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Billet de blog 25 octobre 2013

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Les transports, la face cachée de Cigéo...

Le projet d'enfouissement des déchets nucléaires à Bure entraînera immanquablement un très grand nombre de transports qui ne sont pas sans risques. Cela exposera territoires et populations à des accidents qui pourraient être évités grace à une autre manière de concevoir la gestion des substances radioactives !

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La France face à l'inflation des transports de déchets

L'élimination des déchets, qu'ils soient générés par les ménages, l'industrie ou l'agriculture, passe désormais le plus souvent par un traitement qui peut prendre différentes formes et s'organiser autour de schémas logistiques de plus en plus complexes et grands générateurs de transports. Les types d'organisations mises en place suite aux diverses réglementations dans le domaine des déchets tendent vers une diminution des quantités de déchets mises en décharges, mais génère dans le même temps plus de ruptures de charge et un recours plus important aux transports[1].

Le transport est devenu de fait un élément essentiel de la gestion des déchets au même titre que leur mode de traitement. Le coût logistique d'une tonne de déchets peut ainsi représenter jusqu'à 50 % de son coût d'élimination global. Le transport routier assure près de 97 % du volume de trafic (80 % en tonnes.kilomètres), alors que c'est le mode de transport le moins efficace, que ce soit en matière de consommation d'énergie que d'émission de polluants et de CO2. Malgré les efforts de limitation à la source, la croissance des flux de déchets transportés devraient se poursuit.

En effet, la gestion des déchets et la concentration des infrastructures de traitement autour de quelques centres de traitement importants, aboutissent au fractionnement et à la multiplication des flux[2]. Globalement, la France produit chaque année plus de 800 millions de tonnes de déchets qui se répartissent entre déchets ménagers et assimilés, déchets des collectivités locales, déchets industriels, déchets bâtiment et travaux publics et déchets de l’agriculture et des industries agro-alimentaires[3].

La production d’ordures ménagères a augmenté de plus de 97 pour cent en 34 ans, passant entre 1960 et 1995 de 220 à 434 kilogrammes en moyenne, par habitant et par an (588 kg aujourd'hui). Quant aux déchets industriels traités dans les centres collectifs, ils ont doublé entre 1985 et 1990...

Les flux de déchets totalisent au plan national un trafic important, avec plus de 514 millions de tonnes, soit environ un tiers des tonnages transportés en trafic intérieur de marchandises, et représentent plus de 22.3 milliards de tonnes-kilomètres, soit près de 15 pour cent de l'ensemble des flux domestiques.

Les déchets nucléaires sont une catégorie spécifique de déchets. Au total, plus de 1 200 sites géographiques à fin 2010 sont répertoriés. Le volume de déchets radioactifs recensés depuis le début de leur production jusqu’au 31 décembre 2010 est de 1 320 000 m3 environ soit 170 000 m3 environ de plus qu’à fin 2007. 72 % de ces déchets sont selon les données officielles déjà définitivement stockés dans les centres de l’ANDRA : les déchets TFA à Morvilliers et les déchets FMA-VC à Soulaines. Les autres sont entreposés sur les sites des producteurs dans des installations dédiées à cet effet. Cette gestion si singulière des matières radioactives entrainent un très grand nombre de transports.

Les déchets nucléaires, des déchets très sensibles

15 millions de colis de marchandises dangereuses sont transportés chaque année en France. Ces colis sont répartis en différentes classes de risques : la classe 7 concerne les marchandises dangereuses radioactives. Environ les deux tiers sont de colis de substances radioactives : ils représentent une part non négligeable du nombre total de colis de marchandises dangereuses transportés chaque année sur le territoire français en raison du potentiel de risques qu'ils recèlent[4].

En France, environ 900 000 colis expédiés en 600 000 transports par an

Parmi les colis contenant des substances radioactives, 15 % sont produits par l’industrie nucléaire, contre 85% produits par les activités nucléaires médicales et la recherche. On estime à environ 11 000 par an le nombre total de transports nécessaires à la chaine du combustible pour l’activité des centrales nucléaires, qu’il s’agisse du combustible neuf à base d’uranium, du combustible type Mox, du combustible usé provenant des centrales électronucléaires et destiné aux usines de traitement de La Hague (environ 200 par an, dont une dizaine en provenance de l’étranger), ou encore des transports d’hexafluorure d’uranium ou d’oxyde de plutonium. Pa railleurs un millier de transports (environ 50 000 colis) en provenance ou à destination de l’étranger ont lieu chaque année[5].

si la route est le moyen le plus souple pour transporter des matières radioactives, ce n'est pas le plus sûr !

Le nombre d'incidents est à la mesure de l'intensité des transports. En 2012, 52 événements de niveau 0, 6 événements de niveau 1 et un événement de niveau 2 sur l’échelle INES ont été déclarés à l’ASN. L'IRSN identifie ainsi 5 principaux risques dans le Bilan des événements de transport de matières radioactives survenus en France de 1999 à 2011 publié cet année[6] : pollution chimique, criticité, contamination et irradiation.

