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Billet de blog 16 septembre 2016

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EPR : Marché de dupe pour un réacteur défaillant

L’information a circulé en boucle sur tous les médias ce jeudi 15 septembre 2016 : Theresa May a finalement donné son feu vert au projet très controversé d’Hinkley Point. Les réactions n’ont pas tardé. Bien peu ont abordé la question technique. Quelle que soit la résolution des nucléocrates force est d'admettre que l'on ne sait pas construire un EPR...

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Nucléocrates, nucléophiles et autres nucléogogos n’ont cessé de chanter les louanges de l’EPR ce jeudi 15 septembre 2016[1]. Il faut dire que la vente d’un réacteur est une chose suffisamment rare pour être soulignée surtout que ce n’est jamais que le 4e réacteur dit de 3e génération qui sera construit hors de France par le couple EDF-AREVA. Bien évidemment le gouvernement qui promit un temps de baisser la part du nucléaire dans le mixe énergétique s’est félicité de cette annonce. Ce cher rapporteur de la loi travail, désormais ministre de l’industrie, n’a pas pu cacher sa satisfaction :

« On est très satisfait. Bien sûr, cela affirme l'excellence française dans le domaine de la filière nucléaire. C'est quand même la première commande en Europe depuis Fukushima (...). Cela valide l'engagement du gouvernement français de refondation de la filière nucléaire et puis cela crédibilise à la fois notre savoir-faire et (...) nos excellentes relations avec les Britanniques. Et, au bout du compte, c'est 4.500 emplois" en France, a-t-il souligné[2]. »

Or les choses ne sont pas aussi simples que les thuriféraires de l’atome le disent. La presse économique, toujours très attentive aux questions énergétiques, s’est empressée de nuancer l’information. Ce n’est jamais qu’un accord « sous condition » auquel Londres a concédé[3]. Un accord qui ne lève pas toutes les incertitudes qui entourent encore le projet. Beaucoup dans la très libérale Albion ne digère pas le prix du kWh garanti au consortium franco-chinois[4] qui pourrait construire les EPR[5].

« Si tout fonctionne comme prévu, EDF attend d'Hinkley Point 3 milliards d'euros d'Ebitda par an (à comparer à 16,5 milliards d'euros prévus en 2016). Mais les agences de notation ont prévenu qu'un feu vert pourrait entraîner une nouvelle dégradation de la note de crédit d'EDF. « Le projet de Hinkley Point est, du fait de son ampleur et de sa complexité, de nature à détériorer le profil de risques à la fois commercial et financier d'EDF, dans la mesure où le bilan du groupe devra assumer les conséquences financières d'une très longue phase de construction au cours de laquelle cet investissement ne générera pas de trésorerie », a déjà réagi Moody's[6]. »

Mais c’est sans conteste l’ancien directeur financier d’EDF qui porte les coups les plus sévères à la poursuite du projet Hinkley Point. « Qui parierait 60 % ou 70 % de son patrimoine sur une technologie dont on ne sait toujours pas si elle fonctionne, alors que cela fait dix ans que l’on essaie de la construire ?» avait déclaré Th. Piquemal lors de son audition à l’Assemblée[7]. » En dépit de conditions très favorables concédées par les Britanniques[8], le risque est en effet colossal pour l’opérateur énergétique de l’Etat français[9]. Ce qui n’est pas sans inquiéter les agents de ce qui fut une entreprise publique[10]

Pour autant, il ne faudrait pas en rester aux seuls aspects financiers[11]. Si Hinkley Point est aussi un projet suicidaire et absurde sur le plan technique[12]. Comme le donne à voir the Guardian aujourd’hui, même les nucléophiles anglais se défient du projet EPR[13] :

« There are several problems with the Hinkley C proposal but the most immediate is this: it could be unbuildable. We all know by now of the delays, debacles and disasters that have beset attempts to construct the only two plants of the same kind, at Olkiluoto in Finland and Flamanville in Normandy. The evidence suggests that these are not just bad luck but an inherent outcome of the fabulously complex design. As Tony Roulstone, who runs the masters programme in nuclear engineering at Cambridge, has argued, the plan for Hinkley C is like “building a cathedral within a cathedral”. »

Force est de reconnaître que sur ce point ils n’ont pas tort même si on peut regretter leur passion pour l’atome. L’EPR est une machine trop grosse, trop complexe que personne ne sait fabriquer. L’affaire de la cuve[14] et celle des dossiers barrés d’AREVA[15] nous le rappelle clairement.

