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Billet de blog 8 novembre 2015

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Tout est mini chez EDF

L’ensemble du gouvernement ne tarit pas d’éloges pour le fleuron de l’industrie française, EDF. A le croire l’énergéticien national serait un modèle de compétences, de fiabilité et surtout de réussite économique. Quand on gratte un peu la réalité est moins souriante. EDF est une entreprise lourdement endettée dont l’activité est bien moins vertueuse qu’il n’y parait.

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Le Président de la République, le Premier ministre et l’ensemble du gouvernement ne tarissent pas d’éloges pour le fleuron de l’industrie française, EDF. A les croire l’énergéticien national serait un modèle de compétences, de fiabilité et surtout de réussite économique. Quand on gratte un peu la réalité est moins souriante. EDF est une entreprise lourdement endettée dont l’activité est bien moins vertueuse qu’il n’y parait.

Non seulement le bilan carbone de l’entreprise n’est pas si favorable que d’aucuns veulent le dire mais les installations nucléaires font peser une menace constante sur le territoire français non sans effet sur la santé publique.

On a affaire à un magnifique paradoxe entre l’image de puissance et de grandeur construite par une armée de communicants et la réalité d’une entreprise aux abois. EDF n’arrive même plus à vendre son électricité nucléaire[1]. Malgré des arrêts fortuits toujours plus nombreux à mesure que le parc vieillit[2], l’énergéticien est aujourd’hui contraint de mettre des réacteurs à l’arrêt faute de débouchés sur le réseau[3]. Telle est la mini fiabilité du nucléaire français[4].

En fait tout est mini chez EDF. Mini transparence, Mini attractivité, Mini sécurité, Mini rentabilité, mais aussi d’autres petites choses qui donnent à voir la faillite nucléaire du modèle énergétique français, Mini-RGE, Mini-Dus et aujourd’hui Mini sites.

Le dernier exemple en date est celui des sites internet des centrales. Face à la montée en puissance de la surveillance citoyenne des installations nucléaires, EDF tente de dissimuler les informations qu’elle est dans l’obligation de communiquer en vertu de la réglementation en vigueur. Des Mini sites mis en ligne depuis le début de l’année entravent l’accès aux renseignements importants. Les données essentielles concernant l’exploitation des réacteurs sont noyées dans la masse de communiqués d’un intérêt au mieux relatif[5]. La transparence, principe fondamental du droit nucléaire, en prend un sérieux coup.

Cette évolution de la communication d’EDF n’est pas un détail. A l’heure où le dialogue environnemental apparait comme une possibilité de ressourcement démocratique d’une République en crise[6], l’exploitant nucléaire joue avec les recommandations de la Convention d’Aarhus sur le droit à l’information[7]. Une telle démarche a quelque chose d’anachronique à l’aube du XXIe siècle. Serait-ce qu’EDF a peur du regard du public ? Bien des éléments le porte à croire. En tout cas c’est ce qu’a déclaré Maitre Piquemal, avocat de l’entreprise, à Dieppe en juin 2014[8]. « A force de passer son temps devant le tribunal de police et de se faire taper dessus par les associations, vous voulez qu’on déclare moins d’événements ? »

Mini communication donc pour une Maxi responsabilité. Le paradoxe est saisissant. Mais c’est loin d’être le seul exemple du down sizing en vogue avenue de Wagram. On savait que l’entreprise était la championne des Mini engagements comme l’a donné à voir le Débat national sur la transition énergétique[9], sans parler de la Loi de transition qui lui accorde un véritable blanc-seing[10]. La manière sont mises en œuvre les recommandations post-Fukushima confirme cette tendance. Dès qu’un Maxi problème se pose la réponse est au mieux Mini.

Deux petits exemples permettent de mieux comprendre la tentation constante chez EDF pour esquiver ses responsabilités. Le premier concerne les fameux diésels d’ultime secours prescrits par l’Autorité de sureté pour garantir les alimentations de secours en situation accidentelle[11]. La mise à l’écart des diésélistes sérieux avait surpris début 2014[12]. Depuis la mise en œuvre tarde. EDF une fois encore traine les pieds. Quatre ans après Fukushima les travaux commencent à peine[13]. Mais il faut tout de même faire face aux impératifs de sureté. EDF a fait le choix de bricoler. Ainsi sur la plupart des sites le temps que les travaux soient terminés des « Mini DUS » ont été installés, c’est-à-dire des groupes électrogènes provisoires installés pour garantir une alimentation électrique de secours supplémentaire. C’est mieux que rien. Mais on est tout de même très loin du nécessaire…

