La Presse locale et nationale a donné un large écho à la ballade normande de Jean-Luc Mélenchon[i]. Pour autant, cette visite illustre parfaitement le réel de la candidature insoumise et plus particulièrement la manière dont sont intégrées les problématiques environnementales et la question écologique.
Malgré des mots toujours généreux, on a vu là s’affirmer une pratique que l’on connaît que trop bien ici sur la Côte d’Albatre[ii]. Jean-Luc Mélenchon a repris à son compte le discours classique du PCF local qui s’est toujours présenté comme le défenseur de la verrerie-flaconnerie de la Vallée de la Bresles[iii] et de toutes les industries même les plus dangereuses[iv].
Tout cela est très intéressant voir utile. Mais si c’est très socialiste, c’est bien peu écologiste. Dans le Nord de la Seine-Maritime, Jean-Luc Mélenchon a clairement fait le choix de s’afficher avec les élus les plus productivistes de notre territoire. Sébastien Jumel n’est-il pas ce maire qui en 2009 imagina d’installer une usine de d’engrais en plein cœurs de sa ville ? Affaire si sulfureuse[v] qu’elle suscita une large mobilisation des écologistes[vi] et de la gauche anticapitaliste[vii]. N’est-ce pas Sébastien Jumel et son collègue du Tréport, Longuent, qui sont aujourd’hui les plus constants adversaires du développement de l’éolien off-shore[viii] sur un littoral pourtant très propice aux énergies marines renouvelables[ix] ?
Le Vent du Nord a ébréché la sincérité écosocialiste de la candidature insoumise
En dépit d’un discours séduisante, nous avons eu affaire à Dieppe à une pure mise en scène politicienne d’un parcours qui ne correspond en rien à ce qui figure dans les livrets toujours pertinents de la France insoumise[x]. Loin d’assumer une différence écosocialiste, Jean-Luc Mélenchon n’a fait qu’emprunter le chemin mille fois parcouru par des générations de candidats communistes du Tréport à Dieppe.
D’’autres choix s’offraient à lui. Il aurait pu aller faire un tour du côté de Saint-Nicolas d’Aliermont où des PME s’engagent sur la voie de la transition énergétique délaissant progressivement le nucléaire. Il aurait pu s’intéresser aux conséquences, plus visibles ici que partout ailleurs, du changement climatique[xi]. Il aurait pu s’enquérir de l’action exemplaire du conservatoire du littoral qui travaille à la renaturation d’estuaires de fleuves côtiers pour restaurer des milieux dont l’intérêt faunistique et floristique est exceptionnel. Il aurait pu s’intéresser à la situation sanitaire de ce territoire et de ses habitants. Mais il a choisi d’endosser une autre ligne et de porter un autre message.
Non seulement sa visite relève d’un conformisme de gauche le plus éculé, qui ne réussit depuis bien longtemps à enrayer la casse sociale et industrielle, mais le parcours seinomarin de Mélenchon donne une image sordide du territoire.
Or le littoral seinomarin ne se résume pas à des industries d’hier en crise et à une situation sociale alarmante due pour grande part à l’hypothèque nucléaire. C’est une terre de création et d’innovation. C’est une région où beaucoup inventent et cherchent à construire un avenir, réaliste et désirable, comme par exemple l’association pour la promotion de l’écoconstruction qui valorise les ressources locales pour un habitat durable[xii]. Mais cela les hôtes de Jean-Luc Mélenchon n’ont pas cherché à le montrer. Et l’on peut se douter qu’ils n’aient pas évoqué les impacts environnementaux et sanitaires des verreries de la Vallée de la Bresles…
Est-ce de cette manière que Mélenchon compte insuffler l’espoir pour aborder les défis immenses du XXIe siècle ? D’aucuns peuvent en douter d’autant plus que le candidat insoumis a pris soin d’esquiver les centrales nucléaires qui ici comme ailleurs posent des problèmes sociaux et environnementaux considérables.
Peut-être ne voulait-il pas froisser ses hôtes communistes ? En tout cas il a manqué une occasion rêvée d’affirmer la nécessité de l’arrêt du nucléaire dans une région où la transition est à la peine…
Echouage de l’écosocialisme dans l’estuaire
Mais c’est au Havre que le court voyage de Mélenchon au pays de la mer a sombré. A l’heure où nous avons enfin la certitude que la transition énergétique va apporter un renouveau tant attendu[xiii] dans cette terre d’industries, Mélenchon a consacré sa visite au port[xiv]…
Bien évidemment il a enrobé le tout avec l’aisance que chacun lui connait dans un magnifique hommage aux dockers[xv]. Mais si l’on s’intéresse aux détails de sa visite, force est de reconnaître qu’il a moins soutenu son programme que repris le discours de ceux qui l’accueillaient.