C’est ce dont il a été question aujourd’hui dans les locaux de l’ASN à Montrouge. Le dialogue technique demandé par l’ANCCLI se poursuit et permet un réel débat entre la société civile, les industriels, l’autorité de contrôle et son appui technique.

Il faut avouer que cette séance a été des plus riches. Défauts et défaillances des contrôles internes chez les industriels sont apparus au grand jour puisqu’aux anomalies de la cuve de l’EPR[16] et des générateurs de vapeur équipant 18 réacteurs[17], il faut bel et bien ajouter des irrégularités sur de nombreuses pièces assemblées sur 19 installations reconnues aujourd’hui par l’industriel[18]. On est donc en présence de deux séries de problèmes distincts mais qui de fait se cumulent[19].

Non seulement la fabrication de nombreux équipements sous pressions n’a pas été faites selon les règles de l’art. L’exemple du générateur de vapeur de FES2 l’illustre clairement[20]. Mais les contrôle qui doivent être effectués n’ont pas été correctement réalisés et certains résultats n’ont pas été reportés dans la documentation imposée par la réglementation en vigueur. Ce ne sont pas moins de 400 dossiers qui présentent de telles « incohérences[21] ». Et d’aucuns parlent de falsifications[22].

Cela n’est pas nouveau dans une industrie qui se veut pourtant exemplaire. Les exemples de tels dysfonctionnement sont innombrables en France mais aussi à l’étranger. Selon Roger Spautz de Greenpeace, en 2002 au Japon une enquête établit que des pièces défectueuses, notamment des cuves fissurées, étaient présentes sur quelques 17 réacteurs suite à quelques habiles dissimulations par des industriels. En 2012, en Corée du Sud, on découvre que 277 dossiers concernant les systèmes de câblage des réacteurs ont été pour ainsi dire maquillés.

En France, AREVA a dû reconnaître que 87 dossiers sont pour le moins problématiques. Ils touchent 24 réacteurs en service. 23 dossiers ne respectent pas les exigences qualité d’EDF ou des codes de l’AFCEN[23]. Rien qu’à Flamanville 3 (EPR) on compte 19 dossiers irréguliers dont 1 concerne le couvercle de la cuve. A cela il faut ajouter 27 problèmes concernant des colis de transports. Tous ces dossiers ne présentent bien évidemment pas les mêmes problèmes et certains ne sont pas très grave. Mais il n’y a pas là de quoi être rassuré quelle que soit la ritournelle entonnée en cœur par les partisans de l’industrie atomique[24].

Il existe donc un peu partout dans le parc nucléaire en exploitation mais aussi sur les différents chantiers en cours (EPR et Grand Carénage) des équipements dont on peut douter de la robustesse, de la capacité à faire face à des événements exceptionnels ou des défauts de conduite. Pourraient-ils résister à des chocs thermiques brutaux dans la durée ? Peuvent-ils faire face à des transitoires un peu brusques ? Quel serait leur comportement en situation dégradée voire dans un contexte accidentel ? Le nombre des questions que l’on est en droit de se poser est colossal.

Or il faut bien avouer que personne ne peut répondre à toutes. Ni l’industriel, ni l’exploitant et encore moins l’autorité de contrôle _ au vu des moyens dont elle dispose _ ne le peuvent (à moins bien évidemment de réaliser des études destructives sur chaque équipement). Et c’est donc un doute immense qui ne peut qu’envahir toute personne attentive au réel du nucléaire. On n’est pas là dans l’idéologie ou la dénonciation morale des risques atomiques mais bel et bien en face d’une situation inquiétante.

La croyance en un nucléaire sûr vole de fait en éclat. Trop d’éléments présentes des incertitudes pour garantir une robustesse suffisante. Et cela touche plus encore les installations récentes. L’industrie nucléaire n’a décidément rien appris de ses erreurs passées. Ainsi les EPR concentrent un nombre invraisemblable de pièces présentant anomalies et autres irrégularités. Alors que cette technologie était présentée comme la plus solide, elle n’a finalement donné lieu qu’à une machine fragile et défaillante qui ne répondra que très imparfaitement aux exigences qui ont justifié sa conception. Quand on pense aux milliards d’euros dilapidés pour en arriver là, il y a de quoi palir…

Le nucléaire est non seulement hors de prix mais hors d’atteinte techniquement !

