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Billet de blog 8 mars 2015

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Les quatre paradoxes du boeuf banni des assiettes à Bombay

Or donc, les habitants de l’Etat du Maharashtra n’ont plus le droit de manger de viande de boeuf. Aux premiers jours de mars, sous la pression du gouvernement de Narendra Modi, le président de l’Inde, Pranab Mukherjee, pourtant adhérent au Parti du Congrès (opposition),  a promulgué une loi étendant aux boeufs et aux veaux l’interdiction d’abattage qui s’appliquait déjà aux vaches.

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Or donc, les habitants de l’Etat du Maharashtra n’ont plus le droit de manger de viande de boeuf. Aux premiers jours de mars, sous la pression du gouvernement de Narendra Modi, le président de l’Inde, Pranab Mukherjee, pourtant adhérent au Parti du Congrès (opposition),  a promulgué une loi étendant aux boeufs et aux veaux l’interdiction d’abattage qui s’appliquait déjà aux vaches. Hormis les irréductibles fondamentalistes hindous qui soutiennent le parti de Modi, le BJP, tous les commentateurs y ont vu un geste éminemment politique. C’est l’occasion manifeste, disent-ils, de montrer aux Musulmans - et accessoirement aux Chrétiens - qui est aujourd’hui le plus fort dans le pays, les Hindous étant à 80% végétariens. L’affaire suscite bien des étonnements.

Premièrement : le texte signé la semaine dernière par Mukherjee avait été voté par le Parlement de Bombay en 1995 et était resté depuis en déshérence. Il aura fallu à l’automne dernier qu’arrive à la tête du Maharashtra le jeune Devendra Fadnavis pour que la loi ressorte des cartons. Celui-ci s’était pourtant juré d’incarner la modernité en politique et de faire de Bombay l’un des plus grands centres de la finance mondiale, avec des projets plus prioritaires les uns que les autres, nouveau plan d’urbanisme, nouvelles lignes de métro, nouvel aéroport, nouveau pont... Le voilà rabaissé au plancher des vaches, c’est le cas de le dire.

Deuxième étonnement : le recel et le commerce de viande de boeuf et de veau sont désormais passibles de 10.000 roupies (150 euros) d’amende et de cinq ans de prison au motif que l’animal est parait-il... sacré. Erreur ! S’il est vrai que la vache fait l’objet d’un culte millénaire du fait de la symbolique du lait maternel, elle n’était pour les Hindous des origines pas plus “sacrée” que vénérée comme elle peut l’être de nos jours. Alors s’agissant de ses mâles compères et de ses fils...

Troisième étonnement : les boeufs et les veaux sont maintenant exempts d’abattoir mais pas leurs cousins les buffles. Que de paradoxes ! D’abord, les steaks qu’avalent les classes moyennes dans les restaurants huppés de Bombay sont rarement du boeuf et presque toujours du buffle, il suffit de renifler son assiette pour s’en convaincre. Si Fadnavis voulait empêcher ses électeurs de manger de la viande rouge, il aurait du y réfléchir à deux fois. Ensuite, les buffles sont beaucoup plus indiens que les boeufs. La présence des premiers au nord de l’Inde a été notée il y a au moins six mille ans de cela tandis que les seconds sont des animaux d’importation récente. Qu’en pensent les amis nationalistes de Modi ?

Autre paradoxe, la femelle du buffle produit un lait très gras, bien plus propice à la fabrication de beurre et de ghee (beurre clarifié très employé dans la cuisine indienne) que le lait de vache. “L’industrie laitière indienne est passé aux vaches parce que les races occidentales importées donnent des rendements en lait plus élevés et plus fiables, et qu'elles s’adaptent bien à la traite mécanique, ce qui n’est pas le cas des bufflonnes”, explique le journaliste Vikram Doctor, spécialiste des questions alimentaires au quotidien “The Economic Times”.

Quatrième étonnement, enfin : les plus grands consommateurs de viande de boeuf sont les couches les plus défavorisées de la population, car l’animal coûte nettement moins cher que le buffle. Résultat, ce sont les plus pauvres qui se retrouvent dorénavant privés d’une importante source de protéines. La loi qui vient d’entrer en vigueur fait du reste d’autres victimes : chez les agriculteurs car les élevages laitiers finissaient en effet jusqu’ici en burgers, procurant une source de revenus nécessaire à l’achat de nouvelles têtes de bétail, mais également chez tous ceux qui vivent de l'artisanat du cuir, en particulier dans le slum de Dharavi.

Quant aux boeufs, ce n'est pas un cadeau qui leur est fait car leur carcasse finira quoi qu'il arrive à l'abattoir. Pas au Maharashtra mais dans d'autres Etats de l'Inde et surtout au Bangladesh, moyennant des heures de transport dans d'affreuses conditions. Que font les amis des bêtes ? Bref, c’est la boite de Pandore qui a été ouverte au Maharashtra. Et il n’y a personne aux alentours pour remettre le couvercle.