L'Assemblée générale du Réseau Sortir du nucléaire se tiendra le 31 janvier et 1er février prochain à Dijon. Les groupes adhérents de ce qui se présente désormais comme une association ont reçu aujourd'hui les documents préparatoires. Tout y est : les rapports moraux et financiers, les candidatures au Conseil d'administration et différents documents plus édifiants les uns que les autres au premier rang desquels, celui intitulé évolutions organisationnelles apportées depuis la crise interne de 2009-2010. La lecture de ce texte vaut le détour. On y voit à quelle point la forme l'emporte sur le fond. A grand renfort de détails nous est expliqué comment le fonctionnement du Réseau s'est amélioré. Mais qu'en est-il de son efficience globale ?
Non seulement la question mérite d'être posée mais elle appelle une réponse argumentée. Peut-on dire aujourd'hui que le Réseau est plus efficient qu'à l'époque où Stéphane Lhomme bravait l'industrie de l'atome ? Peut-on dire que le Réseau est plus pertinent qu'à l'époque où Didier Anger était administrateur ? Je crains que non. Ma courte expérience rue Dumenge, quand je fus six mois durant administrateur, m'amène à penser que le Réseau ne sait plus ni où il va ni comment y aller[1]. La machine fonctionne au coup par coup au grès des circonstances et des caprices du prince.
On a du mal à percevoir une stratégie dans la durée et des objectifs clairement identifiés. Ainsi le pire et le meilleur coexistent. Un exemple me parait significatif de cette contradiction. D'une part le Réseau a fait le choix de mener une guerre juridique contre les exploitants avec le soutien des associations locales les plus compétentes. D'autre part, il s'est positionné de manière caricaturale contre le Débat public Cigéo et n'a pu exiger une expertise complémentaire comme nous avions pu le faire en 2010 à l'occasion du débat public sur le projet EPR à Penly[2]. L'organisation antinucléaire reste le cul entre deux chaises puisqu'en dernier recours, du point de vue de la rue Dumenge, il faut faire plaisir à certains sans risquer de trop décevoir les autres.
Nous sommes donc en présence d'un système autobloquant. Il faut dire que le contexte n'est guère porteur. Quand on voit l'audace des prises de position des partis politiques écologistes sur le nucléaire, il y a de quoi pâlir. Je reste tétanisé par l'engouement d'EELV pour une loi de transition énergétique qui succombe aux sirènes de la croissance verte. Les textes en débat à Ensemble !, organisation dont je me suis un temps rapproché, me laissent perplexes. Quand le nucléaire est considéré comme un simple point de divergence, on peut se poser des questions[3]...
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Toujours est-il qu'aujourd'hui, il s'agit de tirer un trait sur les errements des années 2010-2014 pour s'engager pleinement dans la mobilisation face à l'urgence climatique. Chacun sait qu'il ne peut y avoir de transition énergétique sans sortie du nucléaire. Pour cela faut-il encore que le mouvement antinucléaire soit puissant, efficient et résolu.
Il incombe une lourde responsabilité aux délégués des associations antinucléaires qui vont se rendre fin janvier à Dijon. La première d'entre elle est de refuser les diktat d'un Conseil d'administration qui se prétend en capacité de qualifier telle ou telle motion d'irrecevable. Le sketch n'a que trop duré. L'assemblée générale est souveraine. Il revient à chacun, en fonction des mandats dont il est porteur, de voter ou non une proposition.
L'étau a été desserré au cours des deux assemblées générales précédentes. Mais la même tentation demeure. Au prétexte d'une inconsistante majorité au conseil d'administration, quelques uns se croient en capacité de dicter les destinées du Réseau. Ils ont pu bloquer l'an dernier le processus de refondation plébiscité à Reims grâce à quelques artifices de procédure. Cette année le carcan doit sauter. Deux gros chantiers se présentent aux délégués de Dijon : relancer la réflexion sur la régionalisation de Sortir du nucléaire qui lui rende son identité de réseau et finaliser la nécessaire réhabilitation des administrateurs historiques écartés en 2010 par une assemblée générale médusée[4].