Reste que des diésels peuvent être beaucoup plus facilement trouvés que des volontaires pour travailler dans le nucléaire. Aujourd’hui EDF doit faire face à un Maxi désaveu du nucléaire[14]. Cette industrie attire peu quel que soit la manière dont on prend les chiffres[15]. Il ne faut pas être grand clerc pour concevoir aujourd’hui que l’industrie nucléaire est dans une impasse[16]. C’est la Mini attractivité de la Maxi radioactivité. Les jeunes ne s’y trompent guère et se dirigent prioritairement vers ce formidable gisement d’emplois que représente la transition énergétique[17]. Les acteurs institutionnels l’admettent et orientent leur communication en conséquence. Les énergies renouvelables sont mises en avant[18].

Toujours est-il qu’EDF peine à renouveler personnels et compétences dans les réacteurs depuis plusieurs années[20]. Cette situation a des conséquences concrètes sur l’exploitation des réacteurs. Les erreurs humaines montent en flèche[21]. D’autres effets sont plus insidieux.

Afin d’adapter la conduite des réacteurs à ces tensions sur l’emploi et au vu des problèmes rencontrés fréquemment[22], EDF recourt à des artifices techniques. Le vieux rêve d’automatisation expérimenté avec les N4 refait surface[23]. L’ambition de l’exploitant nucléaire est ainsi de passer d’un système de contrôle-commande électromécanique à un système numérique[24]. Non seulement cette solution inquiète les experts officiels du nucléaire[25] mais l’Autorité de sureté adresse de nombreuses recommandations que ce soit pour l’EPR[26] ou les troisièmes visites décennales des réacteurs en exploitation[27].

Tout cela n’a rien de rassurant. Des centrales automatisées peuvent être l’objet de cyberattaques fatales. « La croyance partagée que toutes les installations nucléaires sont isolées de l’Internet public est un mythe[28]. » Quelques soient les précautions prises[29], l’informatique peut être le talon d’Achilles du nucléaire. Ainsi les Etats-Unis ont-ils attaqué en 2009 et 2010 des installations en Corée du Nord[30] et en Iran[31]. D’autres cibles semblent avoir été touchées depuis notamment en Russie[32]. Le problème est si sérieux que le « cybernuke » est aujourd’hui l’objet de toutes les attentions[33]

Mais EDF sait comment faire pour parer à toute éventualité. Le capital humain est la solution. Ce n’est pas la prestigieuse Ecole Polytechnique qui dirait le contraire. « Il est donc essentiel de confier les centrales nucléaires à un personnel hautement qualifié, sachant bien sûr travailler en équipe, comprenant le fonctionnement de son installation, à la fois en conditions normales et en conditions accidentelles, et apte à réagir correctement, y compris à quatre heures du matin, après une longue période de calme plat, sans être tétanisé par la perspective de se trouver impliqué juridiquement et personnellement dans une catastrophe de grande ampleur. Il est essentiel aussi de faire en sorte qu'à tout instant l'exploitant soit convaincu que la consigne qu'il doit appliquer, c'est de faire passer la sécurité avant tout autre impératif. Ne pas le faire, ne pas le réussir serait condamner le nucléaire à disparaître à terme rapproché[34]. » Reste que bien peu, nous l’avons vu, sont prêts à embrasser la carrière de l’atome. Les salles de commande se vident au rythme des départs à la retraite…

A l’heure où AREVA dégraisse[35], EDF réduit la voilure. Ainsi à Penly, la direction a décidé de tester un dispositif inédit le « Mini RGE ». Derrière le jargon électronucléaire se glisse une idée simple. Puisqu’il est difficile de trouver du personnel qualifié et dans la mesure où les compétences fondent comme neige au soleil, il s’agit d’expérimenter une conduite du réacteur avec des équipes réduites. Concrètement les effectifs ont été diminués d’un tiers. La manœuvre est audacieuse. Elle n’est pas sans conséquences.

