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Lors d’une manifestation contre la réforme des retraites, j’ai rencontré et discuté avec Christophe, trésorier de la société de chasse (association qui permet aux chasseurs de se réunir pour la pratique de la chasse sur des territoires mis à la disposition de la société) de Loubeyrat dans le Puy-de-Dôme. Quand je lui ai expliqué que j’étais Conseiller régional écologiste en Auvergne-Rhône-Alpes, il m’a de suite proposé de l’accompagner un samedi à la chasse. Invitation à laquelle j’ai répondu favorablement. Je me suis donc rendu toute une matinée avec les chasseurs, l’occasion pour moi d’observer réellement comment se déroule une battue et de poser toutes les questions qui me trottaient dans la tête.
Je n’étais pas totalement en terrain inconnu puisque au lycée, j’ai déjà accompagné des amis chasseurs. Mais cette fois-ci, je m’y suis rendu en me demandant si non seulement chasseurs et écologistes étaient réellement irréconciliables mais aussi si une cohabitation était possible entre les usagers historiques de la nature et ceux plus récents.
Je précise qu’aucun animal n’a été blessé lors de cette matinée puisque les 4 chevreuils débusqués ont brillamment esquivé les balles. En ma présence, je soupçonne presque les chasseurs de l’avoir fait exprès.
Blague à part, j’ai été très bien accueilli et je remercie ces chasseurs pour la franchise des discussions que nous avons eu et l'excellent repas qui a suivi.
A travers ces lignes, je n’ai pas la prétention de livrer la vérité, ni la solution, d’autant que les chasseurs que j’ai rencontrés se sont définis comme étant exemplaires et ont reconnu qu’ils n’étaient pas une généralité. Je souhaite avant tout ouvrir des pistes qui permettraient aux différents usagers de l’espace rural de pouvoir cohabiter intelligemment et en toute sécurité.
Effectivement je ne crois pas au mythe des Frances irréconciliables. À l'exacerbation des postures caricaturales sur des plateaux télé avides de buzz, je crois en la force de l’altérité qui consiste à s'intéresser à la différence. Comme l'expliquent Albert Jacquard et Fernando Cuevas, l’altérité, c’est prendre conscience à la fois des différences et des similitudes. L’ouverture à l’autre, en dépit des risques et des déconvenues, est une nécessité vitale d’existence de l’être humain.
Lors de cette matinée, l’acceptation mutuelle de l’altérité nous a permis d’une part de nous respecter malgré nos différences, mais également de mettre en exergue des similitudes.
Chasser et être sensible au vivant ?
Je n’ai pas les ressorts philosophiques et psychologiques me permettant de l’expliquer, mais la première chose que j’ai constatée c’est que certains chasseurs que j’ai rencontrés éprouvent de la sensibilité et de l’émerveillement pour la nature et le monde du vivant. Force est de constater qu’autour de moi, il y avait des personnes viscéralement attachées à leur territoire, à sa beauté et toujours partant pour observer (sans fusil) la nature, quand bien ces mêmes personnes tuent parfois des animaux. Comment peut-on aimer la nature et à la fois tuer un animal sauvage avec un fusil ? Question intéressante qui mériterait de s’y attarder longuement et qui se rapproche d’ailleurs de la situation dans laquelle des éleveurs, qui sont profondément attachés à leurs animaux, acceptent de les conduire tôt ou tard à l’abattoir.
J’ai aussi découvert que ces chasseurs n'hésitent pas à sanctuariser des zones entières pour favoriser le développement de la biodiversité mais également pour partager intelligemment l'espace avec les autres. Sur un des étangs, la chasse a été interdite notamment parce qu’il était régulièrement fréquenté par les pêcheurs. A quelques mètres, en partenariat avec le conservatoire des espaces naturels, ils ont aménagé et protégé une zone humide qui sert aujourd’hui de support pédagogique pour des classes et des naturalistes. Ils ont également aménagé une garinière : là où les lapins occasionnent des dégâts ou présentent un risque important, comme sur un aéroport, les lapins sont capturés puis réintroduits dans cette garinière, espace dans lequel ils peuvent en toute sécurité se familiariser avec un nouvel environnement pour ensuite étendre leur territoire tout autour.
