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Billet de blog 11 avril 2016

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La rhétorique anti-alcool tourne la tête des politiques indiens

Alors que se déroulent actuellement des élections législatives en Assam, au Bengale Occidental, au Kerala et au Tamil Nadu, la prohibition des vins et spiritueux est l’un des sujets favoris des candidats. Et l’objet des plus grandes contradictions, à gauche comme à droite.

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Ce printemps 2016, qui correspond pour les Indiens à l’été, constitue une séquence charnière pour le gouvernement Modi, lequel fêtera bientôt ses deux ans au pouvoir. Quatre scrutins législatifs se déroulent jusqu’à la fin mai dans les Etats de l’Assam, du Bengale Occidental, du Kerala et du Tamil Nadu. On aurait pu croire que l’enjeu, pour les électeurs, était de confier ou non les clés du pouvoir local au BJP de Narendra Modi, ou a contrario de faire à nouveau confiance, ou non, au Parti communiste indien (marxiste) pour qui deux de ces Etats, le Bengale Occidental et le Kerala, représentent d’anciens fiefs électoraux perdus en 2011. Il n’en est rien. Car l’un des sujet majeurs des campagnes en cours se réduit étonnamment à savoir s’il faut, ou non, interdire à la population la consommation d’alcool.

Au Tamil Nadu, la ministre en chef sortante, Jayalalithaa, candidate à un quatrième mandat, vient de promettre à ses administrés qu’en cas de réélection, elle instaurerait la prohibition. L’ancienne actrice de cinéma tamoul ne fait pas dans l’originalité : elle s’inscrit dans un courant qui va d’un bout à l’autre de l’échiquier politique. C’est le Gujarat, l’Etat que dirigeait Narendra Modi avant de devenir Premier ministre, qui a commencé en interdisant totalement l’alcool à sa création, en 1960. Puis le petit Etat du Nagaland, dans l’extrême nord-est de l’Inde, fit de même en 1989. En 2014, le sujet est redevenu d’actualité avec une décision du même acabit au Kerala, dirigé par le Parti du Congrès, qui se la voit reprocher dans les meetings en cours actuellement. Et le 5 avril dernier, c’était au tour du Bihar, où les élections d’il y a quelques mois ont été remportées par deux partis régionaux, de bannir vins et spiritueux, pendant qu’à Bombay, l’exécutif du Maharashtra tenu par le BJP caresse la même idée.

Dans un pays qui prétend s’ouvrir sur le monde et accéder au rang de grande puissance, comment expliquer que l’alcool s’invite ainsi dans tous les débats ? Comme l’explique dans les colonnes de “The Hindu” du 11 avril Shiv Visvanathan, professeur de droit à la Jindal Global University de l’Haryana, la prohibition est, chez les politiques, le résultat d’un mélange d’hypocrisie, de populisme, de cynisme et... de réalisme. Les amis du Mahatma Gandhi voulaient l’inscrire dans la Constitution au moment de l’Indépendance, rappelle-t-il, mais elle est devenue un instrument de “réthorique morale” facile, pour des candidats qui n’ont pas de solutions à apporter à de vrais problèmes, celui de l’alcoolisme et celui des violences faites aux femmes. Car c’est là qu’il y a un “hic”, si l’on peut dire.

Au lieu d’écouter les promesses d’interdiction, les électeurs feraient bien d’étudier ce que proposent les uns et les autres pour combattre ces fléaux. Or il y a de quoi avoir le tournis. A gauche, le Parti du Congrès prétend au Bihar que la prohibition ne sert à rien mais il affirme au Kerala qu’elle réduit les accidents de la route et les violences conjugales. A droite, le BJP campe sur son interdiction au Gujarat mais au Kerala, il affirme qu’elle n’est pas applicable pour des raisons pratiques et qu’il vaudrait mieux promouvoir l’abstinence. Les habitants de Bombay, eux, ont un argument anti-prohibition de poids à faire valoir. Il y aura bientôt un an, une centaine de personnes y sont mortes pour avoir consommé de l’alcool frelaté fabriqué et commercialisé par la mafia. Non que l’alcool de bonne qualité y soit formellement interdit. Mais il est vendu à des prix... prohibitifs.