Une célèbre avocate de Bombay accuse le gouvernement dirigé par Narendra Modi de faire pression dans une affaire de meurtre de musulmans où les accusés sont des fondamentalistes hindous.
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Les soupçons qui pesaient sur l’idée que le gouvernement Modi se fait de l’indépendance de la justice prennent malheureusement consistance. Dans une interview choc à “The Indian Express”, Rohini Salian, célèbre avocate de Bombay, vient de révéler qu’elle faisait l’objet de pressions depuis que la droite nationaliste hindoue est arrivée au pouvoir, au printemps 2014. Rohini Salian est procureure générale dans l’affaire Malegaon, du nom d’une ville du nord du Maharashtra où une bombe avait explosé en septembre 2008, blessant 120 personnes et tuant, en plein ramadan, sept musulmans. Les accusés, au nombre d’une quinzaine, sont des fondamentalistes hindous soupçonnés d’avoir été dirigés dans cette opération par un militant du Vishva Hindu Parishad, une organisation appartenant à la même mouvance que le Rashtriya Swayamsevak Sangh, le cerveau idéologique du parti majoritaire en Inde, le BJP.
Rohini Salian affirme avoir été contactée l’an dernier par un fonctionnaire de la National Investigation Agency (NIA), au ministère de l’Intérieur. Ce monsieur a dit qu’il voulait la voir en personne mais qu’il ne pouvait pas lui expliquer pourquoi au téléphone. Rendez-vous a été pris et là, surprise, le fonctionnaire lui a déclaré de vive voix être porteur d’un “message” la priant instamment de se montrer “soft” avec les accusés de l’affaire Malegaon. Rohini Salian s’est offusquée de la démarche, arguant qu’elle défendrait toujours, quoi qu’il arrive, la cause de la justice.
Par la suite, les autorités du Maharashtra - Etat dirigé depuis octobre par le BJP - ont tenté de lui retirer purement et simplement le dossier. Du jour au lendemain, sans avoir reçu de congé officiel, la procureure générale n’a plus été destinataire des convocations aux audiences de la procédure Malegaon. Selon elle, l’alternance politique de 2014 a “clairement” entraîné “un changement” dans le fonctionnement de la justice, et les manières du gouvernement Modi sont “insultantes” pour sa profession. Rohini Salian a fini par demander à être dessaisie. “Je ne peux pas travailler sous la pression de la NIA”, a-t-elle fait valoir. Dans le camp de l’opposition, le parti du Congrès a réagi au quart de tour, jugeant ces révélations “très sérieuses”. “Nous n’avons plus confiance ni dans la NIA ni dans le gouvernement”, a indiqué l’un de ses porte-parole, avant de demander la démission du patron de la NIA.
Pour le policier à la retraite Julio Ribeiro, ancien commissaire à Bombay et ancien directeur de la police des Etats du Gujarat et du Punjab, “Rohini Salian est une légende dans le monde des procureurs”. “Chaque policier connaît son nom, de même que tous les juges et avocats de Bombay. Tout le monde sait qu'elle ne peut pas être achetée”, estime-t-il. “Honte à ceux qui tentent d'interférer dans le cours de la justice. Ils ne réalisent pas les dégâts qu'ils causent aux représentants de l’Etat de droit qui, accessoirement, sont rémunérés au lance-pierre”. On ne pouvait mieux résumer la situation.