Vous allez me dire que ces projets pourraient être portés par d’autres acteurs que les chasseurs, certes, mais ils ont le mérite d’exister et me semblent plutôt bénéfiques, surtout quand il sont co-portés par des acteurs bien différents des uns des autres. Toutefois, il est certain que d'une manière générale, le puissant lobby de la chasse se sert de ce genre de projets pour tenter de redonner un peu de crédit à l'image que la chasse renvoie, il faut donc rester prudent.
Quant aux pratiques, certains chasseurs s’expriment clairement contre quelques formes de chasse jugées cruelles comme la glue ou la chasse à cour. Cette dernière est une chasse prolongée avec des chiens qui génère chez l’animal pourchassé un stress extrême et lui promet une mort lente. La pratique du "relais" peut être pratiquée même si elle est limitée, elle consiste à découpler de nouveaux chiens lors d'une chasse à courre. De fait la balance devient de plus en plus déséquilibrée pour l'animal pourchassé...
La chasse, dernier espace de sociabilité ?
Parlons maintenant du fameux local de chasse dans lequel on boit le café le matin avant de partir (je précise qu’aucune goutte d’alcool n’a coulé avant la chasse) et dans lequel on casse la croûte le midi. Ce local, c’est souvent l’un des derniers espaces de sociabilité qui existe dans les communes rurales. La chasse devient finalement un bon prétexte pour retrouver ses amis une à plusieurs fois par semaine. C’est d’autant plus vrai qu’ici à Loubeyrat, la plupart des chasseurs sont des locaux. On y retrouve aussi quelques jeunes qui la semaine sont en ville pour mener leurs études et ont plaisir à rentrer chez eux le week-end. Cependant, Loubeyrat n'échappe pas à la règle... Très peu de femmes, seulement une ce jour là.
Ici, j’ai écouté des chasseurs parler de chasse populaire et très critiques vis-à-vis des sociétés dans lesquelles il faut débourser une petite fortune pour pouvoir participer aux battues. D’ailleurs à mon sens ce qui pourrait différencier la chasse dite “populaire” et celle qui serait plus “élitiste”, ce serait le niveau d’engagement des chasseurs dans la vie locale.
Dans beaucoup de communes, et j’en fais l’expérience dans la mienne à Courgoul, les chasseurs sont des acteurs du territoire. Pas les seuls évidemment, on ne peut pas réduire la ruralité à la chasse, mais les chasseurs sont comme d’autres acteurs d’un territoire, amenés à rendre des services et à participer aux divers évènements qui peuvent avoir lieu. Ils sont également parfois, comme c’est le cas à Loubeyrat, à l’initiative de projets de valorisation ou d’animation du territoire. Engagement dans la vie locale, qui n'est certainement pas aussi fort dans les sociétés de chasse où vous payez une fortune pour venir chasser une journée et où vous repartez chez vous le soir à des dizaines ou des centaines de kilomètres.
Comment ne plus confondre un cycliste et un chevreuil ?
On ne rigole pas avec la sécurité à Loubeyrat. Déjà avant de partir, toutes les consignes de sécurité sont rappelées, c’est une obligation. Puis aux côtés de Christophe j’ai appris ce que c’était le tir fichant, le fait qu’on devait tirer dans un angle de 30°, qu’ici il y avait des postes fixes, que les chasseurs de Loubeyrat se rendaient régulièrement en formation etc etc…D’ailleurs on a vu des promeneurs, des motards, des cyclistes et je dois dire que tout ce petit monde se croisait paisiblement.
Mais si ça se passe bien ici, Christophe reconnaît que ça ne se passe pas comme ça partout, loin de là. Les consignes ne sont évidemment pas toujours respectées et cela conduit aux drames que l’on connaît.
