En dépit des engagements du Président de la République de ramener la part du nucléaire dans le mixe électrique français de 75% à 50%, l’énergéticien français a décidé de lancer un vaste programme de maintenance des centrales nucléaires, le « Grand Carénage ». L’objectif affiché est de réaliser les opérations nécessaires à la poursuite d’exploitation des réacteurs au-delà de 40 ans[1]. La réalité est bien moins glorieuse. Après une décennie de sous-investissement dans le parc nucléaire, EDF réalise de vaste opération de maintenance afin d’intégrer les nouvelles normes de sureté définies après Fukushima.
Bien loin d’être une opération inédite, le « Grand Carénage » n’est jamais qu’une expression pour désigner la mise en œuvre des conclusions des évaluations complémentaires de sureté[2] à l’occasion de visites décennales programmées depuis longtemps[3]. Dominique Minière l’a reconnu devant la commission d’enquête parlementaire sur la filière nucléaire le 20 février 2014 :
« Il s’agit de dépenser 55 milliards d’euros d’ici 2025 pour prolonger la durée de vie des réacteurs existants de 40 à 60 ans.
Sur cette somme, 10 milliards concernent les mesures complémentaires de sûreté suite à l’accident de Fukushima. Dans les mois qui ont suivi l’accident au Japon, l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) a imposé à l’électricien historique d’équiper ses réacteurs d’un noyau dur où seront préservés des outils de sauvegarde ultime (générateurs, pompes...) ou encore l’ajout de sources froides supplémentaires. Autant de travaux qu’EDF doit mettre en place dans les années qui viennent.
20 milliards serviront à la mise à niveau des centrales lors des opérations de maintenance et des visites décennales. Lors de ces dernières, les agents de l’ASN observent de fond en comble les réacteurs et autorisent le fonctionnement pour dix ans supplémentaires (hors événements) sous conditions de travaux. Par ailleurs, 15 milliards seront consacrés au remplacement de grands composants (générateurs de vapeurs, circuits…) et 10 milliards iront "au titre d'autres projets patrimoniaux (environnement, risque incendie, risque grand chaud-grand froid)", a expliqué le responsable d’EDF[4]. »
Aujourd’hui, nous savons que la facture sera beaucoup plus lourde encore. Les magistrats de la Rue de Cambon considèrent que le « Grand Carénage » coutera au bas mot 100 Mds € notamment parce que les opérations se poursuivront au-delà de 2025[5]. WISE-Paris a publié un rapport en février 2014 qui établit un bilan plus sévère encore. Les investissements nécessaires à la prolongation de durée de vie pourraient être plus de quatre fois supérieurs à ce qu’envisage EDF pour augmenter de manière significative la robustesse des réacteurs et correspondre aux nouveaux référentiels de sûreté internationaux[6]…

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Mais là n’est pas l’objectif visé par le « Grand Carénage ». L’Etat et son opérateur énergétique, au prétexte de renforcer la sureté des installations, veulent en dernier recours garantir l’irréversibilité du nucléaire à un « cout économiquement acceptable ». Plutôt que d’investir dans la transition énergétique à la mesure des enjeux climatiques mais aussi sociaux, d’aucuns préfèrent poursuivre une stratégie industrielle qui n’a jamais été soumise à un débat démocratique digne de ce nom depuis cinquante ans[8].
Le « Grand Carénage » apparait ainsi comme une fuite en avant dans le tout nucléaire au moindre coût. Conforté par la Stratégie nationale bas carbone[9] et une Programmation pluriannuelle de l’énergie[10] dont on connait aujourd’hui les grandes lignes, EDF met chacun devant le fait accompli. Le « Grand Carénage » a déjà commencé et s’impose à tous. Même l’Autorité de sûreté nucléaire est mise devant le fait accompli. Les opérations seront réalisées quelle que soit la situation économique d’EDF[11]… puisqu’en dernier recours l’entreprise peut compter sur le soutien indéfectible de son actionnaire majoritaire[12].
Sauf qu’EDF ne maitrise plus rien. Le « Grand Carénage » donne à voir l’incapacité de l’exploitant nucléaire à organiser et mettre en œuvre de vastes opérations de maintenance dans des installations usées, dégradées et obsolètes. En raison d’une perte de savoir-faire évidente et d’ambitions disproportionnées au regard des moyens disponibles, on voit se multiplier incidents, accidents et autres défaillances.