Chacun peut imaginer les effets de ces modifications réglementaires sur les conditions de travail et le stress. Comme quoi les sous-traitants[36] ne sont les seuls victimes d’une industrie inhumaine. Travailler dans une centrale nucléaire n’est pas une activité anodine. Surcharge de travail, heure supplémentaire, hiérarchie autoritaire tout est présent à l’ombre des réacteurs pour détruire des vies. Aux radioéléments et autres cancérogènes s’ajoutent des risques organisationnels encore mal évalués si ce n’est par quelques médecins du travail audacieux[37]. Cela ne peut plus durer. Il serait temps de reconnaitre que cette industrie broie les hommes[38] comme elle saccage l’environnement.

Le Mini souci des salariés est un état de fait aujourd’hui dans les centrales. Coute que coute faut que les centrales tournent. Or ce sacrifice des agents sur l’autel des maxi profits est totalement vain. Non seulement il ne fait qu’accroitre la désaffection pour les métiers du nucléaire mais au final il ne débouche que sur une Mini rentabilité[39]. Le nucléaire coute de plus en plus cher pour rapporter de moins en moins. A mesure que les couts d’exploitation s’envolent, il est de plus en plus difficile d’injecter des kWh nucléaire sur un réseau ouvert à des énergies renouvelables fiables et bon marché de l’aveu même de l’AIEA[40].

Somme toute c’est un maxi désastre qui se profile à l’horizon. Les choix de l’Etat, loin d’endiguer la catastrophe, risquent d’étendre l’incendie qui s’est allumé cet été chez AREVA[41]. Trop cher et trop dangereux[42], la résolution d’EDF à persévérer dans le nucléaire peut s’avérer fatale en particulier pour le budget des ménages[43]. Aucun montage financier et industriel ne peut stopper cette tendance du temps présent[44]. La transition énergétique est la seule issue pour concilier des impératifs sociaux, économiques et environnementaux à l’heure de la crise climatique. C’est un formidable gisement d’emplois et d’innovation[45]. Faut-il encore que tous les moyens y soient consacrés et non pas dilapidés au profit exclusif de l'industrie de l'atome où tout est mini… sauf les risques !


[1] http://www.usinenouvelle.com/article/avec-un-volume-d-achat-divise-par-deux-en-2015-quel-avenir-pour-l-arenh.N310481

[2] http://www.journaldelenvironnement.net/article/nucleaire-edf-reconnait-aussi-des-problemes,43715

[3] http://www.challenges.fr/entreprise/20140107.CHA8912/edf-la-production-des-centrales-nucleaires-a-encore-recule-2013.html

[4] http://www.lesechos.fr/24/03/2014/LesEchos/21653-040-ECH_edf-et-son-pdg-face-au-defi-de-la-productivite-nucleaire.htm

[5] http://stopeprpenly.org/?p=662

[6] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Les-travaux-de-la-commission.html

[7] http://www.developpement-durable.gouv.fr/Je-m-informe,42332.html

[8] http://www.lesinformationsdieppoises.fr/2014/06/17/tribunal-edf-poursuivi-pour-des-fuites-a-la-centrale-de-penly/

[9] http://www.actu-environnement.com/ae/news/synthese-debat-national-transition-energetique-oppositions-patronat-syndicats-ong-19109.php4 ; http://www.euractiv.fr/sections/energie/la-france-ne-renonce-pas-au-nucleaire-pour-sa-transition-energetique-303819

[10] http://www.reporterre.net/La-loi-de-transition-energetique ; http://energie-climat.greenpeace.fr/une-loi-de-transition-energetique-pavee-de-bonnes-intentions

[11] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Exigences-complementaires-pour-la-mise-en-place-du-noyau-dur

[12] http://blogs.mediapart.fr/blog/guillaume-blavette/060314/les-diesels-la-rustine-thermique-de-lindustrie-nucleaire

[13] http://lenergeek.com/2015/08/31/le-chantier-du-1er-diesel-dultime-secours-lance-a-saint-laurent/

[14] http://www.reussirmavie.net/actudebouchesblog/Le-demantelement-nucleaire-peine-a-recruter_a212.html

[15] http://decodeurs.blog.lemonde.fr/2013/02/11/linsaisissable-poids-de-la-filiere-nucleaire-sur-le-marche-de-lemploi/

[16] http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/300718/20150623Rapport-Nucl%C3%A9aireFrance-ImpasseIndustrielle.pdf

[17] http://www.cler.org/Les-emplois-de-la-transition ; http://energie.eelv.fr/la-transition-energetique/

