Les chiffres ne parlent pas toujours d’eux mêmes et la publication, mardi 28 février, de la croissance indienne pour le dernier trimestre 2016 vient rappeler la prudence avec laquelle il convient de les manier. Le Central Statistics Office a annoncé que le PIB avait augmenté de 7% sur les trois mois considérés, comparé à la même période de 2015. Or comme chacun le sait, une bonne moitié de cette séquence a été marquée par la disparition pure et simple de 87% de la petite monnaie en circulation en Inde, le premier ministre Narendra Modi ayant décrété, le 8 novembre au soir, que les billets de 500 et 1000 roupies n’avaient plus cours.
Les semaines qui ont suivi resteront dans les mémoires, avec des queues interminables aux guichets des banques pour tenter d’obtenir un malheureux billet de 2000 roupies tout beau tout neuf et, surtout, des commerçants au désespoir face à la chute soudaine de leur chiffre d’affaires. Sans parler des cultivateurs qui n’avaient plus les moyens d’acheter leurs semences pour les prochaines récoltes, ou des employés de toutes sortes qui ne recevaient plus leur salaire, versé habituellement en liquide.
Mardi, plusieurs membres du gouvernement se sont félicité bruyamment de ce score de 7% de croissance, y voyant la preuve que la démonétisation n’a eu qu’un effet minime sur l’activité économique. Pour mémoire, la croissance au trimestre précédent s’était établie à 7,4%. Ralentissement il y a eu, mais dans des proportions extrêmement plus limitées que ce que les experts prédisaient, relèvent-ils avec d’autant plus d’aisance que le Central Statistics Office maintient sa prévision pour l’ensemble de l’exercice fiscal 2016/2017, qui s’achèvera le 31 mars, à 7,1%. C’est la preuve que Modi a eu raison de provoquer ce choc monétaire, disent ses amis.
Pourtant, il y a comme un petit doute qui flotte dans l’air. Le Fonds monétaire international, rappelons-le, avait ramené sa prévision pour l’année en cours à 6,6% (au lieu des 7,6% prédits avant l’annonce de la démonétisation). Et lundi encore, les quotidiens de la finance, comme Mint, The Economic Times et Business Standard, affichaient en manchette les prédictions les plus sombres des analystes qu’ils avaient interrogés. Globalement, ces derniers s’attendaient à une croissance comprise entre 6% et 6,5% au dernier trimestre 2016.
D’où vient, alors, que ces journaux n’aient fait aucun mea culpa depuis ? Refusent-ils de reconnaitre qu’ils ont péché par pessimisme ou bien doutent-ils, sans oser le dire, des calculs du Central Statistics Office ? Ils font en tout cas semblant de se réjouir de la bonne nouvelle officielle… Pendant ce temps, le parti du Congrès, lui, n’a pas peur d’énoncer tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Selon lui, le chiffre de 7% est « hautement suspect », le gouvernement Modi « trompe » l’opinion publique et serait bien inspiré de faire taire ses « propagandistes » qui font preuve d’une « euphorie déplacée et prématurée ».
On peut difficilement imaginer que les statisticiens officiels se soient délibérément trompé, même si les électeurs de l’Uttar Pradesh sont en train de voter pour élire l’assemblée législative d’une région où le sort du BJP de Modi reste très hypothétique… Mais il y a fort à parier que la croissance du dernier trimestre 2016 sera corrigée a posteriori, comme le Central Statistics Officel l’a fait récemment pour la croissance annuelle de l’exercice 2015/2016, portée à 7,9% au lieu des 7,6% annoncés initialement. En réalité, c’est le chiffre du premier trimestre 2017 qui constituera le véritable verdict de l’opération démonétisation. Rendez-vous fin mai.