Ce ne sont pas là des caprices mais des nécessités impérieuses au vu des défis qui se présentent face à nous. Le mouvement antinucléaire est fragilisé par une trop grande rigidité et un centralisme excessif. On a en quelque sorte une tête hypertrophiée et un corps en souffrance[5]. Ce qu'il convient d'opérer aujourd'hui est de remettre le Réseau sur ses pieds... les pieds sur terre. Pour ce faire les groupes ont besoin de moyens en particulier humains pour réaliser la mission de surveillance citoyenne des installations nucléaires de base. C'est en effet au plus près des centrales que le refus du nucléaire doit se construire et se renforcer. C'est au plus près des centrales que les militants antinucléaires doivent œuvrer en s'attaquant aux cynismes locaux de l'industrie nucléaire et s'efforcer de convaincre que cette industrie n'a jamais apporté aucun salut aux territoires.
C'est aussi une question de réactivité. Comment depuis Lyon répondre à d'innombrables sollicitations et espérer à la multitude d'événements significatifs qui donnent à voir la faiblesse du nucléaire ? L'efficience est ailleurs. Des coordinations régionales sont déjà l'œuvre et d'autres se renforcent comme par exemple ici où les coopérations entre normands et bretons se développent. Le Réseau Sortir du nucléaire devrait ainsi reposer sur l'initiative de secteurs géographiques et thématiques autonomes. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas mutualiser les moyens et mettre en commun certaines taches. Loin de là. Des institutions fédérales ne se substituant jamais à la base sont nécessaires, en particulier un service juridique puissant et ce qui devrait plus ressembler à une agence de presse antinucléaire qu'à un porte-parolat.
En fait ce qu'il faut reconstruire aujourd'hui c'est un réseau souple et agile qui sache faire face aux urgences en tout lieu de Brennilis à Fessenheim, de Gravelines au Tricastin. Trop de zones sont aujourd'hui en déshérence. Il faut urgemment aller y consolider un tissus antinucléaire vigilant. Nul territoire ne doit être laissé au lobby de l'atome.
Nul argument ne doit être non plus abandonné. Est là une autre faiblesse du Réseau actuel. Je déplore la faiblesse de la communication depuis que les administrateurs historiques ont du laisser leur siège. Si un Conseil d'administration est nécessaire c'est notamment pour proposer des orientations claires à une équipe salariée dont les compétences et le dévouement sont avérés. Il conviendrait de renouer aujourd'hui avec le souci de développer une expertise autonome du mouvement antinucléaire. Le Réseau a eu trop tendance à externaliser l'intelligence depuis 2010 en s'en remettant à Négawatt ou à Global Chance. Ces organisations sont certes des partenaires et amies mais leur objet n'est pas strictement le même que le nôtre. La critique du nucléaire ne saurait résumer au seul problème énergétique.
Il y a assez de compétences et d'expériences au sein du Réseau pour traiter de sujet qui peuvent paraître complexes de prime abord mais qui permettent d'expliquer l'absurdité de l'usage à des fins militaires ou énergétiques de l'atome. Les sympathisants et les acteurs du mouvement antinucléaire attendent du sens, des informations c'est à dire un vrai travail d'analyse qui permette de convaincre autour de nous que la sortie du nucléaire n'est pas une simple possibilité mais une nécessité immédiate.
Je ne prendrai qu'un exemple qui alimente aujourd'hui le débat entre quelques groupes qui ont pris l'habitude de travailler ensemble. On attend encore une analyse antinucléaire du collapsus financier qui touche AREVA :
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Les analyses économiques sont nombreuses[6]. Le Réseau se contente de les reprendre sans chercher à développer une réflexion singulière sur les causes et les conséquences de ce phénomène[7]. Tout au plus l'effort se limite à trouver un titre accrocheur.