On ne sait pas faire. Il serait temps de le reconnaître plutôt que reprendre l’éternelle ritournelle sur l’excellence industrielle française à la manière de Ch. Sirugue :

"Le projet contribuera au maintien des compétences de notre industrie dans la perspective du renouvellement du parc nucléaire français et de la montée en puissance des énergies renouvelables dans notre pays. Il sera fortement fédérateur pour l’ensemble des industriels de la filière. Il constituera une référence majeure à l’international", commente Christophe Siruge, secrétaire d’Etat à l’Industrie[25].

Belle référence internationale quand on sait que les Chinois ont renoncé depuis longtemps à prévoir une date pour le chargement en combustible des EPR de Taïshan au vu des innombrables problèmes rencontrés là-bas aussi sur le chantier[26]. Bien évidemment, des doutes sur la qualité de la cuve et des autres équipements sous pression existent tout autant dans le Guangdong que dans la Manche.

Loin de rassurer la technologie française inquiète d’autant plus que les résultats du programme d’essais d’AREVA sur les cuves EPR se font cruellement attendre. On peut même craindre que les délais prévus initialement ne soient pas tenus. Et ce ne sera vraisemblablement pas avant l’hiver 2017 que l’on y verra plus claire. En effet il faut bien admettre qu’AREVA peine encore aujourd’hui à prouver que les fameuses ségrégations de carbone ne dépassent pas la demi épaisseur des calottes. Le constat établit il y a de nombreuses années par la NRC reste cruellement d’actualité[27].

*

Somme toute, la décision britannique est particulièrement surprenante au vu des innombrables problèmes de conception et de construction que présente l’EPR[28].

Elle n'est pas rationnelle sur le plan technique, nous venons de la voir. Elle n’est pas rationnelle sur le plan énergétique[29]. Elle n’est pas rationnelle non plus du strict point de vue économique[30].

L’explication est donc à chercher ailleurs. L’explication la plus plausible _ reconnue à demi-mot par quelques décideurs français _ est la constitution d’une entente industrielle franco-chinoise pour partir à la conquête du marché asiatique[31]. Cela expliquerait l’insistance de la République populaire pour que le gouvernement britannique donne suite au projet d’Hinkley Point[32]. Une insistance qui a fini par convaincre Theresa May initialement plus qu’indécise sur le dossier nucléaire[33].

Hinkley Point serait donc en quelque sorte la corbeille de mariage offerte par les consommateurs britanniques pour célébrer une union purement mercantile pour vendre à l’autre bout du monde des centrales chère, inutiles et dangereuses. Cela n’est pas très glorieux et l’on peut se demander si cela pourra effectivement déboucher sur un redressement productif d’EDF voire de la France[34]

Bien des éléments portent à croire que les conséquences soient diamétralement inverses aux intentions affichées. Le premier d’entre eux est l’existence de doutes sérieux sur la résolution des pays d’Asie à se doter d’installations nucléaires à l’heure où le prix des renouvelables s’effondre.

En tout cas une chose semble certaine : avec Hinkley Point, l’enlisement de la transition énergétique risque de se poursuivre ici, le maintien en survie artificielle du nucléaire privant les énergies renouvelables et l’indispensable sobriété énergétique des moyens nécessaires pour faire face au défi du réchauffement climatique.

Et une fois encore c’est le contribuable-consommateur qui paiera la facture… sans oublier les salariés d’une industrie en faillite.

N’ont-ils pas droit, ne serait-ce que pour garantir leurs emplois et leurs revenus, à ce qu’une authentique stratégie de reconversion industrielle soit mise en œuvre plutôt que de persévérer dans une technologie défaillante ?

Disons non à l'EPR ici et ailleurs,

Tou(te)s à Flamanville les 1er et 2 octobre 2016 !