Non seulement, le candidat a succombé au gigantisme inhumain du Grand Port Maritime[xvi] mais il a assumé les positions bien peu insoumises du Parti communiste de Seine-Maritime et de la CGT du Port : « Le canal Seine-Nord n'est pas urgent,a indiqué Jean-Luc Mélenchon. Il faut d'abord équiper le port du Havre et son articulation, avec la Seine et le ferroviaire. Ce sera un bienfait pour plusieurs générations, des heures de travail pour des milliers de gens. On n'imagine pas que les marchandises arrivant à Marseille viennent d'Anvers[xvii]. » Il ne s’agit là que la position d’Haropa[xviii] et de la CCI du Havre qui manifestement ne se satisfont pas des soutiens déjà nombreux de la droite et de la « gauche molle »[xix].
Or on ne peut pas dire que la CCI du Havre et le Port aient un jour fait preuve d’une profonde insoumission. Quelques éléments factuels et même historiques amènent même à considérer que ces deux entités incarnent tout ce qu’écologistes, insoumis comme ceux et celles qui veulent un avenir désirable dénoncent.
Ce port qui fut celui du « commerce » colonial et de l’exploitation des peuples d’Asie et d’Afrique est devenu aujourd’hui un hub de la mondialisation néo-libérale, celle-là même qui détruit comme une lime sourde l’emploi industriel ici et ailleurs[xx]. Par ici des millions de tonnes de marchandises entrent sur le territoire européen chaque année[xxi] jetant un voile d’ombre sur le réel bilan carbone de la France[xxii]
« Si on détaille par secteur l'empreinte carbone des Français, le premier poste est le logement avec 2,9 tonnes de CO2eq par habitant et par an, dont 35% associés aux importations. Suivent ensuite le transport, avec 2,7 tonnes de CO2eq, et l'alimentation, avec 2,1 tonnes de CO2eq. Pour ces deux postes, les importations représentent 43% des émissions calculées. En proportion, le logement représente 27% de l'empreinte carbone d'un Français, le transport 25%, l'alimentation 19%, les autres biens et services 13%, la santé, l'éducation et les services publics 9%, et les équipements et l'habillement 7%.[xxiii] »
Mais là n’est pas la seule conséquence du pari portuaire hasardeux au Havre. En dépit d’un trafic qui n’évolue guère on a affaire ici aux projets les plus fantaisistes aux dépends de l’environnement mais aussi des terres agricoles[xxiv]. Et il ne faut pas beaucoup forcer le trait pour dire que le développement des ports de Rouen (qui s’étend jusqu’à Honfleur) et du Havre constituent une catastrophe écologique de large ampleur. La Réserve de l’estuaire est sans cesse grignoter depuis sa création par d’innombrables projets logistiques qui n’ont guère apporter la prospérité promise. Et je ne parlerai pas du dossier très complexe du Machu qui défraie la chronique depuis quelques mois dans tout l’estuaire[xxv]…
Toujours est-il qu’ici les gens sont en prise plus qu’ailleurs à ce une injustice environnementale[xxvi] que les données sanitaires donnent à voir clairement[xxvii]. La persistance d’activités industrialo-portuaires inexorablement condamnées par la déplétion pétrolière[xxviii] souille le cadre de vie[xxix] de centaines de milliers de personnes qui ne bénéficient pas des retombées économiques de flux qui ne font que passer sur leur territoire. C’est la double peine pour les populations de l’estuaire qui légitimement attendent un sursaut qui leur apporte le bien-être auquel elles ont droit. Mais de cela, Mélenchon n’a guère parlé en dépit d’une brillante tirade sur l’amiante qui tue ici sans modération.
Mais qu’est venu faire Mélenchon dans cette galère ?
Somme toute cet épisode de campagne semble avoir été conçue dans le but principal de se donner à voir une entente cordiale avec une fédération communiste qui reste puissante. Mais ce faisant Jean-Luc Mélenchon a quelque peu brouillé son message écosocialiste.
Il est tout de même surréaliste que le candidat qui prétend porter une profonde transition écologiste et sociale en arrive à dresser des lauriers à un site portuaire en crise[xxx]. Tout d’abord il conviendrait de reconnaître les handicaps multiples qui pénalisent Le Havre au regard de autres ports européens (par exemple Anvers[xxxi]). Ensuite il faudrait admettre que l’ensemble de ces plateformes industrialo-portuaires sont des « points noirs » sur le plan environnemental[xxxii].