De nombreux cas de contamination supérieure aux normes ont été mis en évidence sur des emballages et des wagons de transport de combustibles irradiés provenant de centrales nucléaires et destinés à l’usine de retraitement de La Hague depuis 1998. Des défauts de serrage d'éléments vissés de colis sont en forte hausse depuis deux ans. Il arrive même que l'on trouve des corps étrangers dans les colis. L’IRSN préconise une plus grande rigueur dans les opérations de fabrication et de maintenance afin que les non-conformités fassent l’objet d’un traitement approprié.

Mais si ces risques sont reconnus force est de reconnaître que la réglementation en vigueur n'est pas à la mesure des enjeux[7]. Le régime déclaratif comme la faiblesse des moyens d'inspection dont dispose l'Autorité de sureté nucléaire ne sont pas rassurants. Comment s'étonner dès lors que l'ASN identifie des axes de progrès concernant le niveau de sûreté des transports de substances radioactives en France[8]...

Cigéo entrainerait une multiplication perilleuse des transports de matières radioactives

le dossier du maitre d'ouvrage proposé par l'ANDRA à l'occasion de ce débat public n'est guère disert sur les transports de matières radioactives qui seraient générés par Cigéo. " AREVA, le CEA et EDF prévoient aujourd’hui de livrer de l’ordre de 700 à 900 emballages par an a l’horizon 2030-2040. Le transport par voie ferroviaire est privilégie. Dans ce cas, cela représenterait au maximum une centaine de trains par an (avec une dizaine de wagons par train), soit de l’ordre de deux trains par semaine en pic, avec une moyenne de deux trains par mois sur la durée d’exploitation.[9]"

Il n'est question que des HA-VL, c'est-à-dire des déchets vitrifiés issus du traitement des combustibles usés à la Hague. Des convois comparables à ceux qui ont traversé la France vers Gorleben en Allemagne au cours des dernières années parcourraient le Bassin parisien d'Ouest en Est à une fréquence inconnue jusque là[10]. Or les risques inhérents à de tels convois sont bien connus comme ont pu l'établir conjointement l'IRSN et l'ACRO en novembre 2011[11]. Comment s'étonner dès lors que l'ANDRA propose des aménagements conséquents pour raccorder Cigéo au réseau ferroviaire ?

Si un tel raccordement peut améliorer la sureté de l'acheminement des HA-VL, il ne répond pas à l'ensemble des problèmes posés par le transport des matières qui pourraient être enfouies à Bure. C'est le cas en particulier des MA-VL. Selon le maitre d'ouvrage, ils constituent l'essentiel des matières qui seraient stockées (environ 70 000 m3 soit 60% des capacités envisagées). Or chacun sait que les MA-VL ne sont pas transportés par rail mais par route... L'ANDRA le reconnait à demi mot en citant les colis de déchets qui viendraient de Valduc.

Aujourd'hui, 89% des déchets nucléaires transitent par la route dans des conditions souvent insécures comme la CRIIRAD a pu le révéler en 2006[12]. Par ailleurs l'expérience de la gestion de l'acheminement des matières radioactives à Morvilliers et Soulaines prouvent que la route l'emporte très nettement sur le rail. Le Centre de stockage de l'Aube accueille selon l'ANDRA en moyenne 6 véhicules par jour en provenance des lieux de production (1313  véhicules en 2012). Le rail n'occupe plus qu'une part minime du trafic. En 2012 seuls 65 véhicules ont acheminé des colis du terminal ferroviaire de Brienne-le-Château jusqu'à Soulaines[13]. A Morvillier la part du rail est plus faibles encore compte tenu de l'intensité du trafic (33 720 colis transportés par 2016 véhicules). Cette noria de transports n'est pas sans impacts. Faudrait il encore en connaître le cout pour la collectivité !

Les départements de la Meuse et la Haute-Marne pourront ils supporter la charge de ce trafic ?

L'ANDRA depuis 10 ans ne cesse de vanter les mérites du projet qu'elle propose en insistant constamment sur les retombées positives pour le territoire, la Meuse et la Haute-Marne. Pour autant l'agence nationale est très exigeante. Le dossier du maitre d'ouvrage rappelle que "l'implantation de Cigéo nécessite la préparation du territoire d'accueil. Outre l'aménagement des infrastructures, un cadre stratégique doit être mis en place concernant l'emploi, le développement économique et l'attractivité pour l'accueil de nouveaux ménages[14]" et énonce une longue liste de besoins notamment pour la phase de construction initiale du centre (un tableau édifiant indique une fréquence de l'ordre de 70 camions.jour pendant 13 ans avec des pointes de l'ordre d'une centaine de l'aveu même de Fabrice Boissier !)

Le coût pour les collectivités locales des aménagements que nécessiterait le projet est prohibitif.