[1] http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/09/15/le-gouvernement-britannique-approuve-le-projet-de-centrale-nucleaire-d-edf-d-hinkley-point_4997937_3234.html

[2] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/hinkley-point-le-gouvernement-britannique-dit-oui-mais-599305.html

[3] http://www.lepoint.fr/economie/hinkley-point-londres-a-approuve-sous-condition-le-projet-d-edf-15-09-2016-2068516_28.php

[4] http://www.france24.com/fr/20160915-chine-edf-hinkley-point-centrale-nucleaire-teresa-may-accord-chantier-debut-travaux

[5] https://www.ft.com/content/9037d7c4-7ade-11e6-b837-eb4b4333ee43

[6] http://www.lesechos.fr/industrie-services/energie-environnement/0211289876088-hinkley-point-cinq-questions-clef-sur-le-projet-dedf-2027587.php

[7] http://www.liberation.fr/futurs/2016/09/15/hinkley-point-un-feu-vert-a-edf-et-toujours-autant-de-questions_1498341

[8] Le contrat passé avec EDF donne la part belle à l’électricien. Pour amortir ce très lourd investissement, celui-ci a obtenu des autorités anglaises que le prix du mégawatt soit de 92,5 livres (108,7 €) pendant 35 ans (durée du contrat d’exploitation des réacteurs), quel que soit le prix de marché. Le Figaro, sur son site Internet, estime que la facture sera de 100 milliards de livres (117,5 milliards d’euros) pour le consommateur…

http://www.ouest-france.fr/economie/energie/hinkley-point-pourquoi-les-anglais-ont-dit-oui-4493186

[9] https://www.mediapart.fr/journal/economie/150916/le-gouvernement-britannique-donne-son-feu-vert-au-projet-d-hinkley-point

[10] http://www.romandie.com/news/Hinkley-Point-CGT-CFECGC-et-FO-reaffirment-leur-hostilite-au-projet-en-letat/736752.rom

[11] http://www.europe1.fr/economie/hinckley-point-pourquoi-tant-de-polemiques-2847640

[12] http://www.sortirdunucleaire.org/Hinkley-Point-une-fuite-en-avant-absurde-et

[13] https://www.theguardian.com/commentisfree/2016/sep/15/nuclear-power-no-hinkley-point-yes-atomic-energy

[14] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Courriers-relatifs-a-la-fabrication-de-la-cuve-de-l-EPR-de-Flamanville

[15] http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266171/FalsificationsNucleaires.pdf

[16] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Cuve-de-l-EPR-de-Flamanville-3-nouveau-programme-d-essais

[17] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Anomalies-potentielles-sur-les-generateurs-de-vapeur

[18] http://www.areva.com/home/liblocal/docs/20160630-presentation-HCTISN.pdf

[19] http://www.hctisn.fr/IMG/pdf/1_c_a_ASN_Creusot_irregularites_detectees_cle461f77.pdf

[20] http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Fessenheim-l-ASN-suspend-le-certificat-d-un-generateur-de-vapeur

[21] http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/05/03/nucleaire-areva-n-exclut-pas-des-falsifications-sur-son-site-du-creusot_4912560_3234.html

[22] http://www.lesechos.fr/02/05/2016/lesechos.fr/021897303768_nucleaire---l-inquietant-soupcon-qui-pese-sur-areva.htm

[23] http://www.afcen.com/fr/qui-sommes-nous/nos-codes

[24] http://www.lemonde.fr/economie/article/2016/05/31/nucleaire-les-falsifications-constatees-au-creusot-ne-remettent-en-pas-en-cause-l-integrite-des-pieces-pour-areva_4929891_3234.html

[25] http://www.usinenouvelle.com/article/keep-calm-and-build-the-epr.N437607

[26] http://www.rfa.org/english/news/china/safety-03072016114147.html

[27] http://www.nrc.gov/reactors/new-reactors/design-cert/epr/overview.html

[28] http://www.sortirdunucleaire.org/EPR-de-Flamanville-le-fiasco-industriel ; http://www.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/sdn-2016-epr_de_flamanville-mettre_fin_au_fiasco.pdf

[29] http://ec.europa.eu/eurostat/statistics-explained/index.php/Renewable_energy_statistics/fr

[30] http://www.transition-energetique.org/2015/11/epr-le-cout-de-l-electricite-nucleaire-est-desormais-plus-eleve-que-celui-des-energies-renouvelables.html

[31] http://www.lefigaro.fr/societes/2015/03/11/20005-20150311ARTFIG00009-l-avenir-du-nucleaire-passe-par-l-asie.php

[32] http://www.challenges.fr/energie-et-environnement/nucleaire-pourquoi-la-chine-exhorte-le-royaume-uni-a-soutenir-hinkley-point_419092

[33] http://www.la-croix.com/Economie/Monde/Les-volte-faces-Hinkley-Point-illustrent-ligne-floue-gouvernement-Theresa-May-2016-09-15-1200789296

[34] http://www.marianne.net/nucleaire-les-tres-chers-amis-chinois-edf-100242737.html

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