Guillaume Delacroix (avatar)

Guillaume Delacroix

Journaliste

Pigiste Mediapart

90 Billets

0 Édition

Billet de blog 8 novembre 2014

Guillaume Delacroix (avatar)

Guillaume Delacroix

Journaliste

Pigiste Mediapart

La croisade de Modi contre l’infanticide féminin

Guillaume Delacroix (avatar)

Guillaume Delacroix

Journaliste

Pigiste Mediapart

Le sujet est suffisamment tabou en Inde pour que la moindre déclaration du Premier ministre sur l’infanticide féminin fasse sensation. En visite dans la circonscription qui l’a élu député au printemps dernier, Narendra Modi a pris vendredi 7 novembre une position claire et nette. “Ceux qui voient les petites filles comme un problème devraient se demander comment l’humanité pourrait survivre s’il n’y avait plus de femmes dans le monde”, a-t-il déclaré. “Si nous les tuons dans l’utérus de leur mère, comment ce monde tournera-t-il ? Si dans un village ne naissent que huit cents filles pour mille garçons, cela veut dire que deux cents garçons ne pourront pas se marier”, a-t-il ajouté, avant de poser une question à son auditoire : “Est-ce au gouvernement de résoudre seul ce problème ?”

Modi, qui est séparé de son épouse depuis son mariage et qui n’a pas d’enfants, s’adressait, faut-il le préciser, à un village de la campagne de Bénarès, en Uttar Pradesh. Un Etat où la proportion de femmes dans la population équivaut à seulement 47%. La situation est terrible : selon un rapport du département des affaires sociales de l’ONU publié en 2012, l’Inde détient le record du monde du taux de mortalité chez les filles âgées de 1 à 6 ans. Concrètement, pour 56 garçons qui meurent dans cette tranche d’âge dans le sous-continent, il y a 100 filles qui meurent. Au-delà des avortements sélectifs, Modi faisait donc aussi allusion aux violences à domicile à l’origine du décès d’environ 150.000 fillettes chaque année.

Pour tenter d’enrayer le phénomène, le Premier ministre explique à ses concitoyens que les filles sont l’incarnation de la déesse Lakshmi, l’épouse de Vishnu, et qu’à ce titre, leur naissance devrait être vécue comme “une fierté” par les familles. Et pour éviter que les filles ne soient synonymes de souci financier quand arrive le mariage, Modi invite les Indiens à planter au moins cinq jeunes arbres dans un coin de leur jardin le jour de leur naissance. “Lorsque les filles atteindront l’âge de 20 ans, les arbres seront vieux et ils pourront être vendus pour payer la dote”, a-t-il fait valoir.

Tout ceci serait parfaitement louable si les amis de Narendra Modi ne tenaient pas, dans le dos de leur leader, des discours terriblement rétrogrades. Fin octobre, des militants de la branche jeunesse du Bharatiya Janata Party (BJP), la formation nationaliste au pouvoir, ont vandalisé un bar de Calicut, dans le Kerala, au motif que des “activités immorales” s’y déroulaient. Les activités immorales en question se résumaient en fait à un simple baiser échangé en public par un couple d’adolescents. Depuis, des centaines de jeunes rassemblés sous la bannière de “Kiss of love” ont défilé pour protester contre l’oppression et les intimidations politiques, dans la grande ville voisine de Cochin. Sur Marine Drive, la promenade de bord de mer fréquentée jour et nuit par les amoureux, la police s’est permise d’arrêter des dizaines de manifestants. Un pas en avant, deux pas en arrière...