C'est en particulier le cas pour les infrastructures de transport. Un rapport de 2009 de l'ANDRA estime en effet que "concernant les voies routières, il existe des enjeux liés au gabarit des voies, à la viabilité hivernale (routes hors gel) et aux modalités de partage entre les différents usagers (trafics locaux, trafics d’échanges).[15]" Il y a fort à parier que l'intensité des trafics pourrait entrainer des travaux coûteux et répétés sur la RN 67, la RD 966 et l’axe routier structurant de la zone de transposition (RD60-960). En tout cas c'est ce que laisse penser le maitre d'ouvrage lui même. "Les études à mener en 2010-2011 pour le débat public, indique le rapport cité ci-dessus, viseront à confirmer les besoins prévisionnels du centre de stockage et à examiner les adaptations du réseau à envisager, en lien avec les gestionnaires concernés. La phase de construction (2017-2025) fera également l’objet d’analyses plus précises." Les choses n'ont guère évoluée en quatre ans. Le Dossier du maitre d'ouvrage est tout aussi elliptique que les précédentes publications de l'ANDRA.

En tout cas personne ne peut plus dire aujourd'hui que Cigéo serait une manne providentielle pour le territoire. D'aucuns commencent à prendre conscience des impacts négatifs d'un tel projet. Les agriculteurs s'inquiètent ainsi du mitage du territoire par l'ANDRA[16]. beaucoup commencent à comprendre que ce qui a pu apparaître un temps comme générosité de l'Etat n'est pas à la mesure des coûts qui seraient engendrés par le projet[17].

Ce qui se profile à l'horizon avec Cigéo c'est un appauvrissement des collectivités locales par une inflation démesurée des dépenses contraintes. Les dotations des deux groupements d'intérêt public (GIP) paraissent bien dérisoire au regard des investissements qui seront nécessaires pour la construction et l'exploitation du projet proposé par l'ANDRA. Dès qu'il s'agira de construire des ouvrages d'art et d'assurer la maintenance d'infrastructures soumises à dure épreuve, Meuse et Haute-Marne seront bien en peine de garantir les financements d'autres missions plus utiles pour la population locale...

L'exemple des transports révèle les zones d'ombres du projet de l'ANDRA. Cigéo provoquerait une augmentation très conséquente des transports de matières radioactives, déjà trop nombreux, sur tout le territoire. Le site d'enfouissement apporterait plus de contraintes et de dépenses mal évaluées jusque là que d'emplois en Meuse et en Haute-Marne. Il est urgent de mettre un terme à ce projet afin de garantir un authentique développement durable aux populations riveraines et soulager le territoire française de la menace de transports dangereux.


[1] Dossiers du CDAT, Le transport de déchets :http://www.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/web-sommaire_Transportdechet_CDAT.pdf

[2] Le transport des déchets :http://www.dgdr.cnrs.fr/cnps/guides/doc/dechets/p01_chap03.pdf

[3] http://www2.ademe.fr/servlet/getDoc?cid=96&m=3&id=83366&p1=00&p2=05&ref=17597

[4] Revue Contrôle, n°193 : http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Publications/La-revue-Controle/Dossiers-de-Controle-2012/Controle-n-193-La-surete-des-transports-de-substances-radioactives

[5] http://www.asn.fr/index.php/Les-activites-controlees-par-l-ASN/Transports-de-matieres-radioactives/Les-actions-de-l-ASN-dans-le-domaine-des-transports

[6] http://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/transport/transport-matiere-radioactive/Documents/irsn_livret_transport_matieres_radioactives.pdf

[7] http://www.unece.org/fileadmin/DAM/trans/danger/publi/unrec/French/Intro.pdf

[8] http://www.actu-environnement.com/ae/news/surete-nucleaire-transport-colis-15387.php4 ; http://www.asn.fr/index.php/S-informer/Actualites/2013/Transport-de-substances-radioactives-en-France

[9] Dossier du maitre d'ouvrage, chap. 4, p 47 (http://www.debatpublic-cigeo.org/informer/dossier-presentation-projet.html)

[10] http://groupes.sortirdunucleaire.org/Informations-sur-le-convoi

[11] http://www.acro.eu.org/Controle-193-La-surete-des-transports-de-substances-radiactives.pdf

[12] http://www.criirad.org/actualites/dossiers%202007/transport-rad_ete07/cr-transport.pdf

[13] http://www.andra.fr/andra-aube/pages/fr/menu4/le-csa/l-itineraire-des-dechets-fma-1088.html

[14] chapitre 8.1, p 82.

[15] http://www.andra.fr/download/andra-meuse-fr/document/ctraste090061.pdf

[16] http://www.avenir52.com/actualites/cigeo-acteurs-ou-spectateurs:DAUC3AM4.html

[17] http://www.liberation.fr/politiques/2013/08/28/bure-une-campagne-sous-perfusion-nucleaire_927842

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