Cette après midi l'Assemblée nationale étudiera en séance la fameuse loi de transition énergétique promise par le candidat Hollande. Il aura fallu plus de deux ans et quatre ministres de l'écologie pour préparer ce texte sans compter le fameux débat national sur la transition énergétique organisé l'an dernier. Le projet de loi est très clairement en deçà des enjeux mais surtout n'a rien à voir avec les promesses de campagne du candidat Hollande.
L'industrie nucléaire est la grande gagnante du lent travail d'élaboration de la loi. Cette énergie dont les capacités sont fixées à un niveau considérablement élevé est présentée comme le moyen principal d'une transition vers un modèle décarbonné voulu par le président de la République. Le choix est clair, la France veut persévérer dans l'exploitation industrielle de l'atome au prétexte que cela limiterait les émissions de gaz à effet de Serre et la facture énergétique globale de la nation.
Rien n'est moins vrai. La publication hier par le WWF du Rapport Planète vivante 2014 donne à voir que l'empreinte écologique de la France, pays e plus nucléarisé au monde, est nettement supérieure à celle de l'Allemagne, pays qui a décidé de sortir du nucléaire, et des autres grands pays d'Europe[1]. Quant à la facture énergétique, elle ne cesse de se creuser à en croire les données très officielles de la Direction générale de l'énergie et du climat. Le nucléaire comme nous l'avons établi précédemment a permis d'accompagner pendant trois décennies une hausse constante des consommations d'énergie qui aujourd'hui aboutit à une impasse environnementale, économique et sociale.
Les Chiffres parlent d'eux-mêmes. La note n°553 publiée par le commissariat au développement durable début septembre est très claire. «°L’énergie appelée réelle est en baisse continue depuis le début de l’année (- 2,5 % en juillet sur un an). À 33,0 TWh, elle affiche son plus faible niveau pour un mois de juillet depuis 2001. À l’inverse des mois précédents, cette tendance est moins prononcée pour la basse tension (- 1,0 % par rapport à son niveau exceptionnellement élevé de juillet 2013). La consommation en moyenne tension affiche un recul plus accentué, de - 4,6 % sur un an. La consommation en haute tension poursuit sa tendance baissière : - 4,1 % sur un an, pour un total de 6,6 TWh, soit son plus bas niveau pour un mois de juillet depuis 1985[2].°»
La France sous les coups de la crise économique mais aussi en raison des efforts réalisés pour diminuer les consommations d'énergie a entamé ce que l'on doit bien appeler une descente énergétique. L'électricité est bien évidemment la première touchée par cette tendance que nous espérons durable mais les fossiles eux aussi amorcent une décroissance. Elle est certes encore timide mais des indices laissent penser qu'elle peut être durable si tant est que la rénovation de l'habitat et des politiques intelligentes d'aménagement du territoire et d'urbanisme soient mises en oeuvre.
D'un certain point de vue les choses vont dans le bon sens. La société civile a globalement compris les enjeux. Ne serait-ce que pour protéger son pouvoir d'achat, la multitude s'engage sur la voie de la sobriété et de l'efficacité. L'écart n'en est que plus grand entre la vitalité à la base de la transition et ce que propose la fameuse loi de «°croissance verte°». L'intitulé en lui-même est en complet décalage avec ce qui s'opère dans la société. Le détail du texte n'est pas mieux en particulier en ce qui concerne le nucléaire dont la surcapacité est gravée dans le marbre !
Le renforcement des privilèges du nucléaire est l'aspect le plus choquant de la loi telle qu'elle a été préparée puis amendée au cours de la semaine qui vient de s'écouler. A croire que le pouvoir politique n'a aucune influence directe sur l'industrie de l'atome, ou plutôt, ne veut en avoir aucune.
L'interview de Ségolène Royal hier matin par France Inter confirme cette thèse. La ministre a reconnu en quelque sorte que l'Etat n'a pas la capacité d'ordonner l'arrêt d'une installation nucléaire de base. Ce rôle revient exclusivement à l'exploitant qui peut décider une fermeture s'il juge que l'entretien d'un réacteur devient trop onéreux. L'argument prix est présenté comme déterminant en dernier recours. Si le coût d'un «°grand carénage°» est supérieur aux revenus escomptés par l'exploitant, il ne serait pas réalisé. L'Etat n'interviendrait que pour valider une proposition qui lui est faite.
Ségolène Royal, a reconnu cela en substance quand elle a évoqué le cas de Fessenheim. L'arrêt promis de la plus vieille centrale de France semble bel et bien oublié. Puisqu'EDF a réalisé sur le site quelques 500 millions d'euros de travaux tout porte à croire que les deux réacteurs pourront continuer à fonctionner. Et la ministre précise la position de l'Etat... la décision de mise à l'arrêt d'une puissance équivalente à celle produite par l'EPR est reporté après le démarrage de Flamanville.