J’évoque un peu plus loin quelques pistes qui permettraient justement de renforcer la sécurité et surtout de la faire respecter. Il n'est évidemment pas anodin d’avoir des gens armés en pleine nature. Les arguments bidons qui consistent à faire porter la responsabilité des accidents sur les épaules de promeneurs qui n’auraient pas à se trouver sur des parcelles privées sont répugnants. D’une part, parce que quand bien même vous vous promenez dans un bois privé, jamais vous n’avez à vous prendre une balle. D’autre part, parce que la plupart des accidents ont lieu avec des personnes qui se trouvent, au moment des faits, sur un chemin public ou même chez eux. Heureusement ce genre d’argument avancé par les lobbyistes comme Willy Schrean ou encore Thierry Coste ne sont pas forcément partagés par tous les pratiquants de la chasse, du moins pas ceux que j’ai rencontrés.
Finalement pour moi, avant même de débattre de l’interdiction d’un jour sans chasse, le plus important c’est la sécurité. Plus aucune femme, plus aucun homme ne doit mourir à cause de la chasse.
La régulation justifiée par notre manière d'aménager le territoire ?
Un bout de conversation enfin que j’ai trouvé particulièrement intéressant sur la question de la régulation et des dégâts occasionnés par le gibier.
Christophe m’a montré des dégâts importants imputés à une population de sangliers qui d’après lui ne cesse de croître. Dégâts qui deviennent problématiques lorsqu’ils touchent par exemple des éleveurs, puisque qu’avec des prairies littéralement retournées par les porcins, ce sont évidemment des pertes économiques qui se profilent. Je vous passe les accidents de la route occasionnés ou les jardins privés saccagés.
Mon premier réflexe a été de rappeler à Christophe et ses copains chasseurs qu’ils n’avaient qu’à arrêter de nourrir les sangliers. Bingo, j’avais tort puisque visiblement depuis un décret du 19 octobre 2022, le nourrissage des sangliers afin de les concentrer sur un territoire est strictement interdit. Ce qui est possible c’est l'agrainage, la dispersion d’un peu de maïs sur une zone définie, pour permettre d'éloigner les sangliers des cultures agricoles, des prairies ou encore des habitations et donc de diminuer les dégâts. Pratique qui, d’une part, visiblement n’a rien de miracle et qui reste bien différente du nourrissage abondant sur un point fixe.
Mon deuxième réflexe a été d’essayer de comprendre pourquoi finalement il y en avait autant. D’après Christophe, la première chose importante c’est de prendre en compte le dérèglement climatique. Avec des hivers moins rigoureux, les laies se reproduisent plus souvent dans l’année et la mortalité naturelle se réduit. Le deuxième élément, c’est la présence proche d’une grande étendue de culture de maïs (dans la plaine de la limagne) dans laquelle les sangliers se réfugient pour y passer un séjour all-inclusive et y couler des jours heureux. En effet, avec l’intensification et la spécialisation de l'agriculture, l'être humain a profondément modifié certains paysages entraînant également des déséquilibres dans les écosystèmes. Là où nous avions avant beaucoup de polycultures élevage et des haies bocagères, la biodiversité était naturellement plus riche, plus diversifiée mais également plus équilibrée. Les déséquilibres engendrés par notre manière d'aménager le territoire favorisent la disparition de certaines espèces ou au contraire profitent à d’autres.
S’ouvre à cet instant un débat aussi passionnant que compliqué sur la notion de réensauvagement. Que ce dernier soit subi ou choisi, il conduit à davantage de tensions entre acteurs d’un même territoire aux intérêts et aspirations différentes.
Face à cette dynamique de réensauvagement, il faut maintenir des équilibres territoriaux fragiles et difficiles à trouver. Depuis une loi de 2005 sur le développement des territoires ruraux, c’est l’équilibre agro-sylvo-cynégétique qui prévaut. En gros, il s’agit de trouver le bon équilibre entre pratiques agricoles, exploitation forestière et chasse. Mais cette vision me semble caduque puisqu’elle fait fi des nouveaux usages de loisirs de pleine nature et semble omettre les profondes mutations engendrées par certains systèmes agricoles productivistes et spécialisés.
Passons aux propositions
A partir de mes observations et des échanges voici une liste évidemment non exhaustive, d’éléments que l’on pourrait intégrer dans la loi et dans les logiques qui conduisent nos politiques publiques.