Une réelle transition écologique implique de repenser l’activité des espaces littoraux tous exposés à l’élévation du niveau des mers[xxxiii]. Il s’agit d’une part de mettre en œuvre dès aujourd’hui leur adaptation aux crises écologiques énergétiques plutôt que de laisser penser que tout pourra continuer « comme au bon vieux temps ». D’autre l’enjeu est bien d’imaginer un autre modèle de développement que celui qui détruits les individus et la société sur tout le littoral, espace sinistré.
Alors que le pouvoir en place ouvre à peine ce dossier[xxxiv] et que le Sénat a encore écorné une loi littorale déjà affaiblie[xxxv], on pouvait attendre plus d’audace du candidat insoumis ne serait-ce que pour garantir aux gens qui vivent là le droit de vivre durablement dans un environnement équilibré et respectueux de la santé…
Ce n’est pas en faisant l’apologie d’industries ou des super porte-conteneurs dont les bilans carbone et énergétiques sont calamiteux que cette transition se fera ! Il conviendrait que Mélenchon et Hamon[xxxvi] l’admettent d’autant plus que la problématique portuaire ne se limite à la seule aire littorale. C’est l’ensemble de l’Axe Seine qui est là en question. En effet depuis l’approbation de la pitoyable directive territoriale d’aménagement en 2006[xxxvii], tout ici est conçue dans le souci de répondre aux besoins du délire mégapolitain du Grand Paris[xxxviii]. Projet bien peu écologiste et totalement insoutenable à l’heure où il faut construire la résilience des territoires[xxxix].
En tout cas une chose est certaine : si l’aménagement intensif de la Vallée de la Seine[xl] peut soulever un espoir dans les sections du Parti communiste, il laisse pour le moins dubitatifs les écologistes engagés sur le terrain. On ne compte plus en effet les projets inutiles imposés qui sont la conséquence de cette stratégie de développement héritée du commissariat général au plan qui voulait faire de la Seine un gigantesque axe urbain de la Marne à la Mer (arasement du grand chenal, chambres de stockages des sédiments, clapages, artificialisation des berges, aménagements en zones inondables, grignotage des espaces naturels, disparition des zones humides, etc.).
Un autre avenir est possible
Notre région n’a pas vocation à être réduite à la fonction d’interface logistique de l’île de France après un siècle de desserrement industriel qui a amené chez nous le nucléaire, le pétrole et une agriculture intensive dont l’héritage se rappelle à nous dès que nous ouvrons le robinet.
Un autre avenir est pourtant possible. La région ne manque ni de ressources ni de talents. Mais faudrait-il encore que les candidats qui prétendent incarner un changement profond voire radicale ne viennent pas à cautionner des tendances anciennes qui n’ont jamais apporté ce dont le territoire et ses habitants ont besoin…
L’enjeu est bien de tenir un discours de vérité et d’espoir et non pas de laisser croire que l’on pourra continuer comme avant. Ça aurait le mérite de relever un peu le niveau d’une campagne où la communication l’emporte trop souvent sur le fond. Et dans le cas spécifique de Mélenchon cela pourrait permettre de clarifier son positionnement. Veut-il poursuivre l’œuvre du PCF par d’autres moyens ou effectivement concevoir un nouvel agencement qui associe tradition ouvrière et écologie ?
Au Havre est à Dieppe cette seconde option n’a pas été privilégiée… qu'il ne s'étonne pas des réserves qu'il suscite dans le monde de l'écologie.
Encore un effort Monsieur Mélenchon si vous voulez nous convaincre !