[18] http://energiehn.opteam-network.com/main-emploiecompetences/la-route-des-energies/ ; http://www.francetvinfo.fr/economie/emploi/metiers/agriculture/crise-des-eleveurs/les-4-verites-la-loi-de-transition-energetique-un-considerable-gisement-d-emplois-pour-segolene-royal_1009767.html

[19] http://energytransition.de/2013/03/fr/

[20] http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/04/05/nucleaire-francais-le-defi-du-renouvellement-des-competences-par-jean-louis-ermine_1328902_3232.html

[21] http://www.reporterre.net/Le-nucleaire-francais-de-plus-en ; http://rouenecolo.typepad.fr/echos_du_reso_ecolo/2013/02/lerreur-humaine-un-facteur-majeur-de-risque-industriel-lexemple-du-nucl%C3%A9aire.html

[22] http://www.stephanehaefliger.com/campus/biblio/021/21_20.pdf

[23] http://www.iaea.org/inis/collection/NCLCollectionStore/_Public/38/036/38036094.pdf

[24] http://www.areva.com/FR/activites-2336/instrumentation-et-controle-la-surveillance-et-le-pilotage-du-reacteur.html

[25] http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-centrales-nucleaires/reacteur-epr/Pages/4-EPR_controle-commande.aspx#.Vj-Jg_kveUk

[26] http://www.asn.fr/L-ASN/Presentation-de-l-ASN/La-doctrine/Les-prises-de-position/Controle-commande-de-l-EPR-Flamanville-3

[27] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Surete-des-reacteurs-de-1300-MWe-jusqu-a-leur-quatrieme-reexamen-de-surete

[28] http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/10/06/les-risques-de-cyberattaques-contre-les-centrales-nucleaires-se-multiplient_4783340_3234.html

[29] https://www.francebleu.fr/infos/societe/la-centrale-nucleaire-de-chinon-est-elle-vulnerable-une-cyber-attaque-1444224866

[30] http://www.slate.fr/story/102273/stuxnet-coree-nord-nucleaire-attaque-etats-unis

[31] http://rue89.nouvelobs.com/2012/06/04/stuxnet-comment-les-etats-unis-et-israel-ont-pirate-le-nucleaire-iranien-232728 ; http://www.slate.fr/story/30471/stuxnet-virus-programme-nucleaire-iranien

[32] http://lenergeek.com/2013/11/27/russie-les-centrales-nucleaires-infectees-par-le-virus-stuxnet/

[33] http://www.euractiv.fr/sections/energie/les-centales-nucleaires-sont-aussi-exposees-aux-cyber-attaques-318410

[34] http://www.lajauneetlarouge.com/article/faut-il-des-surdoues-pour-exploiter-les-centrales-nucleaires#.Vj-Q7fkveUk

[35] http://www.lemonde.fr/economie/article/2015/09/14/colere-des-salaries-d-areva-devant-le-gachis-industriel_4756739_3234.html

[36] http://www.lemonde.fr/planete/article/2012/07/25/nucleaire-les-infractions-d-edf-au-droit-du-travail_1738050_3244.html ; http://www.dissident-media.org/infonucleaire/rationalite_instrumentale.html

[37] http://www.sortirdunucleaire.org/Securite-des-travailleurs-un-medecin-du-travail

[38] http://www.liberation.fr/futurs/2007/03/15/le-suicide-apparait-comme-un-acte-ultime-de-resistance_87545

[39] http://energie-climat.greenpeace.fr/nucleaire-une-industrie-en-faillite

[40] http://www.iea.org/newsroomandevents/news/2015/august/joint-iea-nea-report-details-plunge-in-costs-of-producing-electricity-from-renew.html

[41] http://www.lemonde.fr/idees/article/2015/06/05/areva-la-faillite-d-une-ambition-nucleaire_4648123_3232.html

[42] http://energie-climat.greenpeace.fr/tres-cher-nucleaire ; http://www.reporterre.net/Le-nucleaire-coute-de-plus-en-plus

[43] http://www.acqualys.fr/page/pourquoi-les-tarifs-et-le-prix-de-l-electricite-vont-augmenter

[44] http://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/021420800156-comment-edf-espere-baisser-le-cout-du-nouveau-nucleaire-1167896.php

[45] http://www.liberation.fr/futurs/2015/09/22/les-energies-renouvelables-sont-competitives-dans-la-plupart-des-zones-du-globe_1387656

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