A Paluel, le « Grand Carénage » est un fiasco complet. Initié en mai 2015, le chantier devait durer 250 jours à en croire la communication d’EDF[13]. Aujourd’hui on sait qu’il se prolongera au moins jusqu’en aout[14] vu les retards accumulés. Le « Grand Carénage » de surcroît déçoit. Les entreprises qui attendaient avec impatience ces commandes et ces marchés déchantent. « Les attentes sont déçues dans les secteurs de la maintenance ou de la mécanique, qui avaient pourtant beaucoup investi pour se préparer aux travaux, explique Céline Cudelou, déléguée générale du Groupe intersyndical de l'industrie nucléaire (GIIN)[15]. »
Mais peu importe ces « aléas ». EDF persévère envers et contre tout à mener à son terme son projet pharaonique. Avant même que le « Grand Carénage » soit terminé sur la tranche n°2, l’exploitant veut commencer les travaux sur la tranche n°1. Le 17 débutera ainsi un second « Grand Carénage » alors qu’aucun retour d’expérience n’a eu lieu….
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Au vu des nombreux incidents survenus, des retards et surcouts accumulés ici, il est urgent de suspendre immédiatement les opérations de « Grand Carénage » à Paluel. Non seulement il d’agit de reconsidérer les objectifs que s’est fixé l’exploitant nucléaire mais de mettre un terme à des opérations qui ne vont aucunement améliorer la sûreté nucléaire et la radioprotection.
Afin de justifier cette revendication, voici une analyse critique de ce qui se cache derrière l’expression « Grand Carénage ». Ce projet hors de prix n’est jamais que la conséquence d’une démarche fragile et insuffisante au regard des risques que fait peser le nucléaire sur les populations et le territoire. Plutôt que d’opérer ces travaux inutiles et imposées, il conviendrait plutôt d’envisager la mise à l’arrêt définitif des réacteurs.
dossier complet à lire
http://www.calameo.com/read/001574975d083532ef027
[1]http://energie.lexpansion.com/energie-nucleaire/nucleaire-qu-est-ce-que-le-grand-carenage-_a-32-8015.html
[2]http://www.asn.fr/Controler/Evaluations-complementaires-de-surete/Decisions-de-l-ASN/Decisions-2012-de-l-ASN
http://www.asn.fr/Informer/Actualites/Exigences-complementaires-pour-la-mise-en-place-du-noyau-dur
[3]http://www.asn.fr/Controler/Actualites-du-controle/Poursuite-de-fonctionnement/Calendrier
[4]http://www.usinenouvelle.com/article/nucleaire-le-detail-des-55-milliards-du-grand-carenage-d-edf.N242680
[5]http://www.lepoint.fr/economie/cour-des-comptes-edf-les-incertitudes-du-grand-carenage-10-02-2016-2016738_28.php
[6]http://www.greenpeace.org/france/PageFiles/266521/greenpeace-rapport-echeance-40-ans.pdf
[7]http://www.global-chance.org/IMG/pdf/ymarignacauditionan140326diaporama.pdf
[8]http://reporterre.net/Retour-sur-l-histoire-du-nucleaire
[9]http://www.developpement-durable.gouv.fr/Strategie-nationale-bas-carbone.html
[10]https://fr.scribd.com/doc/303187123/Le-document-de-presentation-de-la-programmation-pluriannuelle-de-l-energie-PPE#fullscreen
[11]http://www.europe1.fr/economie/edf-est-elle-proche-de-lexplosion-2686246
http://www.lopinion.fr/edition/economie/l-etat-actionnaire-paye-cash-difficultes-d-edf-97006
[12]http://www.lefigaro.fr/economie/le-scan-eco/explicateur/2016/02/26/29004-20160226ARTFIG00075-comprendre-le-sauvetage-d-areva.php
[13]https://www.lenergieenquestions.fr/le-grand-carenage-lance-a-la-centrale-de-paluel/
[14]http://www.paris-normandie.fr/detail_communes/articles/5264384/paluel--le-grand-carenage-de-la-tranche-2-s-achevera-fin-aout#
[15]http://www.lesechos.fr/23/09/2015/LesEchos/22029-102-ECH_nucleaire---le-calendrier-du-grand-carenage-d-edf-inquiete-les-pme.htm