La descente aux enfers du Parti du Congrès n’en finit pas. Voilà Manmohan Singh, premier ministre de l’Inde jusqu’à la déroute électorale de son camp en mai 2014, convoqué par le Central Bureau of Investigation (CBI) dans le cadre de l’enquête touchant aux concessions de mines de charbon attribuées illégalement, en 2005, à l’entreprise métallurgique Hindalco (groupe Aditya Birla). Corruption, abus de confiance, association de malfaiteurs... Les chefs d’accusation sont terribles pour l’intéressé qui, à 82 ans, clame son innocence. Au même moment, preuve que la politique est décidément un jeu cruel, son successeur, Narendra Modi, enregistre un succès allant au-delà de ses espérances, s’agissant de la réattribution de toutes les mines de charbon mises en exploitation dans les années 2000. Moyennant une procédure se voulant cette fois archi-transparente, leur mise aux enchères sur internet devrait permettre à l’Etat d’empocher, au dernier pointage, l’équivalent d’au moins 22 milliards d’euros.
A quelques incidents prêts, tel l’élection régionale de Delhi où son parti, le BJP, a été humilié comme rarement, Modi semble avoir encore la baraka. Et les mois passant, son penchant à surgir là où on ne l’attendait pas se confirme. Ses adversaires disaient de lui qu’il était ultra libéral, à la solde des grands groupes du secteur privé ? Qu’il allait serrer les cordons de la bourse et marquer sa différence avec le parti du Congrès réputé laxiste en matière de finances publiques ? Le budget 2015-2016, présenté fin février par le gouvernement, place les Cassandre incontestablement dans l’embarras. Contre toute attente, la dépense publique augmentera de plus de 6% au cours du prochain exercice fiscal qui démarrera le 1er avril : c’est l’équivalent de 0,3% du PIB qui va être injecté dans l’économie. Les infrastructures se taillent la part du lion, avec une hausse de crédits de 70.000 crores (10 milliards d’euros) accordée aux projets de routes, voies ferrées, ports et aéroports. Conséquence : les comptes publics dérapent. Alors qu’il devait être ramené à 3,6% du PIB, le déficit public s’établira à 3,9% (contre 4,1% aujourd’hui) et ne repassera sous la barre des 3% qu’en 2018, autrement dit un an plus tard que prévu.
Le ministre des Finances, Arun Jaitley, a justifié ce choix par le fait que le relais attendu ces dernières années du privé en matière d’investissement était un relatif échec et par le fait qu’il fallait profiter de l’embellie générale pour doper la croissance. L’alternance politique intervenue l’an dernier à Delhi a en effet provoqué un net redressement du moral des ménages et des entreprises, et plusieurs indicateurs macroéconomiques sont au vert, comme l’inflation qui est tombée autour de 5%, contre près de 9% début 2014. Les méthodes de calcul ont récemment changé mais ce sont les écarts d’une année à l’autre, plus que les valeurs absolues, qui sont importants : L’an dernier, le PIB a progressé de 6,9%, cette année il devrait finir en hausse de 7,4% et l’an prochain, le gouvernement Modi assure pouvoir approcher les 8,5%, plaçant l’Inde devant la Chine.
“Beaucoup de gens attendaient un “big bang”. Or les réformes choc interviennent en période de crise dans les pays non démocratiques, ce qui n’est pas le cas de l’Inde qui a obtenu un mandat politique très clair dans les urnes”, estime l’économiste en chef du gouvernement, Arvind Subramanian. Certes, les entreprises ont obtenu une baisse de cinq point du taux de l’impôt sur les sociétés mais en contrepartie, toute une série d’exemptions et abattements a été supprimée, ce qui devrait se solder par un résultat à somme nulle, promet le secrétaire d’Etat aux Finances, Jayant Sinha, pour qui il n’y a pas de contradiction à être à la fois “pro-business” et “pro-pauvres”. Une façon de rappeler que le budget de l’Inde pose les bases, c’est une première, d’une couverture sociale universelle. Alors que seuls les salariés en entreprise bénéficient actuellement d’une sécurité sociale, de nouveaux dispositifs vont être mis en place au bénéfice des Indiens qui relèvent de l’économie informelle, pour offrir à ces derniers assurances maladie, assurances vie et petites retraites, en échange de contributions minimes. Voilà le dernier lapin que Modi a sorti de son chapeau. L’opposition en reste coi.