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Billet de blog 18 avril 2020

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Demain ne presse pas

Sur la fatigue de l’information.

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Ce blog est personnel, la rédaction n’est pas à l’origine de ses contenus.

Le monde bruit de l’incessante rumeur de cette calamité. On en arriverait à penser que l’information transmet le virus. Que la contagion se propage en empruntant le réseau câblé, les ondes hertziennes et le Wi-Fi. Et c’est pourquoi je me suis pris à rêver à cet homme que son ignorance du mal immuniserait contre le mal. Spéculations idéalistes que l’on me pardonnera au seizième jour de mon confinement.

Éric Chevillard, Sine die, jour 16

La deuxième semaine du confinement, j’ai désactivé mon compte Facebook pour me couper des informations mortifères. Cette semaine-là, je me suis réabonné au Monde pour suivre quotidiennement les courbes et les chroniques fantaisistes d’Éric Chevillard. J’ai pris un abonnement au New York Times pour décentrer mon regard, j’écoute la BBC et regarde France 24 en anglais sur le canal 341. Mais tout nous ramène à la France, à sa passion des polémiques et à ses grandes gueules. Je lis beaucoup d’articles, quand j’en ai marre de lire je copie-colle paresseusement un article sur un synthétiseur vocale et c’est un robot qui me fait la lecture, procédé qui réserve quelques surprises drolatiques quand la machine prononce de travers.

Je partage sur Facebook les articles qui me touchent sans doute parce qu’ils rencontrent les convictions qui étaient déjà les miennes le « jour d’avant » :

  • certitude que la pandémie dans son développement ultra rapide est une conséquence de notre colonisation insensée du monde, que ce que nous vivons est un symptôme parmi tant d’autres (déclin de la biodiversité, épuisement des ressources du sol, gaz à effet de serre dont l’inertie dans l’atmosphère nous promet des jours et des nuits torrides pour au moins 30 ans, etc.) d’un effondrement civilisationnel ;
  • passion pour les controverses scientifiques, mais méfiance dès lors qu’elles risquent de se réduire à des affects et qu’elles sont utilisées comme des leviers d’action politique ;
  • colère contre les mensonges d’État et contre un gouvernement qui demande à la réalité de se plier à sa parole, et par conséquent nécessité de la rue et de son débordement pour dire que je ne suis pas dupe ;
  • conviction que l’exercice de la démocratie est dans l’action mais surtout pas dans le rituel du vote, la démocratie représentative ayant été un choix historique de confiscation du pouvoir ;
  • haine sourde de l’incarnation policière, gendarmesque et médiatique de la surveillance et de la répression d’État ;
  • colère contre les lobbys industriels qui n’ont d’autre souci que d’étendre leur influence, leurs finances et leur emprise sur les désirs, de nous endormir avec du sucre et des produits transformés, en somme de nous empoisonner (de Coca-Cola aux dernières aberrations des alchimistes du véganisme qui tentent de créer des substituts de viande et de fromage) ;
  • confiance dans la médecine et admiration sans borne pour les professionnels qui sauvent des vies : cette médecine dite « conventionnelle » que l’on décrie parfois au nom des médecines traditionnelles, plus lointaines, plus anciennes, plus mystérieuses et plus proches des ressources naturelles (et je peux entendre certains arguments, m’ouvrir à d’autres cultures, j’y fais mon miel aussi), mais jusqu’à preuve du contraire, c’est bien la médecine conventionnelle qui m’a relevé trois fois, quatre, je ne sais même plus, et qui fait que je suis là ;
  • confirmation de mes choix de vie au quotidien qui rendent le confinement (à l’exception du principe d’assignation à résidence) tout à fait supportable : do it yourself pour tout ou presque (du pain au levain aux coups de ciseaux dans les cheveux), désertion des boutiques (vêtements colorés de sueur et de sang, cosmétiques empoisonnés, boulangeries qui carburent aux intrants, supermarchés de la dépression), bannissement des détergents (de l’eau de javel au shampoing).

Mais, sur l’origine du virus, sur les choix stratégiques qui engagent la collectivité, je ne sais fichtre rien. Reprendre le travail « présentiel » en mai : pourquoi ; pourquoi pas. Mon avis personnel ne compte pas (ou plutôt ne compte que pour moi et pour quelques personnes que cela intéresse). Il changera demain, et encore après-demain peut-être. Je discute avec des amis (les vivants et les morts, les intellectuels et les corporels, les philosophes de l’Antiquité et les poètes américains), nous pouvons nous confirmer sur nos terrains intellectuels et imaginaires, cela peut nous aguerrir ou nous consoler, mais nous n’embrasserons jamais le toussotement actuel de la condition humaine. Finalement, dans le flot inédit d’informations mondiales sur un même sujet, véhiculées par des médias et des réseaux sociaux dont la structure et les moyens de diffusion créent une abondance de texte, d’image et de son, avec des variantes infinies de traitement, des points de vue mainstream et d’autres dissidents, des montages hasardeux ou géniaux, des contenus qui tendent à se viraliser, chacun peut voir midi à sa porte : voilà bien ma première certitude.

Donc, demain ne presse pas.

Le 11 mai, encore moins.

Explorons ce qui se passe aujourd’hui entre nos quatre murs.

Dormons.

Explorons demain encore.

Quand les mots et les vidéos nous fatiguent, jouons de la musique, dessinons.

Illustration 1
Le cri © Pierre Courcelle

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