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Billet de blog 10 janvier 2016

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EPR : un arrêté qui tombe à pic mais qui ne résout rien

Avec le nucléaire, il faut toujours s’attendre tout. Le 3 janvier 2016, un arrêté vient modifier des règles applicables aux équipements sous pression nucléaires (ESPN), tels que les cuves des réacteurs nucléaires. Ce texte peut permettre le démarrage de l'EPR quels que soient les défauts de la cuve. Mais dans le même temps il apporte des moyens à l'ASN pour refuser la dérogation demandé par EDF.

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Nous l’avons vu précédemment, EPR et EDF font face à un problème de taille. La cuve du réacteur EPR est l’objet de doutes fondés. La qualité des aciers et des erreurs commises lors de la fabrication de cet imposant équipement remettent en cause l’exploitation de ce réacteur présenté longtemps comme le plus sûr au monde.

Face à ces révélations, la réaction de l’Etat n’a pas tardé. Par la voix de Ségolène Royal, le gouvernement s'est contenté d'évoquer des « ajustements de travaux » et une ouverture « sans doute repoussée d'une année » selon EDF. Le réacteur « n'est pas condamné », a-t-elle ajouté[i].

Ces paroles ne sont pas anodines. Si le gouvernement salue le travail de l’Autorité de sureté nucléaire, il entend conserver en dernier recours la capacité d’autoriser une installation quelles que soient les problèmes qu’elle pose. La Ministre n’a pas dit autre chose en avril dernier. « Les Français peuvent être rassurés au sens où l'ASN dit les choses », a estimé la ministre, vantant un « système français transparent (...), et ça, c'est quand même un progrès extraordinaire ». « Cela permet au Parlement de faire des auditions, au gouvernement d'exiger des évaluations, des tests complémentaires, ce qu'Areva s'est engagée à faire », a-t-elle poursuivi[ii].

Et au final, la Ministre ferme le ban. Ce qui se passe à Flamanville n’a rien d’étonnant et les travaux peuvent se poursuivre. « Ce sont des travaux extrêmement complexes (...) et comme dans tous les travaux industriels, même ceux menés en dehors de la filière nucléaire, il y a des ajustements en cours de travaux[iii] ». Selon la ministre de l'Écologie, « la clarification est faite, les choses sont dites, il y a un complément d'examens, de tests qui va avoir lieu, dont les résultats seront rendus publics à l'automne prochain, et ensuite les travaux reprendront. » On est là très loin des déclarations qu’elle faisait lors de la primaire socialiste de 2007[iv]

Il fallait coute que coute rassurer les partisans de la nucléarisation du mixe énergétique français. L'action du gouvernement ne s'arrêtait cependant pas là. Plus discrètement, il modifiait à la lumière de ce nouvel enjeu le droit nucléaire.

Une décision prise en toute discrétion avant la Saint-Sylvestre donne à voir le souci de l’Etat de ne pas abandonner EDF et AREVA. Alors que les doutes sur la cuve sont de plus en plus sérieux, le gouvernement se permet de changer les règles du jeu comme l’a justement remarqué l’Observatoire du nucléaire[v].

L’arrêté publié le 3 janvier 2016 vient compléter, selon Stéphane Lhomme, le projet des autorités françaises d’autoriser EDF à utiliser l’EPR malgré les graves défauts de la cuve[vi]. Cet arrêté précise explicitement que « l’Autorité de sûreté nucléaire peut (…) autoriser l’installation, la mise en service, l’utilisation et le transfert d’un équipement sous pression nucléaire ou d’un ensemble nucléaire n’ayant pas satisfait à l’ensemble des exigences règlementaires ». Il s’agirait clairement d’une mesure prise pour permettre la validation de la cuve de l’EPR.

Ce constat est tout à fait fondé même si les choses sont bien évidemment plus complexes. Comme le souligne Actu-Environnement[vii], les dispositions de ce nouvel arrêté ne concerne pas spécifiquement l’EPR mais l’ensemble du parc nucléaire à l’heure où l’exploitant veut s’engager dans de lourds travaux pour en prolonger l’exploitation. En quelque sorte nous avons affaire à un dépoussiérage réglementaire qui concerne plus particulièrement des régimes dérogatoires déjà en vigueur[viii]. En effet « les dispositions transitoires initialement prévues par l'arrêté du 12 décembre 2005 (…) n'ont pas été suffisantes pour permettre la transition entre l'ancienne et l'actuelle réglementation[ix]. »

Le 8 décembre 2015, l’Autorité de Sureté nucléaire a donc rendu un avis favorable[x]. Elle considère que cet arrêté instaure notamment « une possibilité pérenne de dérogation permettant de traiter, au cas par cas, des difficultés de respect des exigences de la réglementation. » La seule remarque formulée par Montrouge concerne la prise en compte de certaines recommandations Commission centrale des appareils à pression arrivées après le bouclage du texte par les services de l’Etat…

On est bien en présence d’une séquence très singulière. Après un premier décret publié en juillet 2015[xi], on peut considérer que le droit nucléaire progresse rapidement ces derniers temps. A l’issue d’un long travail d’élaboration dont témoigne Sylvie Cadet-Mercier de l’IRSN dans une interview à l’AFP[xii], le législateur vient combler quelques incertitudes et préciser les procédures applicables à des cas très particulier.

