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Billet de blog 2 juin 2016

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De la spontanéité des massacres de 2002 au Gujarat

La Cour spéciale d'Ahmedabad estime que les émeutes anti-musulmanes d'il y a 14 ans n'étaient pas préméditées. Une bonne nouvelle pour Modi.

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En ce moment, Narendra Modi a vraiment la baraka. Son parti, le BJP, a gagné l'élection législative dans l'Etat de l'Assam pour la première fois de son histoire;  son adversaire numéro un, le Parti du Congrès, ne dirige plus que le Karnataka et quelques petits Etats représentant à peine 7% de la population totale du pays; la croissance économique de l'Inde est au plus haut depuis cinq ans (le PIB a bondi de 7,9% au premier trimestre 2016)... et voilà que la justice lui retire, indirectement, une sale épine du pied.

Alors qu'il s'apprête à effectuer sa quatrième visite officielle aux Etats-Unis, le chef du gouvernement indien respire : les pogroms anti-musulmans survenus durant l'hiver 2002 au Gujarat, alors qu'il venait d'être élu chef de l'exécutif de cet Etat du nord-ouest de l'Inde, n'étaient en rien prémédités. En tout cas, pas à Gulberg, l'un des neuf quartiers musulmans qui avaient été ciblés. Tel est le jugement rendu jeudi 2 juin par la Cour spéciale chargée, à Ahmedabad, de faire la lumière sur des massacres qui avaient fait, à l'époque, près de 2 000 morts.

Cette affaire valait à Narendra Modi l'opprobre internationale et une privation de visa américain, jusqu'à ce qu'une première décision de justice le blanchisse fin 2013 et que le suffrage universel le libère finalement de toute entrave à voyager, il y a exactement deux ans. "Namo" n'était pas lui-même assis sur le banc des accusés, même si plane sur lui le soupçon d'avoir "laissé faire". Mais Bipin Patel, l'un des principaux responsables du BJP du Gujarat au moment des faits, de même que l'inspecteur de police KG Erda, ont été déclarés innocents, comme 34 autres des 66 prévenus. Quant aux 24 personnes reconnues coupables, seules 11 ont été condamnées pour meurtre.

La justice a-t-elle fait le service minimum, comme l'a aussitôt déclaré un ancien cadre des services de renseignement gujaratis ? Le verdict peut en effet surprendre, si l'on se souvient qu'une foule de milliers de gens avait fondu sur le quartier musulman de Gulberg le 28 février 2002, s'attaquant au domicile d'un ancien député du Parti du Congrès, où de nombreux habitants avaient trouvé refuge. On retrouvera 69 cadavres. Ceux qui souhaitent encore que Modi s'explique sur cette période ont du temps devant eux, car huit autres procédures judiciaires sont en cours.

Il n'en demeure pas moins que ce jugement du 2 juin 2016 blanchit de facto le premier ministre sur la scène internationale. Les magistrats ont en effet estimé que les notions de génocide et de nettoyage ethnique étaient des concepts étrangers qui ne s'appliquaient pas à ces massacres perpétrés au Gujarat. Et puis, quatorze ans après les faits, la grande majorité des Indiens serre les coudes derrière leur dirigeant. D'après le sondage InstaVaani réalisé pour le deuxième anniversaire de la victoire éclatante du BJP aux élections générales de 2014, la côte de popularité de Narendra Modi s'établit à 74%. Comme il y a six mois. Comme il y a un an.