A bien entendre Ségolène Royal, ce n'est pas l'Etat qui choisira alors quels réacteurs seront arrêtés pour respecter la capacité maximale nucléaire que la loi veut définir mais l'exploitant. Non seulement Fessenheim ne sera vraisemblablement pas arrêtée mais les premières fermetures n'interviendront que vers 2019-2020 au vu de la complexité des procédures des mise à l'arrêt définitif.
La promesse de campagne de François Hollande est en voie d'être sacrifiée sur l'autel de la croissance verte. Plus globalement l'ambition de l'Etat portée un temps par Delphine Batho de maitriser le nucléaire est sacrifiée. Si EDF décide qu'il est rentable de réaliser des travaux massifs sur un site personne ne peut l'en dissuader pas même l'Autorité de sureté nucléaire (ASN). Le pouvoir politique construit ainsi son impuissance délibérément.
Il n'y a finalement pas de changement dans le domaine du nucléaire. La loi telle qu'elle a été écrite par la direction générale de l'énergie et du climat préserve pour l'essentiel les privilèges de cette industrie. Au prétexte qu'il s'agit d'un secteur stratégique pour la nation, les prérogatives de l'Etat sont réduites au minimum. Tout au plus il reste aux gouvernements la capacité d'accompagner des décisions de l'exploitant nucléaire.
L'ASN et l'ANCCLI ne sont guère plus favorisées par le projet de loi et les amendements qui ont été déposés. EDF à l'issue d'un débat national sur la transition énergétique tronqué a réussi à imposer ses ambitions et sa stratégie. La prolongation l'exploitation des réacteurs nucléaires est en passe d'être actée. Revendiquée depuis 2003, réaffirmée par le rapport Energies 2050 et le rapport Roussely la prolongation de la durée d'exploitation au delà de quarante années va être gravée dans le marbre[3]. Proglio en a rêvé, Ségolène Royal l'a fait avec l'assentiment des députés écologistes.
Tout au plus la loi de transition facilite la montée en puissance des alternatives au nucléaire. Mais fondamentalement, elle ne change rien. L'électricité est placée au coeur du modèle énergétique à la grande satisfaction de M. Boiteux.
La rationalité économique est foulé aux pieds et les enjeux environnementaux ignorés. Dans la mesure où cette loi se contente de modifier à la marge le modèle énergétique français, elle ne remet pas en cause l'effet d'éviction dont est responsable l'industrie nucléaire. L'argent continuera à abonder le tonneau des danaïdes d'un secteur qui ne maitrise ni ses coûts, ni ses rejets, ni ses risques. Une fois encore le pouvoir politique vient protéger en France une industrie des mécanismes de marché qui lui ont été fatales en Allemagne ou aux Etats-Unis. Puisque le nucléaire est considéré in fine comme stratégique, ses privilèges sont maintenus ou plutôt renouvelés.
Certes la prolongation au delà de quarante années d'exploitation sera soumise à des procédures lourdes d'autorisation qui permettront d'imposer des travaux onéreux. Mais il semble bien que grâce à cette loi la pérennisation de l'option nucléaire voulue sous Sarkozy devienne un fait. La transition énergétique est fragilisée en son coeur parce qu'avec le maintien de l'industrie nucléaire est préservé le mythe d'une énergie abondante que l'on peut consommer sans modération.
On est loin du nécessaire. Et c'est très triste que des écologistes se satisfassent de ce qui est possible. La planète attendait mieux que ça d'un pays qui prétend être exemplaire sur le plan environnemental. La transition énergétique est reporté dans les faits dans une décennie quand une part conséquente du parc pourra être fermée au vu des outils réglementaires en vigueur. D'ici là nous vivrons encore sous la hantise de l'accident avec des factures d'électricité qui ne vont cesser de grimper de manière à financer le rafistolage de machines obsolètes et dangereuses.
Encore une fois on a envie de dire «°tout ça pour ça°!°» La France manque à nouveau un virage nécessaire qui a déjà trop tardé à venir. Le climat se dérègle et les ressources s'épuisent sans que manifestement aucun politique ne semble prendre la mesure de la situation.
[1] http://www.wwf.fr/vous_informer/rapport_planete_vivante_2014/empreinte_ecologique/
[2] http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/fileadmin/documents/Produits_editoriaux/Publications/Chiffres_et_statistiques/2014/chiffres-stats553-conjoncture-energetique201407-septembre2014.pdf
[3] http://www.actu-environnement.com/ae/news/procedures-prolongement-modification-reacteurs-nucleaires-revues-22823.php4