant de bruit autour du refus constant et durable du "petit" Luxembourg de ratifier la décision d'échange de données bancaires avec les autres pays européens.
A noter qu'aucun des deux premiers points cités ci-dessus ne figure dans la présentation de Mme Le Calvez, alors que ce sont des informations structurantes pour la compréhension du sujet.
Je voudrais rappeler à M. Bourlanges ce qui a été dit au cours de l'émission, à savoir que l'état Belge ne peut ratifier un accord international sans l'unanimité des sept régions qui le composent. De ce fait, la position de la région wallonne est régulière et conforme à la loi. De par la volonté du Conseil Européen d'obtenir un accord des Etats (cf. ci-dessus), cette décision est aussi conforme au fonctionnement des institutions européennes.
En conséquence, considérer, comme il l'a fait, que la position de la région wallonne est une atteinte au fonctionnement démocratique de l'UE, est une imposture et un acte de mauvaise foi caractérisée qui n'appelle que le mépris le plus définitif. Et cette agitation stupide, hystérique et sans autre fondement que l'hypocrisie d'un membre de la Commission Trilatérale, certainement déçu de cet échec, a permis d'occulter le fond du débat, à savoir : pourquoi la région de Wallonie a-t-elle refusé le CETA en l'état ?
Dans son discours, M. Magnette, ministre-président de la région wallonne, a pris soin de préciser que
sa région n'est pas la seule à être opposée, moins au CETA en lui-même, qu'au processus opaque de prise de décision au sein des institutions européennes. Il a même indiqué que plusieurs pays étaient certainement bien aise que sa région s'expose à leur place,
le refus wallon est avant tout une proposition de renégociation sur des bases plus acceptables, en particulier en termes de respect des normes européennes et de transparence des négociations.
Que dire des positions louvoyantes de notre Confident National, capable tout à la fois de faire pression sur la Wallonie pour accepter le CETA et de refuser le TAFTA, alors même que ces deux traités sont entachés des mêmes vices que sont l'opaque brutalité des décisions de la Commission Européenne, l'absence d'information des citoyens concernés et un risque majeur pour le respect des normes péniblement mises en œuvre dans l'UE ?
Et que dire aussi de l'UE, si tatillonne sur le respect de ces normes à l'intérieur des frontières de l'Union et si prompte à n'en faire aucun cas dès que se pointe un traité de libre-échange ?
Tous ces éléments, ainsi qu'un choix d'invités politiques moins partiaux, auraient pu alimenter un débat autrement plus sain et plus profitable à tous. Mais le moins que l'on puisse dire est que la présentation décidément tendancieuse du problème par la rédaction de "28 Minutes" a d'emblée placé le "débat" sur le plan de la vulgarité ordinaire.
Enfin, j'ai été extrêmement déçu que l'équipe de "28 Minutes" réagisse si peu et si mal aux incongruités bourlangesques. Si M. Kuczkiewicz n'avait pas été présent, nous serions restés dans un brouillard d'incantations aussi stupides qu'inutiles.
A travail bâclé, débat lamentable, ce à quoi "28 Minutes" ne m'avait pas habitué jusqu'ici.
Reste une question sur cet épisode peu reluisant : doit-on l'imputer à un manque de professionnalisme journalistique ou à une volonté délibérée d'Arte d'orienter le débat dans un (non-)sens déterminé ?
Sur les réactions au refus wallon du CETA, on pourra utilement consulter l'article d'Acrimed.