J'espère que vous l'aurez compris, mes mots n'ont pas pour objectif de nier les accidents dramatiques liés à la chasse et de minimiser le poids de son puissant lobby, bien au contraire. La somme vertigineuse d'argent public versée et tout simplement indécente. En France, les subventions aux chasseurs sont passées de 27 000 à 6,3 millions d’euros en moins de cinq ans. En région Auvergne-Rhône-Alpes, sous la présidence de Laurent Wauquiez, des subventions pour la rénovation des cabanes de chasse sont versées très régulièrement. L'argent public doit servir à autre chose, les discours caricaturaux et belliqueux des lobbyistes doivent cesser et le tapis rouge qui leur est déroulé dans les lieux de pouvoir doit absolument disparaitre.
Ce qui importe maintenant c'est de créer les conditions d'un dialogue serein pour partager l'espace intelligemment, trouver les équilibres nécessaires entre préservation de la biodiversité et activités économiques et enfin mettre un terme aux accidents.
Pour ce faire, quelques propositions :
- Interdire la chasse le dimanche, pourquoi pas mais je vous avoue être sceptique puisqu'à mon sens la vraie problématique c'est la sécurité et le respect des règles de sécurité. Mais avec un peu de recul je pense que cette proposition va dans le bon sens. Je n'avais pas mesuré la peur que peut susciter la chasse chez certaines personnes et on ne peut pas l'occulter. Je ne ferai jamais partie de ceux qui veulent interdire la chasse mais pour partager l'espace et apaiser des rapports souvent très conflictuels, cette proposition peut être une voie intéressante, mesure par ailleurs déjà en place en Angleterre ou encore au Pays-Bas. D'autant que cette proposition est déjà en place en Angleterre par exemple. Pour étayer mes propos et continuer d'alimenter le débat, je vous livre ces informations tirées d'un rapport de l'OFB (Office nationale de la biodiversité). À partir des chiffres de l'office "pour les saisons de 2003-2004 à mars 2022", la mission conjointe de contrôle sur la sécurisation de la chasse notait que 71% des accidents avaient eu lieu le week-end, dont 46% le dimanche. Par contre, comme le relève le rapport, "on ne retrouve pas cette surreprésentation dans les accidents ayant pour victimes des non-chasseurs". Les victimes qui se promenaient ou qui habitent en lisère de bois "se répartissent sur toute la semaine sans pic marqué le mercredi ou le week-end", détermine le rapport.
- Interdire l'alcool, le bon sens absolu. N’en déplaise à Willy Schraen, beaucoup de chasseurs sont d’accord avec cette proposition.
- Apparemment fortement recommandés, les postes fixes ne sont pas une obligation. Les rendre obligatoires me paraît être pertinent car ils permettent d’identifier des endroits où les règles de sécurité peuvent s’appliquer aisément et de s’y tenir.
- Pour des raisons en rapport avec les souffrances animales, interdire l’usage du plomb au profit des balles me paraît judicieux pour la chasse du gros gibier. Par ailleurs cela permettrait de diminuer la quantité astronomique de plomb abandonné dans la nature.
- Renforcer l'Office nationale de biodiversité (OFB) avec des moyens financiers et humains à la hauteur des missions demandées. Ses agents doivent être en mesure de pouvoir contrôler au moins une fois par saison l’intégralité des sociétés de chasse, afin de veiller au respect des règles.
- Instaurer la possibilité pour un collectif de citoyens, de demander au préfet d'interdire la chasse ponctuellement en raison de l’organisation d’un évènement. Demande et décision qui doivent se prendre de manière concertée avec la société de chasse concernée.
- Rendre obligatoire des formations régulières. Les piqûres de rappel font toujours beaucoup de bien.
- Interdire la chasse à courre, qui représente moins de 1 % de l’effectif des chasseurs et qui occasionne de nombreux troubles à l’ordre public, ainsi que les autres chasses cruelles comme la glue ou le déterrage.
- Comme pour les élevages de chiens, instaurer un contrôle vétérinaire annuel des meutes pendant la période de chasse.
- Prendre en compte les nouveaux usages de la nature et des espaces ruraux dans les équilibres territoriaux à trouver et à maintenir et enfin opérer les transitions agro écologiques et économiques nécessaires pour rendre compatible les activités humaines et le respect du monde vivant.
A vos commentaires, le débat est ouvert…
Grégoire Verrière