[i] http://www.lemonde.fr/election-presidentielle-2017/article/2017/03/29/en-meeting-au-havre-jean-luc-melenchon-refuse-de-se-rallier-a-benoit-hamon_5102926_4854003.html
[ii] https://jlm2017.fr/2017/03/29/jean-luc-melenchon-visite-a-dieppe-camion-insoumis/
[iii] http://www.courrier-picard.fr/20281/article/2017-03-28/jean-luc-melenchon-tout-fier-apres-sa-visite-chez-sgd
[iv] http://www.20minutes.fr/france/295031-20090130-le-chantier-epr-va-etre-veritable-bouffee-oxygene-region-dieppe
[v] http://www.resist.org.uk/corporations/uralchem
[vi] http://archives.eelv.fr/regions-europe-ecologie.fr/haute-normandie.regions-europe-ecologie.fr/la-campagne/3113-uralchem/index.html
[vii] https://npa2009.org/content/uralchem-pas-d%E2%80%99engrais-dieppe ; / ;
[viii] http://www.latribune.fr/entreprises-finance/la-tribune-de-l-energie-avec-enedis/l-eolien-se-jette-a-l-eau-637570.html
[ix] http://www.normandie-actu.fr/eolien-en-mer-au-large-du-treport-fin-du-debat-public-un-fiasco_158819/
[x] https://avenirencommun.fr/livrets-thematiques/
[xi] http://www.eau-seine-normandie.fr/fileadmin/mediatheque/Dossier_partage/INSTITUTIONNEL/PLAQUETTES/AESN_ChangclimStrat_v8BD.pdf
[xii] https://www.facebook.com/arpe.276/
[xiii] http://www.normandie-actu.fr/eoliennes-deux-permis-construire-deposes-implantation-usines-havre_261017/
[xiv] http://www.paris-normandie.fr/breves/normandie/le-havre--jean-luc-melenchon-applaudi-par-les-dockers-FN9096700#.WNuhadQG3g4.facebook
[xv] https://jlm2017.fr/2017/03/29/video-melenchon-meeting-havre/
[xvi] http://www.paris-normandie.fr/breves/normandie/le-havre--jean-luc-melenchon-applaudi-par-les-dockers-FN9096700#.WNuhadQG3g4.facebook
[xvii] http://www.ouest-france.fr/normandie/le-havre-jean-luc-melenchon-est-arrive-au-port-4891652
[xviii] http://www.paris-normandie.fr/actualites/economie/canal-seine-nord--les-ports-de-rouen-et-du-havre-ne-veulent-pas-rester-a-quai-XD7665770
[xix] http://www.paris-normandie.fr/actualites/economie/le-canal-seine-nord-seme-le-trouble-en-haute-normandie-dans-les-milieux-politico-economiques-II3659930
[xx] 45 % des deux millions d’emplois industriels détruits en France entre 1980 et 2007 sont imputables à la mondialisation. C’est la conclusion à laquelle aboutit une étude réalisée par le ministère de l’Economie. Cette évaluation tente de chiffrer l’impact respectif des différents facteurs pouvant expliquer la chute de l’emploi dans l’industrie au cours des dernières décennies. L’étude évalue en particulier à 330 000, soit 17 % des destructions, les emplois industriels disparus à cause de la concurrence des pays émergents. 10 000 à 15 000 emplois auraient également été délocalisés chaque année entre 2000 et 2003, ce qui expliquerait 10 % à 20 % des diminutions d’effectifs industriels. Parmi les autres facteurs, l’externalisation, c’est-à-dire le transfert d’emplois de l’industrie vers le secteur des services aux entreprises, expliquerait la perte de 500 000 emplois industriels (soit 25 %). Tandis que le progrès technique, c’est-à-dire les gains de productivité, serait responsable de 30 % des pertes d’emplois.
http://www.alternatives-economiques.fr/desindustrialisation-faute-a-mondialisation/00040293
[xxi] http://www.normandie-actu.fr/port-2000-fete-ses-10-ans-au-havre-l-activite-maritime-en-chiffres_236480/
[xxii] https://www.rac-f.org/IMG/pdf/EMISSIONS-IMPORTEES_RAC-Ademe-Citepa.pdf
[xxiii] https://www.actu-environnement.com/ae/news/empreinte-carbone-france-hausse-emissions-co2-25628.php4
[xxiv] http://www.normandie-actu.fr/normandie-ports-haropa-resistent-prevoient-gros-investissements-avenir_253869/
[xxv] http://www.normandie-actu.fr/le-port-de-rouen-veut-immerger-ses-sediments-au-large-de-deauville_234950/
[xxvi] http://www.bastamag.net/Les-injustices-sont-aussi
[xxvii] https://sites.google.com/site/prse3normandie/
[xxviii] http://www.avenir-sans-petrole.org/
[xxix] http://hautenormandie.eelv.fr/2012/08/30/pollution-de-leau-de-bolbec-le-droit-de-savoir/
[xxx] http://www.lantenne.com/Trafic-en-baisse-en-2016-pour-les-ports-du-Havre-Rouen-et-Paris_a35342.html
[xxxi] http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/transv/Mobil/MobilDoc2.htm
[xxxii] https://reporterre.net/Les-ports-europeens-sont-devenus
[xxxiii] http://www.nature.com/nclimate/journal/v5/n6/full/nclimate2635.html
[xxxiv] http://www.developpement-durable.gouv.fr/impacts-du-changement-climatique-littoral-et-milieu-marin
[xxxv] https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/changement-climatique-le-senat-assouplit-la-loi-littoral_109700
[xxxvi] http://www.ouest-france.fr/normandie/le-havre-76600/normandie-au-havre-benoit-hamon-s-engage-sur-l-axe-seine-4848550
[xxxvii] http://www.normandie.developpement-durable.gouv.fr/la-directive-territoriale-d-amenagement-dta-de-l-r338.html
[xxxviii] http://www.forumgrandparis.fr/ ; http://www.metropolitiques.eu/Le-Grand-Paris-une-metropole-en.html