Est-il utopique d'imaginer un Réseau qui ne se contente pas de solliciter les cotisations de ses adhérents mais leur propose des espaces de travail collaboratif pour produire de l'intelligence collective afin de renforcer la puissance de notre revendication ? Le nucléaire est une catastrophe économique surtout quand les deniers de l'Etat viennent à manquer. Les chiffres parlent d'eux-mêmes ici et Outre-Atlantique. Serait-ce que le soutien indéfectible au nucléaire a contribué à fragiliser les finances publiques au fil de plusieurs décennies d'exploitation subventionnée ? Serait-ce que le nucléaire est désormais une folie hors de prix à laquelle la plus élémentaire prudence comptable commande de renoncer ? La commission d'enquête Brottes-Baupin n'a pas osé affronter ce problème. Ne revenait-il pas au Réseau Sortir du nucléaire de produire cette expertise citoyenne ? Il faut savoir convaincre quiconque même ceux et celles qui sont a priori les plus éloignés de nos idées.
Le Réseau pour ce faire ne saurait exclure quiconque. Voilà pourquoi en dernière instance, il faut enfin à Dijon purger la faute de 2010. Le mouvement antinucléaire a besoin de tous et de toutes et non pas de pratiquer un ostracisme systématique contre certain(e)s. La revendication d'arrêt immédiat fait partie de la culture antinucléaire. Pourquoi la censurer ? Je rêve d'un mouvement antinucléaire qui sache articuler des discours distincts mais compossibles. Ce n'est pas un problème de radicalité ou d'intransigeance. La sortie progressive n'est au mieux qu'un pis-aller qui peut satisfaire un argumentaire politique voire électorale mais qui ne peut en aucun cas répondre à l'indignation de millions de personnes qui ne comprennent pas comment le génie humain a-t-il pu un jour imaginer que l'atome soit une arme ou une chaudière...
Il ne faut jamais confondre la tactique et la stratégie. Notre objectif commun n'est-il pas l'abolition complète des armes et des centrales nucléaires ? Alors pourquoi donc en rester en deçà de ce qui est nécessaire ? Nous devons avoir la force collective de rappeler sans cesse qu'il faut mettre un terme au nucléaire ici et maintenant ne serait ce que pour faire face à l'urgence climatique. Cela revient pour moi à être simplement antinucléaire et à affirmer cet engagement que ce soit dans la rue, à l'occasion d'actions plus spécifiques tels des prélèvements avec l'ACRO ou dans les salles de réunion de l'ANCCLI.
Le mouvement antinucléaire comme la Révolution française est un bloc. Cherchez à le diviser est une faute. Le sursaut nécessaire que j'appelle de mes vœux impose donc clairement de renouveler le Conseil d'administration. C'est pour cela que j'apporte tout mon soutien à ceux et celles qui se présentent cette année aux suffrages de l'AG en faveur d'une refondation authentique. Un autre réseau est possible si ceux et celles qui sont attachés à l'organisation d'un Congrès pour le renouveau du mouvement antinucléaire sont élus. Les inscriptions sont ouvertes à tous les groupes adhérents du Réseau jusqu'au 18 janvier 2015. Un réel changement est possible afin que le Congrès que chacun attend ait lieu cette année. Le plus tôt sera le mieux. Nous avons tant à faire. Pour ma part je ne viendrai pas à Dijon. Les affaires internes du Réseau m'ont épuisé. Cela ne signifie en rien que je suis indifférent à ce qui se passe.
Nous nous retrouverons au Congrès camarades
[1] http://www.reporterre.net/Le-Reseau-Sortir-du-nucleaire-2428
[2] http://cpdp.debatpublic.fr/cpdp-penly3/DOCUMENTS/EXPERTISE_COMPLEMENTAIRE.HTM
[3] https://www.ensemble-fdg.org/content/se-mobiliser-pour-la-justice-climatique
[4] http://reseau.democratie.free.fr/proces-putsch.htm
[5] http://www.reporterre.net/Des-antinucleaires-appellent-a
[6] http://www.lefigaro.fr/societes/2014/11/18/20005-20141118ARTFIG00397-en-crise-areva-decrete-l-etat-d-urgence.php ; http://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/0203948444237-nucleaire-areva-senfonce-un-peu-plus-dans-la-crise-1065673.php ; http://www.usinenouvelle.com/editorial/mal-en-point-areva-suspend-ses-perspectives-financieres.N297753
[7] http://www.sortirdunucleaire.org/La-sante-financiere-d-Areva-C-est-Tchernobyl