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Billet de blog 26 mars 2025

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Rafeef Ziadah : "Y a-t-il quelqu'un" qui regarde vers Gaza ?

Traduction d'un poème et de son introduction, prononcés par Rafeef Ziadah elle-même pendant que les bombes tombaient déjà sur Gaza en novembre 2011

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Le 12 novembre 2011, Rafeef Ziahad prononce une nouvelle fois son poème "We Teach Life, Sir !" ("Nous Enseignons la Vie, Monsieur !")

Gaza, Palestine : Rafeef Ziadah © Rafeef Ziadah (Gaza, Palestine)

Voici ma traduction depuis l'anglais :

"J'ai écrit ce poème quand les bombes tombaient sur Gaza.

"J'étais la porte-parole vis-à-vis des médias pour la coalition, faisant pas mal d'organisation.

"Et nous étions restés jusqu'à six heures du matin, perfectionnant la moindre syllabe, le moindre bout de son.

"Vers la fin, vous savez, quand les Palestiniens se fatiguent, il commencent à prononcer les "p" comme des "b".

"Alors à la fin de la journée, nous devenons des Balestiniens.

"Et donc, je pratiquais mes "p" toute la nuit.

"Et le matin suivant, un des journalistes m'a demandé :

"[Le journaliste : ] Miss Ziadah : ne pensez-vous pas que tout irait bien, si vous appreniez à vos enfants à arrêter de haïr ?

"Je n'ai pas insulté cette personne, je suis restée très polie.

"Mais j'ai écrit ce poème, comme une réponse à ce type de questions que nous, Palestiniens, ne cessons de recevoir :"

-

"Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé.

"Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé, qui devait tenir dans des octets de son, et un nombre de mots limité.

"Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé, qui devait tenir dans des octets de son, et un nombre de mots limité, suffisamment rempli de statistiques pour contrer par réponse mesurée (? [to counter measured response]).

"Et j'ai perfectionné mon Anglais et j'ai appris mes résolutions ONU.

"Mais encore, il me demanda, Miss Ziadah, ne pensez-vous pas que tout serait réglé si vous arrêtiez juste d'apprendre tant de haine à vos enfants ?

"Pause.

"Je regarde à l'intérieur de moi, cherchant de la force pour être patiente, mais la patience n'est pas au bout de ma langue alors que les bombes tombent sur Gaza

"La patience s'est échappée de moi.

"Pause. Sourire.

Nous enseignons la vie, Monsieur.

"Rafeef, souviens-toi de sourire.

"Pause.

"Nous enseignons la vie, Monsieur.

"Nous Palestiniens enseignons la vie, après qu'ils aient occupé le dernier ciel.

"Nous enseignons la vie après qu'ils aient construit leurs colonies et leurs murs de l'apartheid, après les derniers ciels.

"Nous enseignons la vie, Monsieur.

"Mais aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé fait pour tenir dans des octets de son et un nombre de mots limité.

"Et donnez-nous juste une histoire, une histoire humaine.

"Vous voyez, ceci n'est pas politique.

"Nous voulons juste parler aux gens de vous et de votre peuple, alors donnez-nous une histoire humaine.

"Ne mentionnez pas ce mot “apartheid” et “occupation”.

"Ceci n'est pas politique.

"Vous devez m'aider en tant que journaliste à vous aider, vous, à raconter votre histoire, qui n'est pas une histoire politique.

"Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé.

"Pourquoi ne pas nous donner l'histoire d'une femme à Gaza qui a besoin de médicaments ?

"Et vous ?

"Avez-vous assez d'os brisés, de membres pour couvrir le soleil ?

"Remettez-moi vos morts et donnez-moi la liste de leurs noms en moins de mille deux-cent mots.

"Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé qui devait tenir dans des octets de son et un nombre de mots limite, et émouvoir ceux qui sont désensibilisés au sang terroriste [move those that are desensitized to terrorist blood].

"Mais ils se sentirent désolés.

"Ils ont eu pitié pour le bétail à Gaza [over Gaza].

"Alors, je leur donne les résolutions et les statistiques de l'ONU, et nous condamnons, et nous déplorons, et nous rejetons.

"Et ce ne sont pas deux camps égaux : occupant et occupé.

"Et cent morts, deux cents morts, et mille morts.

"Et entre ça, crime de guerre et massacre, je lâche des mots et je souris : « pas exotique », « pas terroriste ».

"Et je recompte, je recompte cent morts, mille morts.

"Y a-t-il quelqu'un ?

"Quelqu'un m'écoutera-t-il ?

"J'aimerais pouvoir pleurer sur leurs corps.

"J'aimerais pouvoir courir pieds nus dans chaque camp de réfugiés, tenir chaque enfant dans mes bras, leur boucher les oreilles, pour qu'ils n'aient pas à entendre le bruit des bombardements toute leur vie, de la façon dont je les entends.

"Aujourd'hui, mon corps était un massacre télévisé.

"Et laissez-moi juste vous dire que vos résolutions de l'ONU n'ont jamais rien fait à ce sujet.

"Et aucune phrase,

"aucune phrase que je trouve,

"aussi bon que soit mon anglais,

"aucune phrase,

"aucune phrase,

"aucune phrase,

"aucune phrase ne les ramènera à la vie.

"Aucune phrase ne réglera ce problème.

"Nous enseignons la vie, Monsieur.

"Nous enseignons la vie, Monsieur.

"Nous, Palestiniens, nous nous levons chaque matin

"pour enseigner la vie au reste du monde, Monsieur."

-

Un compagnon abonné a fait une autre traduction de ce même poème et donne plus de détails journalistiques à propos de son auteure ici.

Une traduction d'un autre poème de Rafeef Ziadah : "Nuances de Colère", est disponible ici.

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