Reste que l’on peut s’étonner que les délais accordés par le texte soient très larges. Les principales dispositions proposées ne seront applicables qu’en juillet 2016 voire 2019. Comme le souligne Philippe Collet, « finalement, le texte publié repousse de deux ans et demi la date envisagée à l'automne : L'ASN peut adapter par décision les dispositions [relatives à la conformité] pour certains ESPN, parties d'ESPN et ensembles nucléaires dont la fabrication a commencé avant le 31 décembre 2018[xiii]. La procédure est similaire à celle du régime dérogatoire répondant aux difficultés ponctuelles[xiv]. »

Mais cela est un fait très banal. Chacun sait que les intérêts industriels exercent toujours une forte pression sur le législateur pour disposer de délais « acceptables ». Toujours est-il que l’arrêté en question sera applicable à compter du 19 juillet 2016… c’est-à-dire à l’issue du programme d’essai proposé par AREVA[xv]. L’arrêté tombe à pic en quelque sorte. Il vient apporter des outils effectifs à l’ASN et plus particulièrement au courrier de position adressé à AREVA par Pierre Franck Chevet le 14 décembre 2015 :

« Je considère donc que l’exigence de qualification technique n’est pas respectée et que vous n’avez pas fait le choix de la meilleure technique disponible pour la réalisation des calottes de la cuve de l’EPR. Vous devrez en conséquence déposer une demande au titre de l’article R. 557-1-3 du code de l’environnement. Cette demande devra être justifiée au regard de solutions alternatives telles que le remplacement du fond de cuve et la fabrication d’un nouveau couvercle, et devra intégrer des mesures compensatoires vis-à-vis de l’impact de ces écarts sur le premier niveau de la défense en profondeur. »

L’arrêté du 30 décembre 2015 précise non seulement la procédure dérogatoire prévue le décret du 1er Juillet 2015 mais il définit clairement les compétences de l’Autorité de sureté. Comme le déclare un spécialiste indépendant de l’industrie nucléaire, sollicité pour mieux comprendre ce qui est en jeu, « la procédure étant maintenant définie, il reste à l’appliquer. »

Tout au plus on peut considérer que cet arrêté propose une porte de sortie à l’exploitant nucléaire. Il pourrait le cas échéant disposer d’une dérogation pour exploiter un réacteur qui ne présente pas les garanties de qualité définies par la réglementation en vigueur. L’EPR sera au mieux le canard boiteux d’un parc nucléaire obsolète et dangereux… preuve ultime que le nucléaire est une impasse technologique et économique.

En effet, rien ne garantit que la cuve, à l’issue du programme d’essai, corresponde aux attentes d’un dossier de dérogation défini par l’arrêté en question. Si l’article 9 de l’arrêté permet à l’ASN d’autoriser un équipement ne satisfaisant pas aux exigences des articles L. 557-4 et L. 557-5 du Code de l’environnement, il renvoie par ces deux références à des exigences sur la conformité (de conception, fabrication, performance, etc.). Des exigences de sureté restent opposables à l’utilisation de la cuve. En effet « la demande [de dérogation] doit être accompagnée d'une analyse, menée en lien avec l'exploitant, des conséquences réelles et potentielles vis-à-vis de la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 593-1 du code de l’environnement ».

Or cet article L. 593-1[xvi], premier du chapitre consacré aux INB, est celui qui définit l’ensemble des risques à prendre en compte dans la démonstration de sûreté des INB. Très concrètement si Areva n’est pas en mesure de produire techniquement une justification sérieuse que la rupture de la cuve peut être écartée dans toutes les situations possibles, l’ASN ne pourra pas accorder la dérogation.

A ce jour cette démonstration est en aucun cas acquise d’autant plus qu’une rupture de la cuve aura des conséquences terribles compte tenu des choix technologiques faits par AREVA et EDF à Flamanville[xvii]. Toute une série d’éléments publiés par l’ASN et l’IRSN laissent penser que la cuve a décidément été ratée et qu’il ne sera pas envisageable d’exploiter à un stade industriel un réacteur aussi fragile que l’EPR de Flamanville. Bien loin d’avoir affaire ici à une « tête de série » tout porte à croire qu’on est en face de la « queue de comète du nucléaire français »…

Le jeu reste donc ouvert. S’il apparait, à l’issue des essais, que les défauts menacent l’intégrité de la cuve aucune dérogation ne pourra être accordée. Flamanville III ne pourra être autorisé de quelque manière que ce soit au vu des risques ou inconvénients que ce réacteur représente déjà pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques, la protection de la nature et de l'environnement.

C’est au final une très lourde responsabilité qui pèse sur les épaules de l’ASN. Chacun espère qu’elle mène à son terme cette mission à l’abri des pressions toujours puissantes dès qu’il s’agit de nucléaire. En tout cas, elle devra justifier ses choix très précisément…


[i] http://www.lemonde.fr/planete/article/2015/04/20/l-epr-de-flamanville-n-est-pas-condamne-assure-royal_4618890_3244.html

[ii] http://www.lepoint.fr/politique/segolene-royal-l-epr-de-flamanville-n-est-pas-condamne-20-04-2015-1922774_20.php

[iii] http://www.20minutes.fr/planete/1590595-20150420-epr-condamne-segolene-royal

[iv] http://www.sortirdunucleaire.org/Segolene-Royal-veut-rouvrir-le

[v] http://leblogdejeudi.fr/une-decision-politique-annule-les-defauts-de-la-cuve-de-l-epr-de-flamanville/

[vi] http://www.observatoire-du-nucleaire.org/spip.php?article307

[vii] http://www.actu-environnement.com/contact/philippe-collet/

[viii] Article R557-1-3 créé par DÉCRET n°2015-799 du 1er juillet 2015 - art. 1

L'autorité administrative compétente au sens de l'article R. 557-1-2 peut, sur demande dûment justifiée, autoriser sur le territoire national la mise à disposition sur le marché, le stockage en vue de la mise à disposition sur le marché, l'installation, la mise en service, l'utilisation, l'importation ou le transfert de certains produits et équipements sans que ceux-ci aient satisfait à l'ensemble des exigences des articles L. 557-4 et L. 557-5 et du présent chapitre, ou accorder des aménagements aux règles de suivi en service prévues par le présent chapitre, dans des conditions fixées par un arrêté pris, selon les cas mentionnés à l'article R. 557-1-2, par le ministre chargé des transports de matières dangereuses, le ministre de la défense, le ministre chargé de la sûreté nucléaire ou le ministre chargé de la sécurité industrielle. 

Ces autorisations et aménagements peuvent être temporaires. L'autorité administrative compétente fixe toute condition de nature à assurer la sécurité du produit ou de l'équipement dans le cadre de ces autorisations et aménagements. 

Le silence gardé pendant plus de six mois sur une demande d'autorisation ou d'aménagement vaut décision de rejet.

[ix] http://www.actu-environnement.com/ae/news/cuve-epr-flamanville-areva-derogations-difficultes-espn-conformite-25992.php4

[x] http://www.asn.fr/Reglementer/Bulletin-officiel-de-l-ASN/Avis-de-l-ASN/Avis-n-2015-AV-0249-de-l-ASN-du-8-decembre-2015

[xi] http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexteArticle.do;jsessionid=7AA92A0DF67BA557E0E007DDF987E2F8.tpdila18v_1?cidTexte=JORFTEXT000030829769&idArticle=LEGIARTI000030831120&dateTexte=20150703

[xii] http://information.tv5monde.com/en-continu/des-derogations-possibles-concernant-les-equipements-sous-pression-nucleaire-79920

[xiii] Article 12 arrêté du 30 décembre 2015 relatif aux équipements sous pression nucléaires

Sur demande dûment justifiée notamment en ce qui concerne la prévention et la limitation des risques, l’Autorité de sûreté nucléaire peut adapter par décision les dispositions définies dans le titre II du présent arrêté pour certains équipements sous pression nucléaires, parties d’équipements sous pression nucléaires et ensembles nucléaires dont la fabrication a commencé avant le 31 décembre 2018. Cette décision peut porter sur des équipements, parties d’équipements ou ensembles identifiés, sur des équipements, parties d’équipements ou ensembles fabriqués par un fabricant ou sur des équipements, parties d’équipements ou ensembles destinés à un exploitant ou une installation.

L’attestation, le certificat ou le procès-verbal délivré à la fin de la procédure d’évaluation de la conformité et la déclaration de conformité du fabricant référencent cette décision

[xiv] Actu-environnement, op. cit.

[xv] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Cuve-de-l-EPR-de-Flamanville-3-nouveau-programme-d-essais

[xvi] Article L593-1 créé par l’Ordonnance n°2012-6 du 5 janvier 2012 - art. 3

Les installations nucléaires de base énumérées à l'article L. 593-2 sont soumises au régime légal défini par les dispositions du présent chapitre et du chapitre VI du présent titre en raison des risques ou inconvénients qu'elles peuvent présenter pour la sécurité, la santé et la salubrité publiques ou la protection de la nature et de l'environnement.

[xvii] http://www.irsn.fr/FR/expertise/avis/avis-reacteurs/Pages/Avis-IRSN-2014-00403-EPR.aspx#.VpKqBxXhCUk

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